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Jacques Creyssel tourne la page de la FCD

Organisations patronales | publié le : 13.09.2023 | Frédéric Brillet

Jacques Creyssel, délégué général de la FCD

Jacques Creyssel, délégué général de la FCD

Crédit photo Cécile Dorleans / FCD

C’est un vieux routard du social qui s'apprête à tirer sa révérence. Après douze ans passés à la tête de la Fédération du commerce de détail, Jacques Creyssel s’apprête à passer la main. Et revient sur une carrière qui l’a vu passer de Bercy au Medef, en passant par le CESE.

Dans l’attente de la nomination de son successeur, prévue à la rentrée, Jacques Creyssel reçoit encore dans son bureau de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD)1, près de la place de l’Étoile. Après douze années à son poste, ce cadre dirigeant de 67 ans, à la silhouette imposante et au ton affable, va passer la main. Mais cet hyperactif a plus d’un mandat dans son sac : “Je vais conserver mes fonctions de représentation au Medef, au Conseil économique, social et environnemental et dans les fédérations qui s’occupent du commerce à l’échelle européenne et internationale”, relativise-t-il. Longtemps demeuré dans l’ombre, lorsqu’il était directeur général du Medef sous l’ère Seillière et ne parlait qu’en off aux journalistes, il a commencé à prendre la lumière en devenant délégué général de la FCD. Un poste stratégique, dans lequel il n’a cessé de défendre le point de vue et les intérêts de la grande distribution auprès des politiques et du grand public. Au point de s’imposer dans les médias comme une alternative à Michel-Édouard Leclerc qui, comme les autres dirigeants de groupements d’indépendants, n’adhère pas à la FCD. Un poste sur lequel il s’est taillé une réputation de bon client, tout en rondeur, qui répond vite et bien. “C’est un lobbyiste dans le bon sens du terme : il défend des valeurs et sait faire preuve de diplomatie dans les situations tendues”, résume Frédérique Bayre, directrice de la communication de la FCD depuis 2015, qui a travaillé sous son égide.

L’épisode des gilets jaunes, la crise sanitaire, puis le retour de l’inflation l’ont conforté dans ce rôle. Quoi de plus normal, puisque “notre activité touche la vie quotidienne des Français”, commente-t-il. Et pour redorer l’image du secteur, il n’a pas ménagé ses efforts. La flambée des prix l’a amené à créer un poste de directeur des études à la FCD pour argumenter sur ce sujet face aux multinationales de l’agroalimentaire dont les marges s’envolent. Sur le front social, il a travaillé à moderniser la convention collective de la grande distribution où, plaide-t-il, “le salaire minimum est le plus élevé de toutes les grandes branches à forte intensité de main-d’œuvre”.

Refondation sociale

Rien pourtant ne le destinait à devenir la tête de gondole des grandes enseignes. De par sa famille, cet héritier, au sens bourdieusien du terme, était programmé pour se mettre au service de l’intérêt général plutôt que des intérêts particuliers. Fils d’énarque professeur à Sciences Po, il a perpétué la tradition familiale en passant par l’ENA pour devenir haut fonctionnaire au ministère de l’Économie et des Finances. Après dix ans de bons et loyaux services, il se hisse au poste de sous-directeur en charge des salaires et retraites des trois fonctions publiques. C’est à cette occasion qu’il découvre les coulisses des négociations sociales, “leur théâtre, leurs jeux d’acteurs et ce mélange étonnant de politique et de technicité”.

En 1993, il pose ses valises au CNPF, devenu par la suite le Medef. Pourquoi ce virage ? “À l’époque, j’ambitionnais de devenir directeur du budget. Mais ce poste très exposé et précaire est à la merci des remaniements ministériels. Et puis j’avais envie de nouveauté et de me rapprocher du monde de l’entreprise”, se souvient-il. Va donc pour le syndicat patronal, qui l’intronise directeur des affaires économiques, un poste qui consiste essentiellement à faire du lobbying sur des dossiers économiques, fiscaux et juridiques. Sous son égide, l’organisation patronale obtient la suppression de la taxe professionnelle et un aménagement du paiement de la TVA favorable aux entreprises. Tant ses premiers faits d’armes que son sens de la négociation lui valent d’être promu, en 1998, directeur général et donc numéro deux de l’organisation patronale, après sa mutation engagée par Ernest-Antoine Seillière à l’issue de la bataille perdue des 35 heures. Chose inédite jusqu’alors, Jacques Creyssel y coiffe les pôles économiques et sociaux. Avec Denis Kessler, vice-président exécutif et éminence grise de l’organisation patronale, il lance le vaste chantier de la refondation sociale et son cortège de négociations avec les syndicats et les pouvoirs publics, à commencer par la réforme de l’assurance-chômage.

