logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

« La CSRD produit un changement de paradigme » (Ute Meyenberg, CFDT Cadres)

Relations Sociales | publié le : 29.08.2024 | Propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins

Ute Meyenberg, CFDT Cadres : « La CSRD produit un changement de paradigme. »

Crédit photo DR

Adoptée le 14 décembre 2022, la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) impose aux entreprises de nouvelles obligations en matière de durabilité et d’information des instances représentatives du personnel (IRP). Ute Meyenberg, secrétaire nationale de la CFDT Cadres, détaille les changements qui se produiront dès 2025.

Quels sont les facteurs qui ont poussé à l’adoption de la CSRD ?

Ute Meyenberg : La directive NFRD (Non Financial Reporting Directive), transposée en France par la Déclaration de performance extra-financière (DPEF), est entrée en vigueur en 2017 et s’appliquait aux entreprises de plus de 500 salariés avec un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros et un bilan total au-dessus de 20 millions d’euros, soit 11.000 entreprises de l’Union européenne. Les entreprises avaient une latitude de présentation des données qui leur permettait de montrer les conséquences environnementales, sociales et de gouvernance de leurs actions sous le meilleur angle possible. Cela pouvait parfois s’apparenter au greenwashing. D’où le besoin d’informations plus précises et donc normées, qui a abouti à la CSRD et qui impose en plus un contrôle externe par des organismes tiers indépendants [en France, ce seront la plupart du temps des commissaires aux comptes, NDLR] qui devront certifier les données. Les premiers rapports qui mettent en application la CSRD devront être rendus publics en mars 2025 sur les données de l’année 2024.

Quels sont les changements majeurs ?

U. M. : Avec la CSRD, les entreprises devront fournir le même type d’informations que pour la NFRD, c’est-à-dire globalement tout ce qui a trait à l’environnement, le social et la gouvernance (ESG), mais de façon beaucoup plus normée, donc plus comparable. L’une des différences majeures, c’est que les seuils d’application de la CSRD sont inférieurs à ceux de la NFRD. Désormais, ce sont les entreprises de plus de 250 et non plus de plus de 500 salariés qui sont soumises à cette obligation. Le nombre d’entreprises concernées dans l’Union européenne passe ainsi de 11.000 à 46.000. C’est gigantesque. Les données exigées par la CSRD sont spécifiées par un acte délégué, les European Sustainability Reporting Standards (ESRS). Si la CSRD elle-même tient en 65 pages, les ESRS établis par l’Efrag, une association d’intérêt public créée sous l’égide de la Commission européenne et qui établit les normes comptables et de durabilité, sont détaillées sur plus de 280 pages. Les exigences sont bien plus précises que celles de la NFRD. Pour les données sociales S1 concernant l’effectif de l’entreprise, il y aura 17 thématiques différentes, allant de la politique sociale de l’entreprise jusqu’aux données chiffrées similaires à celles disponibles à travers le bilan social en France. Toutes ces informations seront publiées dans le document d'enregistrement universel, celui qui rassemble toute l'information juridique, financière, économique, etc., sur l’entreprise. Désormais, les rapports de durabilité doivent être intégrés dans ce document d'enregistrement universel. Il s’agit de mettre les informations de durabilité au même niveau que les informations financières et d’établir un lien entre elles.

Quel est l’enjeu de la transposition en droit français de cette directive CSRD ?

U. M. : La transposition permettra aux IRP d'être consultées sur les données ESG lors des trois consultations obligatoires portant sur la stratégie, l’état financier et le social. Depuis 2021, les représentants des salariés ont le droit d’être consultés sur la dimension environnementale. La DPEF existe depuis 2018, mais ces données étaient rarement discutées lors des consultations en entreprise. Avec la transposition de la CSRD, ce droit est renforcé car les entreprises seront obligées de présenter les données ESG aux IRP. Maintenant, les experts des CE comme les cabinets Ethix, Syndex et autre Secafi vont se pencher sur ce rapport-là et l’analyser pour les représentants du personnel. Et j’espère que les IRP et les administrateurs salariés vont également prendre connaissance de ces rapports.

