Le projet de réforme des retraites a déjà mobilisé les syndicats. Son examen par les députés sera aussi mouvementé. WIP a fait le tour des principaux amendements qui seront lancés dans l’hémicycle.
La mère de toutes les réformes va-t-elle déclencher la mère de toutes les batailles ? Après la manifestation unitaire des syndicats qui a mobilisé plus d’un million de personnes le 16 janvier, le projet de réforme des retraites arrive au Parlement. Les arguments et les contre-propositions des différents groupes politiques présents à l’Assemblée nationale sont déjà prêts. Côté majorité, une trentaine de députés Renaissance, groupe présidé par Sylvain Maillard (député de Paris), comptent muscler les dispositifs comme l’index senior ou le compte pénibilité (C2P) et campent sur le refus d’une augmentation des cotisations sociales. S’il partage cette ligne, le Modem compte parvenir à lever des financements supplémentaires avec une augmentation de 35 heures à 35,5 heures du temps de travail hebdomadaire. Les deux milliards d’euros ainsi récoltés pourraient compenser la décote des carrières hachées et améliorer le sort des futurs retraités les plus mal lotis.
Si certains députés du parti Horizons se montrent apparemment sensibles à l'idée d'introduire une part de capitalisation comme le propose l'Institut Sapiens, rien ne montre pour l’instant que cela débouchera sur des amendements au projet de loi. Quant aux Républicains, ils sont divisés entre une « ligne Ciotti », soucieuse d’accompagner le Gouvernement et une « ligne Pradié » qui refuse cette réforme. Le parti vit peut-être ses dernières heures dans sa forme actuelle.
L’opposition se montre très combative, en particulier LFI. « Au Parlement, nous nous battrons ligne par ligne, indique ainsi le député Hadrien Clouet. Notre objectif est d'empêcher le vote du texte afin de donner le temps au mouvement social de mettre le Gouvernement à genoux. » LFI a en réserve une large panoplie de propositions : « Nous souhaitons que les fonds investis dans l'épargne salariale, les primes Macron et les dividendes soient soumis à cotisation afin de financer la CNAV, souligne le député. La contribution des hauts salaires doit aussi être augmentée, soit par l'augmentation du taux déplafonné qui s'applique au-delà du plafond de la sécurité sociale (PSS), soit par le relèvement de ce même plafond, ou par une hausse des deux. Un léger relèvement du PSS suffirait à combler le déficit de 1,8 milliard attendu en 2023. L'augmentation des salaires est aussi un moyen d'augmenter les ressources de la CNAV, de même que la réalisation de l'égalité salariale entre femmes et hommes. »
Le Parti socialiste compte aussi faire valoir ses propositions durant les débats, explique Arthur Delaporte : « Le déficit est lié au papy-boom et sera résorbé avec la fin de cette vague démographique. Dès 2050, la trajectoire démographique s'inverse et le régime revient à l'équilibre en 2070. Les députés de mon groupe estiment que le déficit pourrait être compensé de différentes façons : par une hausse des cotisations patronales par exemple, de 14 euros sur les bas salaires, de 28 euros sur les salaires médians et de 40 euros sur les salaires élevés ; ou par une abrogation des exonérations sociales les plus inefficaces, qui pèsent aujourd'hui 19 milliards d'euros sur la branche vieillesse, précisément le montant des économies que le Gouvernement souhaite réaliser. »
Pour Pierre Dharréville, de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), le cap à prendre est tout aussi clair : « Il faut revenir sur les exonérations de cotisations sociales que le Gouvernement a accordées qui aboutissent à un “définancement” de la sécurité sociale. Alors que la productivité et la richesse augmentent, la richesse est captée par d'autres plutôt que les salariés. C'est cela qu'il faut changer. Le COR ne dit pas que le système de retraite est en danger. Il pointe simplement un déficit potentiel entre les années 2028 et 2032. Ce déficit potentiel de 10 milliards d'euros par an paraît énorme, mais c'est le montant de l'augmentation des dividendes versés en 2021. »
Quant à Charles de Courson, de Libertés et Territoires, il défend lui aussi le maintien de l’âge de départ à 62 ans avec toute une série de mesures : « Je suis favorable à l’accélération de la réforme Touraine, en passant d'un mois à trois mois par an le nombre d'annuités permettant d'avoir une retraite à taux plein. » Il estime également qu’il faille améliorer le taux d’activité des seniors en rendant plus intéressante la sous-cote et surcote, qui devrait à 7 % au lieu de 5 % actuellement, améliorer davantage les règles de cumul emploi et retraite : « Aujourd’hui, l’ouverture des droits ne fonctionne que si les retraités ne cessent pas de travailler. S’ils cessent de travailler, puis reprennent un travail, cela ne fonctionne plus. Il faut aussi supprimer les règles de cumul, rendre la retraite progressive plus attractive et maintenir l’effort de formation pour les actifs âgés de 55 à 65 ans. Il faut aussi moduler les taux de cotisations patronales pour les salariés âgés de 55 ans et plus, afin de compenser la réduction de leur productivité. Cela faciliterait l’emploi des seniors. Il faut aussi généraliser l’âge de perception des pensions de réversion et faire remonter le plafond du cumul. » Il estime indispensable d’uniformiser la majoration d’annuités pour les mères : « Dans le régime général, chaque enfant donne droit à un gain de deux ans, mais seulement six mois pour les enfants nés depuis 2014 dans le secteur public. C’est injustifiable. » Quant au volet systémique de la réforme, il est jugé très insuffisant : « Si certains régimes spéciaux sont mis en extinction comme ceux de la RATP, des clercs de notaires, d’EDF, de la Banque de France ou du CESE, pourquoi ceux de l’Assemblée nationale ou du Sénat ne sont pas concernés ? »
La procédure utilisée promet des suites mouvementées après le débat parlementaire. Le Gouvernement s’appuie en effet sur l’article 47-1 de la Constitution mais surtout sur la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, qui impose l’examen de la loi en 20 jours à compter de son dépôt. « Cette loi dit qu’une loi rectificative de financement de la sécurité sociale a pour but d’ajuster les recettes et les dépenses, souligne Charles de Courson. Elle n’est pas faite pour faire passer des textes de ce type. » Quant au délai, il sera trop court pour examiner « les milliers d’amendements » qui seront déposés. Selon Charles de Courson, le scénario est écrit d’avance : « Le texte a toutes les chances d’être transmis au Sénat sans avoir été modifié. Le Gouvernement et la majorité sénatoriale vont sans doute tomber d’accord sur un texte et dans ce cas, il y aura une majorité pour l’approuver en commission mixte paritaire. Il reviendra alors à l’Assemblée nationale et là, il y aura certainement une motion de censure. Tout est fait pour que l’Assemblée nationale ne puisse pas délibérer, ce qui revient à nier les droits de l'Assemblée nationale qui, seule, représente le peuple. Au terme du parcours parlementaire du texte, nous déposerons un recours au Conseil constitutionnel, car il s’agit d’un détournement de procédure. » Le projet de loi de réforme des retraites a déjà déclenché des manifestations, il a toutes les chances de déclencher aussi une nouvelle bataille, constitutionnelle celle-là.