De ces années “refondatrices”, il garde le souvenir d’une lutte épique “entre démocratie politique et sociale”. L’équipe du Medef, dans laquelle il joue un rôle de premier plan, emporte alors une double victoire : face aux pouvoirs publics, l’organisation patronale fait valoir la primauté de la démocratie sociale et la nécessité de laisser négocier les partenaires sociaux. Face aux syndicats divisés sur la question, le Medef défend la décentralisation du dialogue social et, au nom de la compétitivité, la possibilité de renverser la hiérarchie des normes : désormais, les accords d’entreprise pourront déroger aux accords de branche sur certains sujets, comme l’aménagement du temps de travail. Jacques Creyssel s’implique aussi dans le dossier sensible de la réforme des retraites de François Fillon en 2003, puis dans celle de Nicolas Sarkozy de 2007-2008 sur les régimes spéciaux. Sous l’ère de Laurence Parisot, il mène encore de front deux chantiers qui aboutissent à deux lois en 2008 : la réforme de la représentativité renforce le rôle des élections professionnelles et la rupture conventionnelle introduit la notion de divorce par consentement mutuel dans le contrat de travail. Autant de réformes et de lois qui ont servi la cause des entreprises. Mais pas que : “La démocratie sociale a progressé dans la décennie 2000. Les partenaires sociaux ont montré leur sens des responsabilités et marqué leur autonomie par rapport à l’État, ce qui a constitué une rupture après la loi sur les 35 heures, décidée d’en haut”, estime Jacques Creyssel.

Le CESE comme fil rouge

À force de négocier tous azimuts avec l’État et les syndicats, qu’a-t-il appris durant ces marathons qui rythment la vie sociale? “À respecter la partie adverse en allant jusqu’au bout de la discussion. Il ne faut pas donner le sentiment que tout est bouclé à l’avance et savoir lâcher de petites choses au bout de la nuit.” C’est aussi un sport d’endurance qui requiert de pouvoir “récupérer dans un fauteuil durant les suspensions de séance nocturnes et de tenir la distance en s’octroyant un petit whisky quand on a épuisé les vertus du café…”

Jacques Creyssel aurait pu poursuivre sa carrière au Medef, mais, en 2008, la présidente Laurence Parisot le congédie brutalement pour faute grave. Motif invoqué : le numéro deux lui aurait dissimulé certains faits concernant l'Association entreprises et logement (AEL), fondée par un cadre et deux élus du Medef. Ce conflit, qui prend vite un tour personnel, détonne dans la sphère patronale, habituée aux discrètes ruptures conventionnelles et au lavage de linge sale en famille. Une voie qu’aurait préféré emprunter le consensuel Jacques Creyssel, mais sa patronne ne lui laisse pas d’autre choix que le recours contentieux. Dans l’attente du jugement, il vit deux années pénibles. “C’était difficile de retrouver un emploi, car l’affaire était sur la place publique et les recruteurs craignaient de mécontenter la direction du Medef.” Il s’inscrit même au chômage : “La présidente de l’Unedic m’a accordé un traitement VIP : j’ai signé les papiers dans son bureau”, s’amuse-t-il aujourd’hui. Membre de la section des affaires sociales du CESE, il profite de cette parenthèse pour rédiger un rapport sur “les enseignements à tirer de la crise en matière de garanties sociales”, qui défend les atouts de la retraite à points. Le Conseil aura finalement été un long fil rouge dans son parcours. Aujourd’hui, encore président de sa commission économie et finances, Jacques Creyssel défend fermement l’institution contre les critiques qui doutent de son utilité. “C'est un endroit qui a le mérite de faire se rencontrer des gens différents issus de la société civile pour parvenir à des consensus intelligents.”

En 2010, enfin, les prud’hommes reconnaissent que son licenciement est sans cause réelle ni sérieuse et condamnent le Medef à lui verser 736 000 euros d’indemnités. Sorti blanchi de cette affaire, il décroche le poste de délégué général de la FCD en 2011 – au grand dam de Laurence Parisot – d‘autant que ses nouvelles fonctions lui donnent droit de revenir siéger avenue Bosquet comme membre du conseil exécutif et du bureau. “Mais j’ai attendu son départ en 2013 pour y remettre les pieds.” Diplomate, toujours…


(1) Fédération dont Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, vient d'être élu président le 28 août dernier.

Auteur

  • Frédéric Brillet