Quelles seront les répercussions pratiques ?

U. M. : La CSRD élargit le domaine de la RSE et produit un changement de paradigme. Elle fait une place aux stakeholders, c’est-à-dire les « porteurs d'intérêt », et non plus seulement aux actionnaires. Si on prend l’exemple de la norme sur la pollution, il sera possible de comparer les données relatives à la pollution dans la partie du document d’enregistrement universel d’une entreprise industrielle, données produites pour respecter la CSRD, avec celles qui sont mentionnées dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (Duerp). Si la comparaison des données fait apparaître une incohérence, les représentants des salariés pourront demander que soient mises en place des mesures pour protéger les salariés contre telle ou telle pollution. Les représentants des communautés touchées par ces pollutions pourront aussi agir.

Ces données porteront-elles aussi sur l’état social ?

U. M. : La CSRD permettra aussi de connaître l’écart de rémunération entre hommes et femmes sur le salaire horaire, plus lisible que notre index égalité, et un ratio de rémunération totale qui prend en compte la plus haute rémunération divisée par la médiane de tous les salariés. Ce sont des données qui n’étaient pas fournies avant. Des données sur les entités à l’étranger seront aussi disponibles. Mais attention, les données issues de la CSRD sont fournies au niveau du groupe, les IRP pourront donc comparer la situation de leur entreprise avec les données du groupe s’ils disposent de données similaires au niveau de leur entreprise. Il y aura aussi des données sur toute la chaîne de valeur et notamment sur les sous-traitants, notamment au niveau des conditions de travail.

Quelles informations seront disponibles sur les sous-traitants ?

U. M. : Les entreprises vont devoir fournir certaines données sur les travailleurs de leur chaîne de valeur, c’est-à-dire leurs sous-traitants. Cependant, ces données sont narratives et racontent notamment la stratégie et les politiques envers les sous-traitants pour gérer des enjeux importants liés à ces parties prenantes. Ils concernent notamment les conditions de travail et surtout le respect des droits humains. Il faut mentionner que ces normes se sont vu opposer une résistance très forte et il y a eu un lobbying très intense des entreprises pour ne pas avoir à fournir toutes les données tout de suite. La négociation a été très dure et le patronat y était très opposé parce que la fourniture de toutes ces données représente un coût. Un délai a été institué pour fournir la totalité des informations, mais toutes les entreprises n’auront pas le même comportement. Certaines vont les fournir rapidement et d’autres vont attendre le délai de 3 ans. Les arguments du Medef contre les normes sociales étaient exactement les mêmes qu'en 1977 lorsqu’on a introduit le bilan social. En revanche, les investisseurs veulent avoir ces normes pour construire des portefeuilles boursiers attractifs. Il leur faut donc ces données sociales et donc, une fois n’est pas coutume, le secteur financier a été notre meilleur allié pour pousser à l’adoption de la CSRD !

Que préconisez-vous ?

U. M. : Nous estimons que les représentants des salariés ont intérêt à se saisir de toutes les données disponibles. Cependant, des données sur le changement climatique, les plans de transition et la biodiversité, l’eau et la pollution – bref, les normes environnementales – sont certainement les plus pertinentes lors de la consultation sur la stratégie de l’entreprise. Ces données renseigneront forcément sur les changements nécessaires par rapport à la formation du personnel, c'est-à-dire la GPEC, mais aussi par rapport aux recrutements ou même l’annonce des restructurations. Nous ne pouvons pas préjuger ce qui sera présenté lors des consultations, car les premières données ne seront disponibles qu’avec la publication des comptes de 2025. Nous espérons toutefois que les entreprises et les IRP avec leurs consultants s’empareront de façon constructive de ces nouvelles données selon les thématiques qui sont importantes pour elles. Par exemple, une entreprise de services ne va pas forcément parler de sa consommation et gestion de l’eau alors que c’est primordial pour une entreprise industrielle.

Auteur

  • Propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins