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Uber et le statut des travailleurs des plateformes

Règlementation du travail | publié le : 28.06.2023 | Yvan William

La chronique juridique d’Yvan William.

La chronique juridique d’Yvan William.

Crédit photo DR

La chronique juridique d’Yvan William.

La vertu des concepts hérités du Code civil napoléonien tient aussi à leur permanence. Le contrat de travail est historiquement né du contrat de louage, dont la version inscrite au Code civil n’a pas évolué depuis 1804. Paradoxe, il est également à l’origine du contrat de prestation de service parfois utilisé pour contourner le contrat de travail. Le développement toujours croissant des formes d’extériorisation de l’emploi (par exemple, le recours aux contrats commerciaux pour exécuter des tâches pouvant être réalisées par des salariés de l’entreprise) réinterroge en effet les frontières du salariat, comme ont pu le faire auparavant d’autres formes de travail (sous-traitance…).

Les plateformes de mise en relation de travailleurs indépendants avec des clients illustrent le trouble qu’engendrent ces nouveaux modes de travail. Économiquement, la réussite du groupe Uber est pour certains un exemple du triomphe de ce modèle économique et social. Les récents déboires financiers et judiciaires de plusieurs entreprises et établissements financiers du milieu de la tech interrogent sur la réalité de leur performance et des effets du Fake it until you make it, mantra de certaines start-up.

Juridiquement, malgré de nombreux contentieux, la qualification de la nature du rapport juridique des travailleurs avec les plateformes semble toujours susciter des difficultés. Resituons le débat : en dépit de leur qualification de travailleur indépendant, les conditions d’exécution des prestations des chauffeurs Uber (ou d’autres plateformes) permettent-elles de caractériser un lien de subordination juridique permanent ?

On nous disait que le débat était clos après que la Cour de cassation a reconnu à plusieurs reprises l’existence d’un contrat de travail entre Uber et certains chauffeurs (Cass. soc. 25/1/2023, n° 21-11.273). La grille d’analyse de l’existence d’un lien de subordination confirmée encore récemment par la Cour de cassation (Cass. soc. 15/3/2023 n° 21-17.316, affaire impliquant la société Bolt) était pourtant claire. Pendant le temps où il est connecté à la plateforme, le chauffeur peut être lié par un contrat de travail si les faisceaux d’indices suivants sont réunis :

• contrôle du temps de conduite et fixation par la plateforme de temps de pause obligatoires selon la durée de conduite ;

• fixation des tarifs de la course et géolocalisation du chauffeur ;

• définition d’un itinéraire type par le biais de l’application ;

• pénalisation du chauffeur sur le prix de la course si ce dernier a emprunté un itinéraire différent jugé inefficace ;

• suspension temporaire du compte d’un chauffeur qui ne répond pas aux sollicitations de l’application ou qui dispose d’une mauvaise notation des clients.

La Cour de cassation en avait déduit que la réunion de ces critères permettait de démontrer l’existence d’un pouvoir de direction, de contrôle de l’exécution de la prestation ainsi qu’un pouvoir de sanction à l’égard du chauffeur, caractérisant l’existence d’un contrat de travail. Dans un arrêt très récent, la cour d’appel de Paris juge inversement sur les mêmes éléments (cour d’appel de Paris, pôle 6 – chambre 2, 23/05/2023), à partir du fondement de la liberté d’entreprendre. Une saute d’humeur sans doute… Sur ce sujet, il est intéressant de rapprocher la position de la Cour de cassation avec le projet de directive européenne du 9/12/2021 sur les conditions de travail des personnes travaillant par l'intermédiaire une plateforme de travail numérique. Ce texte prévoit en effet une présomption de salariat dès lors que la relation de travail avec la plateforme remplit au moins deux des critères suivants :

• déterminer le niveau de rémunération ou fixer des plafonds ;

• superviser l’exécution du travail par des moyens électroniques ;

• restreindre la liberté de choisir ses horaires de travail ou ses périodes d’absence, d’accepter ou de refuser des tâches ou de faire appel à des sous-traitants ou des remplaçants ;

• fixer des règles contraignantes spécifiques en ce qui concerne l’apparence, la conduite envers le destinataire du service ou l’exécution du travail ;

• restreindre la possibilité de se constituer une clientèle ou d’effectuer des travaux pour un tiers.

Le Sénat français a proposé, sous certaines réserves d’adaptations, la transposition de cette directive quand elle sera adoptée. En France, la saga judiciaire d’Uber et des plateformes n’est donc pas achevée. Le droit est têtu, les juges aussi…

Auteur

  • Yvan William