Jérôme Giusti, avocat de plus de 300 travailleurs de plateformes demandant la requalification de leurs contrats, a accompagné la création d’une coopérative de chauffeurs VTC de Seine-Saint-Denis (93) qui devrait voir le jour début 2022. Il en détaille pour Info-SocialRH.fr la genèse et les objectifs.
Quelles actions menez-vous en faveur des chauffeurs VTC de plateformes ?
Jérôme Giusti : J'ai actuellement 350 dossiers de demandes de requalification des contrats. Le 26 novembre 2021, j'ai plaidé pour une dizaine de clients devant le conseil de prud'hommes de Paris et je plaiderai pour soixante autres clients en février 2022. En droit, ce sont des indépendants fictifs, comme l'ont dit la Cour de cassation, dans sa décision du 4 mars 2020, ainsi que les cours d'appel, dans leurs jugements du 12 mai et 16 septembre 2021. Uber, qui capte 80 % du marché des trajets avec chauffeurs, abuse de sa position dominante pour imposer le statut d'autoentrepreneur, fixer le prix des courses et le changer quand bon lui semble, mais aussi déconnecter les chauffeurs de son application selon des critères totalement opaques.
Quelle est la genèse de la coopérative de chauffeurs VTC en Seine-Saint-Denis dont vous accompagnez le lancement ?
J. G. : Cette coopérative, qui sera une société coopérative à intérêt collectif (SCIC), a été imaginée à l'initiative de 500 chauffeurs VTC qui veulent gagner en autonomie. Ils vont se développer sur un marché différent de celui de Uber dont la logique – répondre à la demande dans des délais très brefs – pousse les prix à la baisse alors que la commission prélevée ne cesse d'augmenter. Cette coopérative va répondre aux précommandes d'entreprises, un marché B2B où les prix sont plus élevés et où les chauffeurs pourront participer la fixation des prix proposés par la coopérative. Cela devrait leur assurer une meilleure rémunération de leur travail tout en offrant la possibilité aux entreprises d'entrer dans une logique d'achat responsable, solidaire et écologique puisque les véhicules utilisés seront hybrides. La coopérative pourra aussi postuler à des marchés publics, en particulier pour assurer la mobilité de publics spécifiques comme les personnes âgées ou en situation de handicap. La qualité de ce service sera garantie par un label de qualité écoresponsable délivré par l'Afnor. Cette coopérative pourra compter sur des subventions, des financements privés et le soutien de la confédération générale des Scoop. Son lancement officiel devrait intervenir au premier semestre 2022.
En quoi cette structure va-t-elle permettre aux chauffeurs d'améliorer leurs conditions de travail et leur protection sociale ?
J. G. : Les chauffeurs seront leurs propres employeurs et ils fixeront leurs prix. Avec l'apport de subventions publiques et de financements privés, les conditions de travail seront meilleures que sur les plateformes où ils travaillaient avant. S'agissant de la protection sociale, la plupart des chauffeurs ont pour l'instant fait le choix de rester indépendants. Ils bénéficieront donc de la protection sociale des indépendants mais sur une base de rémunération plus solide. Ils pourront créer un fonds de garantie, traditionnel dans les coopératives, pour permettre aux personnes malades ou victimes d'un accident, de bénéficier d'un niveau de protection sociale identique à celui des salariés. À terme, ils pourront créer une coopérative d'activité et d'emploi (CAE) dont ils seront les salariés, moyennant le versement d'une contribution variant de 8 % à 14 % de leur chiffre d'affaires, et dont ils pourront devenir des associés. Aujourd'hui, l'opinion publique a compris qu'il y a un problème avec les Gafam. Des entreprises et des particuliers sont prêts à payer un peu plus pour avoir un service responsable et de qualité. Cette prise de conscience est soutenue par les collectivités locales où vivent ces personnes. En soutenant la création d'une alternative comme cette coopérative, elles agissent dans les champs de compétences qui leur sont attribués, en l'occurrence l'attractivité économique et l'emploi.