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Abandon de poste ou démission : "le problème du préavis de démission n’est pas résolu"

Droit du travail | publié le : 30.09.2022 | Benjamin d'Alguerre

Pierre Warin, avocat en droit du travail au cabinet Melville Avocats.

Crédit photo DR

Pour l’avocat en droit du travail Pierre Warin (cabinet Melville Avocats), le projet d’Olivier Dussopt d’aligner la situation de l’abandon de poste sur celle de la démission répond en partie à une injustice juridique, mais ne règle pas le problème du préavis de démission. Entretien.

Que pensez-vous de l’intention d’Olivier Dussopt de durcir l’accès à l’indemnisation chômage pour les salariés en situation d’abandon de poste ?

Pierre Warin : Je pense que les propos du ministre constituent une partie des solutions à une forme d’injustice juridique, mais seulement à une partie du problème ! Aujourd’hui, le règlement général de l’assurance-chômage prévoit clairement que la condition d’accès à l’allocation de retour à l’emploi (ARE), c’est la privation involontaire d’emploi. Ce qui inclut le licenciement, y compris pour faute grave ou lourde. Or, en droit français, la démission ne se présume pas. Elle doit être formalisée sans équivoque. Il y a là une forme d’injustice puisque celui qui abandonne son poste finira par être licencié – souvent pour faute grave – par son employeur et bénéficiera donc des indemnités de Pôle emploi dès lors qu’il y est éligible du fait de cet inévitable licenciement, alors que celui qui démissionne selon les règles s’en voit privé. En soulevant la question, au regard du droit aux allocations de chômage, d’un alignement du régime des abandons de poste sur celui des démissionnaires, Olivier Dussopt a mis le doigt sur un point qui méritait en effet réflexion, mais la piste explorée ne suffira pas, à mon avis, à résoudre un autre problème résultant de la différence actuelle de régime entre abandon de poste et démission.

Lequel?

P. W. : Celui du préavis de licenciement. En général, lorsqu’un salarié abandonne son poste du jour au lendemain, c’est soit en raison d’une urgence professionnelle – il a trouvé un autre travail ailleurs qui nécessite une prise de poste immédiate – soit d’une urgence personnelle qui le conduit à vouloir se libérer immédiatement. Sur ce point, faire le choix de l’abandon de poste, qui provoque généralement un licenciement pour faute grave, sauf à payer au salarié l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement applicable, se révèle alors plus favorable que la démission. Le licenciement pour faute grave libère en effet le salarié de tout préavis sans permettre à l’employeur de réclamer au salarié le paiement de l’indemnité compensatrice de préavis, comme il peut le faire en cas de démission suivie d’un préavis non exécuté par le salarié sans accord de l’employeur. Pour un salarié qui souhaite quitter son poste immédiatement, la démission reste à ce jour plus risquée que l’abandon de poste. Cette difficulté serait en revanche réglée si, comme le prévoit un nouveau projet d’amendement [n°393 , NDLR] qui doit être discuté en ce début de semaine, le salarié abandonnant son poste est présumé démissionnaire, sous le contrôle du juge, ce qui conduirait, sauf requalification en justice, à aligner le régime de l’abandon de poste sur celui de la démission, y compris donc en ce qui concerne le préavis.

En cette période de nouvelle réforme de l’assurance-chômage, Olivier Dussopt ne songe-t-il pas à soulager les finances de l’Unédic en coupant la possibilité aux salariés abandonnant leur poste de la possibilité de bénéficier de l’ARE ?

P. W. : Je ne sais pas si ces raisons financières sont déterminantes. Je ne dispose pas des chiffres détaillés de l’Unédic, mais je pense que la part des allocations-chômage suivant les abandons de postes dans les dépenses de l’assurance-chômage demeure marginale. En revanche, Olivier Dussopt a, me semble-t-il, corrélé sa proposition au phénomène de "grande démission" que nous connaissons en ce moment, et je crois qu’il faut voir dans cette annonce des enjeux sociétaux, symboliques et politiques tenant à une certaine vision de l’équité et de la responsabilité individuelle qui va plutôt dans le sens de ce que défend son parti.

L’opposition de gauche et quelques syndicats de salariés ont invoqué le caractère protecteur du droit eux allocations-chômage suite à un abandon de poste pour justifier son maintien dans les conditions actuelles. Qu’en pensez-vous ?

P. W. : C’est en partie vrai. Mais je pense pour ma part qu’un salarié qui abandonne son poste – ce qui constitue en principe une inexécution fautive de son contrat de travail – à cause de mauvaises conditions de travail ou d’un environnement professionnel potentiellement dangereux prend un risque. Il dispose de plusieurs procédures légales mieux adaptées à sa situation. En premier lieu, parce qu’en cas de danger immédiat, il est toujours possible d’exercer un droit de retrait. Ensuite, parce qu’en cas de souffrance au travail ou de risque pour sa santé, l’arrêt maladie susceptible d’être délivré par un médecin est préférable à l’abandon de poste. Enfin, lorsqu’un salarié considère que son employeur ne respecte pas ses obligations contractuelles – soit qu’il laisse les conditions de travail se dégrader et devenir dangereuses ou qu’il ne paye plus ses salariés par exemple – il existe toujours la possibilité pour le salarié de prendre acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur. Le salarié peut mettre ainsi fin au contrat et c’est aux prud’hommes de trancher : si les juges rejettent cette prise d’acte car les griefs du salarié apparaissent insuffisamment fondés, elle produira les effets d’une démission. Mais si les juges valident cette prise d’acte, alors la rupture produit les effets d’un licenciement illégal et le salarié pourra ainsi bénéficier, en principe, de l’indemnité de licenciement applicable, de l’indemnité de préavis et de dommages et intérêts pour licenciement abusif (voire nul), en plus des allocations de l’assurance-chômage. Cette procédure de prise d’acte est en outre théoriquement rapide puisque le tribunal doit statuer sous un mois à compter de sa saisine, même si, dans les faits, l’engorgement des conseils de prud’hommes peut entraîner des délais plus longs. Il existe enfin, une ultime procédure, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail. Elle passe également par une saisine du conseil de prud’hommes, mais le salarié reste en poste (quoique, selon son état de santé il peut être en arrêt de travail). Si la demande du salarié est acceptée par les juges en raison des manquements de l’employeur, il est mis fin au contrat de travail sous forme d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ouvre les droits aux mêmes indemnités qu’en cas de prise d’acte validée ainsi qu’à l’ARE. Et en cas de réponse négative des prud’hommes, le contrat de travail se poursuit. Bref, il existe tout une gamme de solutions juridiques alternatives à l’abandon de poste qui, encore une fois, constitue en principe une faute du salarié.

A-t-on une idée du nombre d’abandons de postes chaque année en France ?

P. W. : Je n’ai pas connaissance de statistiques à ce sujet. De mon point de vue d’avocat en droit du travail, je n’ai pas constaté dans le cadre de ma pratique d’augmentation substantielle de ces abandons au cours de ces derniers mois.

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre