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AvoSial : «La centralisation du dialogue social a permis d’obtenir des gains qualitatifs»

Règlementation du travail | publié le : 27.05.2023 | Benjamin d'Alguerre

Amélie d’Heilly, présidente d’AvoSial, la principale fédération des avocats d'entreprise en droit social.

Amélie d’Heilly, présidente d’AvoSial, la principale fédération des avocats d'entreprise en droit social.

Crédit photo DR

Partage de la valeur, emploi des seniors, projet de loi « plein-emploi »… Si les praticiens du droit du travail ne s’attendent pas à des évolutions majeures, les dossiers ne vont pas manquer de s’accumuler sur les bureaux des avocats en droit social. Le point avec Amélie d’Heilly, présidente d’AvoSial, la principale fédération de la profession.

Le 24 mai dernier, Olivier Dussopt présentait le projet de loi sur le partage de la valeur, transcrit de l’ANI des partenaires sociaux. Un sujet, cependant, fait débat. Celui du seuil de bénéfices « exceptionnels » à partir duquel se déclenche automatiquement une mesure de partage de la richesse. Le texte renvoie la fixation de ce seuil à la négociation d’entreprise, mais le Conseil d’État a exprimé quelques réserves. Qu’en pensez-vous ?

Amélie d’Heilly : Cette notion de « bénéfice exceptionnel » risque de présenter des difficultés d’application. Et pour les avocats en droit social mobilisés en support de la négociation collective, ce sera effectivement un enjeu délicat. Je comprends les réserves du Conseil d’État sur les capacités à définir et à appliquer cette mesure, mais je persiste à penser que l’accord des partenaires sociaux va dans le bon sens, celui d’une amélioration globale du partage de la valeur en entreprise, même s’il y aura sûrement des difficultés au démarrage.

Les syndicats sont aussi inquiets de constater que le projet de loi ne reprend pas le principe de non-substitution de la prime sur la rémunération. Olivier Dussopt répond que ce principe est déjà acté dans le Code du travail. Cette absence ne porte-t-elle pas le risque de contentieux futurs ?

A. d’H. : Non. Pour les praticiens du droit du travail, ce principe de non-substitution est acquis. Ce n’est même pas un sujet de débat. De toute façon, les entreprises qui ont les moyens de mettre en place des mesures de partage de la valeur ont aussi les moyens de verser des salaires. Hormis peut-être dans quelques PME, je ne vois pas de risques de contentieux sur ce point.

Pourtant, une étude Ifop/Primeum parue le jour même de la présentation du projet de loi en conseil des ministres faisait état d’inquiétudes des salariés sur ce sujet. 75 % des sondés environ estimaient que ces politiques de primes ou d’intéressement les liaient à la bonne santé financière de l’entreprise…

A. d’H. : Je n’ai pas eu connaissance de cette étude, mais je pense qu’elle traduit peut-être davantage un malaise lié aux rapports de pouvoir au travail qu’une crainte sur les rémunérations. Cela me surprend un peu. J’avais plutôt l’impression que la fluidification du marché du travail et la situation de quasi-plein-emploi que nous connaissons et qui a un peu rééquilibré les rapports de force dans les entreprises au profit des salariés auraient plutôt eu tendance à atténuer ce genre d’inquiétudes.

Justement, qu’attendre du futur projet de loi sur le plein-emploi que préparent les services du ministère du Travail ?

A. d’H. : Je ne crois pas qu’il faille attendre une révolution de ce côté-là. Beaucoup de réformes du travail ont déjà été faites durant le précédent quinquennat ou dans la première année de celui-ci. Je ne crois pas à une refonte en profondeur du droit du travail, d’autant que le climat social ne s’y prête pas. Dans le cadre de la préparation du projet de loi, AvoSial a justement formulé onze propositions destinées à fluidifier les relations entre employeurs et salariés. Sur le télétravail par exemple, où subsistent de nombreuses zones de flou susceptibles de générer du contentieux. Prenons le cas des salariés qui choisissent de s’installer à l’étranger : à quelle mutuelle le rattacher ? Sa résidence dans un pays étranger peut-elle, au regard du droit local, se voir assimilée à une installation d’établissement stable et donc à être taxée comme telle ? Comment l’employeur peut-il faire pour imposer à son salarié à l’étranger de respecter les horaires fixés par son contrat de travail ? Tout cela mérite clarification. De même, si le télétravailleur demeure en France, mais décide de résider loin de son lieu de travail habituel. C’est un phénomène qui s’est amplifié avec la crise sanitaire sans que le droit ne bouge en même temps. Typiquement : l’obligation faite à l’employeur de prendre en charge la moitié des frais de transport des salariés est restée intacte, mais ne correspond parfois plus aux habitudes prises avec le télétravail. Financer chaque mois un demi-passe Navigo, c’est une chose. Prendre en charge la moitié du prix de trajets réguliers Paris-Marseille, c’en est une autre pour la trésorerie des entreprises…

Autre chantier que nous suggérons au Gouvernement d’engager, celui de la simplification de la règle de l’échange écrit entre employeur et salarié. Le Code du travail reste fixé sur la lettre recommandée avec accusé de réception, mais il existe aujourd’hui d’autres moyens de communication permettant de prouver la date d’envoi d’un courrier et sa réception par son destinataire. Il est peut-être temps de s’y adapter.

Même chose pour la question du temps de travail. Il n’est pas question de remettre en cause la durée légale, mais il va falloir s’attaquer à la hausse des contentieux liés au forfait-jour. On voit de plus en plus de salariés sous ce statut qui le contestent en justice et demandent l’annulation de leur convention de forfait-jour avec réclamation du paiement de leurs heures supplémentaires sur trois ans. Ce qui peut porter un énorme préjudice à l’employeur ! Alors, sans forcément vouloir revenir sur la possibilité d’annuler une convention forfait-jour, la réglementation pourrait être revue à la baisse sur le calcul rétroactif des heures supplémentaire, par exemple.

Parlant de contentieux, la nouvelle réglementation sur les abandons de poste vous semble-t-elle de nature à réduire les conflits ?

A. d’H. : Tout d’abord, la hausse de la pratique de l’abandon de poste par les salariés est une réalité. Cette augmentation est de l’ordre de 60 % ces dernières années et il fallait bien qu’une solution soit trouvée. Le problème, c’est que la nouvelle réglementation adoptée risque de virer à l’usine à gaz. La mise en demeure du salarié absent me paraît difficile à mettre en place et les fautes de procédure risquent à leur tour d’entraîner des contentieux. Je ne suis pas sûre qu’il s’agissait de la réponse idéale qu’attendaient les employeurs.

Certains employeurs se plaignent que le recul de l’âge de départ à la retraite et l’allongement des carrières ne se traduisent par des dépenses supplémentaires en matière de complémentaires santé. Y a-t-il des risques de contentieux ?

A. d’H. : De contentieux, c’est peu probable, mais les mutuelles et les sociétés de prévoyance vont sans doute revoir leurs tarifs à la hausse. Elles l’ont déjà fait lorsque les complémentaires santé sont devenues obligatoires après la loi sur la sécurisation de l’emploi de 2013 et elles vont recommencer. L’autre conséquence du vieillissement de la population au travail, ce sera l’augmentation des dépenses liées aux accidents du travail ou maladies professionnelles. Dans ces conditions, il n’est pas anormal qu’une organisation patronale comme la CPME propose une exonération de cotisations sociales sur les salariés âgés dans le cadre de la future négociation sur l’emploi des seniors.

Les syndicats veulent profiter des concertations sur le pacte de la vie au travail pour remettre en question le contenu des ordonnances de 2017 et aller, pour certaines organisations, jusqu’à donner davantage d’autonomie aux CSSCT, voire ressusciter les CHCST ? Qu’en pense AvoSial ?

A. d’H. : Personnellement, je ne suis pas favorable au retour des CHSCT. Ils pouvaient constituer des instances de blocage et la centralisation du dialogue social a permis d’obtenir des gains qualitatifs. Peut-être qu’à ce stade, les CSSCT n’ont pas encore donné tout leur potentiel, mais nous n’en sommes qu’à la deuxième mandature des CSE et les instances sont encore en rodage. Certaines entreprises commencent à donner davantage d’espace à leurs CSSCT, d’autres à installer plus de représentants de proximité parce qu’elles en éprouvent le besoin. Laissons du temps au temps.

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre