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"Il faudra rendre plus contraignantes les obligations des branches en matière d'usure professionnelle" (Yvan Ricordeau, CFDT)

Dialogue Social | publié le : 29.11.2023 | propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins

La CFDT se veut en pointe dans les négociations sur le Cetu, les seniors et l’usure professionnelle

La CFDT se veut en pointe dans les négociations sur le Cetu, les seniors et l’usure professionnelle

Crédit photo DR

Un peu douchée par le refus gouvernemental d'agréer le protocole d'accord sur une nouvelle convention d'assurance-chômage qu'elle a signé , la CFDT se prépare à engager le nouveau cycle de négociations sur l'emploi des seniors, l'usure et les transitions professionnelles et le compte épargne-temps universel (Cetu), une dernière thématique qu'elle porte elle-même depuis 2014. Avec quels arguments ? Revue de détail avec Yvan Ricordeau, numéro 2 de la centrale réformiste.

Quelle est la position de la CFDT sur le compte épargne-temps universel ?

Yvan Ricordeau : L'objectif de la CFDT, c'est de voir se mettre en place le compte épargne-temps universel. C’est une revendication très importante de notre organisation. Le but, c'est que l'ensemble des salariés bénéficie d'un compte épargne-temps tout au long de leur carrière, quels que soient leur statut, la taille de leur entreprise ou leur parcours professionnel. Le Cetu doit être un dispositif portable, c'est-à-dire qu'il accompagne la personne pendant toute sa carrière sans être attaché à son entreprise. C'est le premier élément qui est pour nous essentiel. Le deuxième élément, c'est que ce dispositif soit confidentiel, c'est-à-dire que seul le salarié doit connaître le niveau d’abondement de son Cetu. Et le troisième élément, c'est que le Cetu soit universel, il faut qu’il concerne tout le monde. Dans un premier temps, l’enjeu est d'étendre le Cetu à l'ensemble des salariés du privé, puis il faudra qu’il puisse également bénéficier aux agents du public.

Quelles limites poserez-vous à l’usage du Cetu ?

Y. R. : Il y a des conditions de mise en œuvre qui sont très importantes pour la CFDT, ce sont des marqueurs. D’abord, la monétisation ne doit pas être l'utilisation prioritaire du Cetu. Il s’agit avant tout de la gestion du temps tout au long de la carrière. Nous allons donc négocier des garde-fous. L'autre élément important, c'est le fait que ce ne soit pas un dispositif pour gérer les fins de carrière, mais qu’il soit utilisé tout au long du parcours, en fonction des souhaits des travailleurs et travailleuses. En effet, certaines organisations patronales voient le Cetu uniquement comme un outil pour anticiper les départs à la retraite. Cela pourra être une utilisation, mais cela ne doit en aucun cas être la seule. Le Cetu doit être un dispositif gagnant-gagnant. Il y a une aspiration des salariés à pouvoir bénéficier de périodes d'interruption de carrière, qu'ils doivent pouvoir aménager comme ils le souhaitent. C'est bien ça l'objectif.

Quelles sont vos propositions sur l’emploi des seniors ?

Y. R. : Il s’agit de faire en sorte que dans les entreprises, on s'intéresse à la qualité de l'emploi des salariés dans leur dernière partie d'activité. Il faut sortir d'un système où un salarié de plus de 50 ans commence à devenir moins intéressant pour l'entreprise parce qu’il est proche de la retraite. Si on veut améliorer l'emploi des seniors pour les garder en activité jusqu'au moment de leur départ à la retraite, alors il faut aménager les postes et cela veut dire qu'il faut continuer de miser sur ces salariés et changer d'optique. D’abord, il faut soutenir plus fortement les dispositifs permettant de diminuer progressivement son activité en fin de carrière, les dispositifs de pré-retraite progressive. Il faut les valoriser pour faire en sorte d'aménager et d’adoucir les fins de carrière. Pour y arriver, cela nécessite deux choses. La première, c'est un rendez-vous à mi-carrière – nous ne fixons pas d'âge pour l'instant – qui fasse un check complet des enjeux liés à la santé au travail et au parcours professionnel du salarié. Ce rendez-vous doit faire le lien entre la formation professionnelle et la compétence et santé au travail. Le deuxième point, c'est de rendre obligatoire une négociation dans les entreprises sur la question de l'emploi des seniors, de faire en sorte que toutes les entreprises négocient pour améliorer les dispositifs existants.

Comment envisagez-vous la question de l’usure professionnelle et des transitions ?

Y. R. : Concernant l’usure et la reconversion professionnelles, le système aujourd'hui est peu développé en France. Depuis 2017, le Gouvernement a fait le choix de réduire les dispositifs qui favorisaient la reconversion professionnelle et qui sont pourtant très utiles, notamment autour des enjeux de santé au travail. Il faut les développer. Il y a deux dispositifs que nous regardons de près : la reconversion au sein d'une même entreprise, mais il faut également accompagner des salariés qui souhaitent à la fois changer de métier et d'environnement professionnel. Pour cela, il faut développer le recours au conseil en évolution professionnelle. L'autre enjeu pour la santé concerne des dispositifs internes aux entreprises. Il faut les simplifier pour qu'ils soient mieux connus et mieux utilisés. Il y a un enjeu financier puisque le Gouvernement a réduit par deux les moyens des projets de transition professionnelle, il n’y a donc rien d’étonnant à ce que ces dispositifs soient peu développés. Il va y avoir une discussion sur les moyens à mobiliser. À partir du moment où tout le monde s’accorde à dire qu’avec les transitions écologiques et numériques il va y avoir beaucoup de reconversions à opérer, il faudra nécessairement renforcer les financements.

Comment doit être utilisé le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu) ?

Y. R. : Avec le Fipu, il y a un financement important en matière de moyens de prévention1. Maintenant, il faut que les branches se saisissent de cet enjeu. Nous ne pouvons pas être dans un pays qui prolonge de deux ans l'activité, du fait d’un report de l'âge de la retraite, et en même temps qui continue de négliger les conditions de travail de ceux qui sont les plus exposés sur leur poste. Il faut changer d'optique, notamment en matière de prévention. Les financements sont là, il faut que les branches se saisissent de cette question. Il faudra rendre plus contraignantes les obligations des branches professionnelles par rapport aux questions d’usure professionnelle. Les organisations patronales doivent être à la hauteur des enjeux. Il y a un travail de ciblage des métiers qui est préalable à ces questions, sur lesquelles il va falloir accélérer. On n'est pas au niveau aujourd'hui. C'est bien sur la déclinaison de toute la mise en œuvre du Fipu que nous serons exigeants.


(1) Le financement prévu s’établit à un milliard d’euros sur cinq ans.

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  • propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins