Faute de diagnostic préalable à la mise en chantier d’une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, celle que le Gouvernement vient de lancer semble surtout avoir pour objectif de faire réaliser de nouvelles économies à l’Unédic, explique Bruno Coquet, économiste et expert du marché du travail. Entretien.
Une nouvelle réforme de l’assurance-chômage était-elle nécessaire alors que les dernières mesures de la précédente ne sont entrées en application que très récemment ?
Bruno Coquet : Difficile de répondre car il manque un diagnostic de la situation qui justifierait le besoin d’une nouvelle réforme. On entend dire que le fonctionnement actuel de l’assurance-chômage serait un frein au plein-emploi, mais encore faut-il le démontrer grâce à des analyses chiffrées. Dans l’exposé des motifs de son projet de loi, le Gouvernement avance que le temps manque pour produire ces évaluations, mais un certain nombre de données observables existent : le compte des demandeurs d’emploi entrant ou sortant du régime, leurs profils, les secteurs professionnels d’où ils viennent, etc. La loi "avenir professionnel" de 2018 obligeait l’État à produire un rapport annuel sur l’assurance-chômage. Il ne l’a jamais fait ! Ce n’est d’ailleurs pas la seule règle auquel il s’est soustrait puisqu’il n’a pas effectué de consultations avec les partenaires sociaux en début d’année, pas plus qu’il ne leur a adressé le document de cadrage comme il aurait dû le faire pour engager la négociation de la nouvelle convention d’assurance-chômage qui aurait dû succéder à l’actuelle qui prend fin le 1er novembre 2022.
Concernant ce dernier point, l’ancien gouvernement s’en était justifié par la succession d’échéances électorales en 2022…
B. C. : La loi ne se préoccupe pas des séquences électorales. Le calendrier est connu depuis 2018.
Pensez-vous que la réforme qui s’annonce va produire des effets positifs en matière de reprise d’emploi ?
B. C. : Je ne sais pas. Ce n’est pas le projet de loi qui produira des effets, mais le décret qui l’accompagnera et fixera les nouvelles modalités d’application des règles de l’assurance-chômage. Il est assez probable que l’effet attendu par l’État soit surtout une économie réalisée sur les dépenses de l’Unédic.
Pourtant l’Unédic renoue avec les prévisions excédentaires pour la période 2022 – 2024…
B. C. : C’est pour cela qu’aujourd’hui, l’État n’avance pas l’argument du déficit de l’assurance-chômage pour justifier sa réforme. Ce qu’il fait habituellement lorsqu’il en prépare une. Le régime d’assurance-chômage de droit commun n’a, en réalité, jamais été déficitaire depuis le milieu des années 1990. Il l’est devenu parce que l’Unédic doit, sur cette caisse commune, financer le fonctionnement de Pôle emploi et les régimes particuliers des frontaliers et des intermittents du spectacle. Soit, concernant ce dernier, une subvention au monde de la culture passant par la tuyauterie de l’assurance-chômage mais qui devrait selon moi relever de l’impôt. Ces dépenses supplémentaires lui sont imposées par l’Etat, qui a beau jeu de dire ensuite que l’excès de générosité des règles d’indemnisation crée du déficit et de la dette.
N'assiste-t-on pas aux prémices d’une reprise en main de l’assurance-chômage par l’État puisque, faute de négociation – que la CFDT et le Medef ont refusée –, il s’autorise à établir par décret les critères de définition de la situation du marché de l’emploi qui justifiera ou non l’application des nouvelles règles?
B. C. : J’ai envie de dire que l’État ne reprend pas la main sur l’assurance-chômage… parce qu’il l’a déjà ! Avec la loi "Avenir professionnel", il s’est autorisé à fixer une lettre de cadrage préalable aux négociations entre partenaires sociaux et, dans les cas où celles-ci n’aboutissent pas, à prendre un décret de carence pour fixer lui-même les règles. D’ailleurs, comme je le disais plus tôt, l’État s’est autorisé à ne pas respecter ses propres règlements en matière de production d’un rapport annuel ou de mise en place des conditions de la négociation.
Mais la réduction de la durée de l’indemnisation – voire du montant des allocations, même si Olivier Dussopt semble avoir écarté pour l’instant ce scénario – ne pourrait-elle pas contribuer à une réduction du chômage ?
B. C. : Là encore, il faudrait disposer d’éléments précis sur le problème qu’il s’agit de résoudre. Depuis un an, on entend une petite musique d’ambiance autour de la "grande démission", qui figure dans l’exposé des motifs de la loi. Sauf que le ministère du Travail lui-même montre que le niveau de démissions n’est pas plus exceptionnel ici qu’aux États-Unis. Au contraire, on assisterait plutôt, en France, à un phénomène de "grand licenciement". Les licenciements non-économiques enregistrés au cours des quatre derniers trimestres sont supérieurs de 10,8 % à leur niveau moyen de 2019, et l’ensemble des ruptures à l’initiative ou avec la coopération de l’employeur progresse de 9,7 %. Bref : alors que les employeurs se plaignent des difficultés de recrutement et que les moyens déployés pour adapter les compétences des salariés sont importants, les entreprises se séparent en masse de leurs employés. C’est un paradoxe contracyclique. Le genre de paradoxe qui devrait amener les pouvoirs publics à mieux documenter ses projets, plutôt que de plaquer une solution toute faite comme la transposition du modèle canadien d’adaptation de l’assurance chômage à la conjoncture. Alors, peut-être une nouvelle réforme peut-elle aboutir à se rapprocher du plein-emploi, mais cela reste à démontrer.