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Medef : quel président pour regagner le leadership des idées ?

Organisations patronales | publié le : 11.06.2023 | Benjamin d'Alguerre

Medef : quel président pour regagner le leadership des idées ?

Patrick Martin et Dominique Carlarc'h. 

Crédit photo DR

La faiblesse gouvernementale sur la réforme des retraites a créé une brèche dans laquelle les syndicats pourraient s’engouffrer pour réclamer une remise à plat de la politique de l’offre menée depuis 2017. Face à cela, le Medef, en pleine campagne de succession, espère trouver un chef offensif pour mener la bataille des idées et regagner l’influence perdue.

Sur le plan formel, l’élection pour la présidence du Medef qui s’est ouverte en mars dernier ne ressemble guère aux précédentes. En premier lieu parce que les deux challengers attendus, représentant classiquement l’industrie et les services, ont renoncé à concourir – Alexandre Saubot, président de France Industrie déjà candidat en 2018 a jeté l’éponge et Laurent Giovachini, patron de la Syntec, a dû déclarer forfait pour raisons de santé –, mais aussi parce que la compétition va, dans sa dernière ligne droite, opposer deux membres de l’équipe dirigeante sortante. D’un côté, Patrick Martin, 63 ans, venu des territoires (il a présidé le Medef Auvergne-Rhône-Alpes), endosse le costume de l’héritier légitime après avoir été le numéro 2 de l’organisation ces cinq dernières années. Face à lui, Dominique Carlac’h, 54 ans, vice-présidente du mouvement en charge des questions de RSE, joue les outsiders. Autre point commun entre les deux : ils avaient déjà été candidats en 2018 avant de se rallier à Geoffroy Roux de Bézieux. Et si ni l’un ni l’autre ne peut se targuer d’une réelle expérience significative dans l’écosystème paritaire, les deux ont été des soutiens de poids aux équipes patronales de négociation sur de grands dossiers engageants (la formation professionnelle et l’apprentissage pour Patrick Martin, le télétravail pour Dominique Carlac’h).

Sur le papier, Patrick Martin semble faire la course en tête. Parti plus tôt en campagne, il est le compétiteur qui a recueilli le plus de parrainages auprès des membres de l’assemblée générale du Medef (environ 460) lors du premier écrémage des candidats début mai. Fort du soutien de plusieurs grosses fédérations, comme la métallurgie – même si, en son sein, certaines voix dissidentes comme celle de Loïk Le Floch-Prigent récusent ce choix imposé par le sommet – la plasturgie ou les équipementiers automobiles, il peut aussi compter sur l’appui de grands barons des Medef territoriaux (dont le poids dans le scrutin s’élève désormais à 40 % des voix) ou de personnalités d’envergure à l’image d’Olivier Salleron, patron de l’influente fédération du bâtiment. En coulisses, il se murmure surtout que Geoffroy Roux de Bézieux l’aurait d’ores et déjà adoubé comme successeur, même si l’actuel président en titre ne laisse rien paraître de son choix en public.

Le jeu reste ouvert

N’empêche, le match est loin d’être plié. Si Dominique Carlac’h a enregistré moins de paraphes de parrainage que son adversaire (345) et ne disposait pas, mi-mai, d’autant de soutiens de poids chez les grands féodaux du patronat, elle n’en a pas moins rallié à elle tous les ex-candidats à la présidence exclus ou retirés du championnat. L’Alsacien Olivier Klotz, le président de la CCI des Yvelines, Guillaume Cairou et le président délégué de la fédération de la sécurité privée, Pierre Brajeux – dont elle a annoncé vouloir faire son numéro 2 si elle était élue – se sont rassemblés sous sa bannière. L’ancienne athlète bénéficie en outre d’une oreille bienveillante au sein de certains clubs patronaux comme Ethic ou CroissancePlus, qui font un discret lobbying pour elle. Enfin, s’il est de bon ton, chez les partisans de Patrick Martin de railler le caractère « baroque » de l’attelage Carlac’h-Brajeux qui semblent aux antipodes l’un de l’autre en matière de vision sociétale, il en est qui estiment qu’à terme cette stratégie de tandem dissonant peut se révéler payante. « Carlac’h dispose d’une image de progressiste attachée à des sujets comme la RSE, ce qui peut rebuter la frange la plus conservatrice du Medef. L’alliance avec Brajeux, connu pour ses positions très droitières, peut rassurer une partie de ceux-là. D’autant que ce sont souvent les mêmes qui se méfient des trop bonnes relations qu’entretient Martin avec certains syndicats comme la CFDT ou FO », glisse un cadre de l’avenue Bosquet. Et récemment, dans d’autres circonstances, la formule a pu se révéler gagnante. C’était en mars dernier… à la CGT ! « Sophie Binet, issue de l’Ugict, le syndicat des cadres de la confédération, vient de démontrer, en s’associant à Laurent Brun, partisan d’une ligne plus orthodoxe, qu’elle pouvait coiffer ses concurrents au poteau. Les fractures apparues pendant le dernier congrès de la CGT, très violentes, donnent du sens à ces associations, en apparence contradictoires », rappelle Pierre Ferracci, président du groupe Alpha et fin connaisseur des arcanes du social.

Sans compter que certains aléas pourraient créer la surprise et faire basculer un scrutin pas si joué d’avance. Ainsi, l’affaire des surfacturations des prestations des mandataires judiciaires de l’AGS, le régime de garantie des salaires, fort opportunément sortie dans la presse en début d’année, a éclaboussé Patrick Martin, administrateur de l’association. L’intéressé se défend de toute responsabilité, mais de nouvelles révélations dans la dernière ligne droite pourraient influencer le vote en faveur de sa concurrente. Le jeu demeure donc ouvert. « Le problème, au-delà des personnalités, c’est le projet. L’incarnation, c’est une chose – et l’un comme l’autre feront le job, car ce sont de bons clients médiatiques – mais pour quel objectif ? » s’interroge cependant un grand patron de l’industrie. Parce qu'aux yeux d’un certain nombre de membres du sérail, le Medef a perdu de son mordant durant ces cinq dernières années. Certes, il a dû faire face à une série de crises – Brexit, « gilets jaunes », pandémie de Covid-19 et guerre en Ukraine – que pas grand monde n’avait vu venir et face auxquelles il a fallu mouiller la chemise pour soutenir les adhérents, mais sur le fond des revendications, il n’a pas particulièrement eu à défendre son bifteck.

Medef d’accompagnement

Politique de l’offre, ordonnances travail, réforme de l’assurance-chômage, diminution des impôts de production, suppression de l’ISF et, in fine – même si le dossier n’est pas clos – réforme des retraites, tout cela est descendu de l’exécutif, sans que le patronat n’ait eu à ferrailler pour l’obtenir. « Les différents gouvernements ont mené une politique pro-business efficace en reprenant la main, jusqu’en 2020, sur des champs traditionnellement placés dans le giron des partenaires sociaux. Il est logique que le Medef ait été dans une position d’accompagnement », observe Antoine Foucher, ancien dircab’ de Muriel Pénicaud au ministère du Travail, qui connaît bien la maison pour en avoir piloté le pôle des affaires sociales sous l’ère Gattaz.

Sauf qu’à se laisser porter par les réformes macronistes, le Medef a fini par y laisser des plumes en matière de production doctrinale, mais aussi de gestion paritaire des organismes sociaux sur lesquels l’État a progressivement repris la main. Une position certes cohérente avec la ligne Roux de Bézieux qui souhaitait faire sortir l’organisation du « paritarisme inutile » en 2018, mais qui n’a pas trouvé grâce aux yeux des fédérations les plus attachées au monde paritaire, comme l’UIMM, surtout face à un exécutif si gourmand. « Les pouvoirs publics tentent de prendre la main sur tous les régimes paritaires à fort impact financier : ça a commencé par l’Unédic, puis France Compétences, et ça s’est poursuivi avec les projets France Santé au travail et le chantier avorté de la fusion du régime général des retraites avec l’Agirc-Arrco. Sans réaction forte des partenaires sociaux, on file tout droit à l’étatisation de l’ensemble du système social », avertit Jacques Creyssel, délégué général de la fédération du commerce de détail (FCD) et ancien directeur du Medef à l’époque Seillière.

Un changement de paradigme que le patronat n’est pas forcément prêt à accepter et face auquel « l’agenda social autonome des partenaires sociaux », initié en 2021 par Geoffroy Roux de Bézieux n’apparaît pas – en dépit d’une demi-douzaine d’accords signés depuis deux ans – comme une nette rupture. D’ailleurs, « dans le cadre de sa politique de l’offre, Emmanuel Macron ne voit pas d’un mauvais œil cet agenda autonome, sous réserve qu’il donne la priorité au champ de l’entreprise plutôt qu’aux accords interprofessionnels », explique Pierre Ferracci.

Faire revenir les intellos

Pour autant, l’exercice a permis au Medef de retrouver des marges de manœuvre et de confronter ses cadres à la négociation interprofessionnelle à forts enjeux qu’ils n’avaient que sporadiquement pratiquée entre 2017 et 2023, si l’on excepte les négociations sur la santé au travail et le télétravail en fin de crise Covid – et encore, l’organisation ne s’y était alors engagée qu’avec mauvaise grâce – et, plus récemment, sur le partage de la valeur. De quoi remuscler les troupes alors que les nuages noirs s’amoncellent dans le ciel de la Macronie depuis juin 2022. « On a changé d’époque : le président n’a plus de majorité à l’Assemblée nationale et la situation économique est marquée par le mauvais état des finances publiques. Dans ce contexte, le Medef doit renforcer encore son influence en s’organisant, notamment pour gagner la bataille des idées », résume Jacques Creyssel. Car, en la matière, il y a danger pour l’organisation patronale. Forts de cinq mois de mobilisation contre la réforme des retraites et d’une intersyndicale qui ne donne pas de signes de faiblesse, les syndicats ont repris du poil de la bête. Et entendent bien profiter de ce rééquilibrage de la balance en leur faveur pour imposer leur agenda lors des concertations sur le pacte de la vie au travail qui viennent de s’ouvrir en mai, notamment en réinterrogeant la pertinence des ordonnances travail de 2017, quitte à en bazarder l’essentiel du contenu.

Les deux candidats à la présidence du mouvement en sont conscients. « Même si les entreprises ne sont pas les premières bénéficiaires de la réforme des retraites, le Gouvernement pourrait être tenté de s’en servir comme variable d’ajustement d’une réforme mal vécue par l’opinion publique », admet Patrick Martin. Et sa rivale d’abonder : « Nous risquons de servir de paratonnerre dans cette affaire. » Autrement dit, l’exécutif pourrait choisir de mettre la pédale douce sur sa politique de l’offre et d’acheter la paix sociale avec les syndicats… en faisant régler la facture par les patrons ! À moins que le Medef ne retrouve en son sein la matière grise et les arguments qui lui permettraient d’inverser la vapeur en matière de production de doctrine.

Mais le peut-il, alors que l’expertise a déserté l’avenue Bosquet pour se réfugier dans les fédérations ou à l’Association française des entreprises privées qui regroupe les grands groupes du CAC40 ? Dans son programme, Dominique Carlac’h entend faire revenir les intellos au Medef en misant sur une organisation plus transversale, qui offrirait aux fédérations et aux territoires l’occasion de travailler en filières sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, et en réorganisant la gouvernance du mouvement autour de trois pôles : les équilibres sociaux, l’économie et la souveraineté ; et les transitions, avec la question de la place des entreprises dans la société. Patrick Martin, pour sa part, prévoit la fondation d’un « Medef Lab » chargé de phosphorer en association avec différents think tanks, ainsi que la création d’une fonction de vice-président en charge des idées et de la prospective pour laquelle il semble déjà avoir une idée de l’occupant. « Ce sera une femme, une entrepreneuse de très haut niveau ! » annonce-t-il. Si la bataille pour la présidence du mouvement s’annonce rude, celles à mener pendant les cinq prochaines années pour redonner à l’organisation son rôle moteur risquent de l’être encore plus…

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre