Les représentants des patrons artisans et des professions libérales sont sortis peu convaincus de la première réunion de concertation sur la réforme de l’assurance-chômage organisée lundi 17 octobre au ministère du Travail. La faute, selon eux, à un projet de réforme qui ne tient pas compte des réalités de l’emploi sur les territoires, des besoins en formation de leurs métiers, et qui pourrait créer une rupture de l’égalité des droits entre demandeurs d’emploi. Explications avec Michel Picon, président de l’UNAPL1 et chef de file de l’U2P dans la concertation.
En sortant du ministère du Travail le 17 octobre, l’U2P affichait plutôt un visage fermé après les premières discussions sur la réforme de l’assurance-chômage. Pourquoi ?
Michel Picon : Je confirme. Je ne suis pas sorti convaincu de cette première réunion de concertation. J’émets déjà quelques réserves sur le postulat de départ qui voudrait que la réduction des droits des chômeurs lorsque la situation est bonne ait des effets sur leur retour à l’emploi, mais, en outre, j’ai des doutes sur la méthode. En premier lieu, les paramètres sur lesquels le Gouvernement se baserait – à cette étape de la concertation – pour décider si la situation économique est bonne ou mauvaise, seraient des chiffres nationaux ne prenant pas en compte les spécificités régionales ou des bassins d’emploi. Or, la situation de l’emploi peut être bonne à l’échelle du pays et très mauvaise dans tel ou tel territoire pour diverses raisons. Certains secteurs de l’artisanat ou du monde des professions libérales ont connu, par exemple, la crise dans les Pyrénées-Atlantiques, mais étaient florissants dans le Gard ou dans le Nord. Ou inversement. Or, on sait que les salariés sont très peu mobiles et il ne suffit pas de demander à un salarié de déménager pour retrouver un emploi. Ne pas tenir compte des réalités territoriales est à mon avis une première erreur. La seconde, c’est que cette réforme est susceptible de créer des injustices entre demandeurs d’emploi. Selon les hypothèses mises sur la table lors de cette première séance de concertation, la durée d’indemnisation monterait à 18 mois lorsque la situation économique est jugée "verte" (favorable), 21 lorsqu’elle est "orange" et 24 si elle tombe dans le rouge. Qu’arrivera-t-il si jamais quelqu’un entre dans le chômage en situation "verte", mais que, quelques mois plus tard, celle-ci passe au rouge ? Ne restera-t-il indemnisé que 18 mois au lieu de 24 comme les nouveaux entrants ? Cela risque de se traduire non seulement pas une mécanique extrêmement complexe pour calculer les droits des uns et des autres, mais créerait de plus une rupture d’égalité entre les chômeurs en fonction de leur moment d’entrée dans le régime. À cela j’ajoute les projections récentes de l’Unédic qui nous annoncent que plusieurs milliers de demandeurs d’emploi sortiraient du régime si la réforme s’appliquait telle quelle. Que vont-ils devenir ? Seront-ils réorientés vers le RSA et les minima sociaux ? Les départements dispensateurs du revenu de solidarité active ont-ils reçu les fonds nécessaires pour absorber ces nouveaux allocataires ? Et que deviennent dans ce scénario les deux millions de chômeurs qui ne touchent aucune indemnité ? Quel segment de demandeurs d’emploi vise-t-on ? Le ministre nous répond que ces questions seront abordées lors des prochaines séances, mais pour l’instant, nous ne sommes pas convaincus.
Cette réforme permettra-t-elle aux artisans et aux professions libérales de trouver les compétences qu’il leur manque ?
M. P. : Je n’en suis pas sûr. Le constat sur le manque de main-d’œuvre dans nos branches est correct. Chez les géomètres-experts, environ 7 000 emplois sont non pourvus. Il n’existe pas un cabinet d’experts-comptables qui ne manque d’aides-comptables. Dans les pharmacies d’officine, on cherche des vendeurs, des préparateurs en pharmacie et même des pharmaciens. Mais sur ces métiers, les questions d’attractivité ou de salaires ne sont pas en cause. La vérité, c’est qu’il existe une inadéquation entre l’offre de formation vers ces métiers et les besoins d’emploi. C’est une préoccupation de longue date et qui aurait dû trouver une réponse dans l’orientation des jeunes vers ces métiers qui recrutent, plutôt que de les entasser dans des filières sans avenir.
Bref, pour l’U2P, c’est non ?
M. P. : Je ne peux pas dire que je suis contre cette réforme après une seule réunion de concertation, mais elle risque d’accoucher d’une mécanique compliquée à mettre en œuvre et potentiellement injuste pour les demandeurs d’emploi. Si on exclut la réalité territoriale, on risque de supprimer des droits pour les chômeurs pour pas grand-chose. À l’U2P, nous avons pris contact avec Régions de France pour étudier la manière de lever les freins périphériques à l’emploi liés à la mobilité, au logement, à la garde d’enfants… qui constituent autant de raisons pour lesquels des emplois restent vacants.
En discutez-vous avec vos homologues du Medef et de la CPME ?
M. P. : Nous ne nous sommes pas encore rencontrés sur ce point. Je pense qu’ils partagent au moins en partie notre analyse, mais ils estiment que toute réforme destinée à pousser les gens vers l’emploi va dans le bon sens.
(1) Union nationale des professions libérales. L'une des quatre composantes professionnelles de l'U2P.