L’IA peut-elle révolutionner le coaching ? Franck Nicolas, coach professionnel, détaille les gains que peut apporter l’IA dans le quotidien de son métier mais aussi ses limites.
Quels avantages apporte l’IA au domaine du coaching ?
Franck Nicolas : L’IA c’est le progrès technologique pour les coachs, elle va devenir un outil indispensable dans la gestion des tâches répétitives et chronophages. Elle va améliorer l'efficacité du coach, réduire le temps consacré aux aspects administratifs et profiter de ce temps retrouvé pour se focaliser sur les attentes et les besoins des personnes coachées : permettre un accompagnement plus personnalisé et aussi encourager l'objectivité des pratiques de coaching. La vocation d’un coach, c'est en premier lieu d’accompagner son client à formuler ses attentes puis lui permettre de trouver la bonne stratégie afin de le conduire vers sa propre définition de la réussite personnelle et professionnelle. Jusqu'alors le coach devait réaliser une multitude de démarches administratives énergivores : planifier des sessions, envoyer des formulaires… tout ce qui demandait du temps et de l’énergie peut désormais être automatisé. Aujourd'hui, au Canada et aux États-Unis, ces dispositifs issus de l’IA sont déjà actifs avec la planification des tâches et des sessions. Un exemple, avant chaque session, on peut automatiser l’envoi d’un formulaire au coaché pour savoir quels sont les objectifs qu'il souhaite travailler. La gestion automatisée des suivis va aussi libérer du temps aux coachs pour se concentrer sur les interactions avec les personnes qu’ils forment. L'avantage de cette personnalisation et de cette adaptabilité, c’est qu’elle va permettre aux coachs d’augmenter le nombre de personnes qu’ils accompagnent au sein d’une même session. L’intégration de l’IA permettra de proposer des programmes sur mesure en fonction des objectifs de chacun, délivrer des feedbacks en temps réel. En gain de temps, cela représente quasiment une journée et demie sur une semaine de travail.
Quels avantages apporte l’IA à la pratique même du coaching ?
F. N. : En termes de pratique, tous les coachings qui sont en lien avec ce que j'appelle les « métriques », utilisent déjà l'IA. L’Europe est un petit peu en retard par rapport à l’Amérique du Nord mais l’usage de l’IA est aussi en train de se développer. L'IA est parfaitement adaptée pour gérer tout ce qui est en lien avec le savoir-faire, dans le cadre d’une réorientation, d’une reconversion ou d'un apprentissage. Elle va, par exemple, proposer des programmes sur mesure mais aussi des recommandations en fonction des progrès. Donc, l'IA est parfaitement adaptée parce qu'elle va nous apporter pour ces coachings du savoir-faire et des feedbacks en temps réel sur la performance et les interactions avec les clients. Le coach va avoir tout de suite en mains des données qui vont permettre des ajustements rapides et efficaces. Pour l'heure, la performance de l'IA s'arrête ici parce que cette technologie, selon moi, ne peut aujourd'hui être performante que lorsqu’il s’agit de savoir-faire et non quand il s'agit de savoir-être. L’IA peut faciliter le comment mais pas le pourquoi.
Le « pourquoi », c’est-à-dire ?
F. N. : Ce qui est important dans un coaching, c'est la connexion. Et on ne se connecte pas à une machine. On communique avec une machine, on suit un processus avec une machine, on est dans un tunnel de vente ou tunnel de conversation numérique avec une machine, mais on ne se connecte pas à une machine. Et ce qui permet de travailler principalement en coaching, ce qui en produit toute la force et l’impact, c'est la connexion entre deux êtres humains. En clair, au minimum selon moi, pour les dix prochaines années, un humain aura toujours plus de connexion avec un arbre qu'avec l’IA. Mon intuition, c'est que ce sera toujours très compliqué pour un humain d'être aussi à l'aise avec une machine qu'avec un humain. Pour être honnête, que nous réserve l’avenir ? Qui aurait la prétention de dire que c’est impossible ? Face à une personne qui souhaite bénéficier d’un coaching, l'IA va poser toute une série de questions, sauf que dans 70% des cas, un coaché ne formule pas le véritable objet de la session de travail. L'IA fonctionne très bien pour recueillir des informations mais c'est de la mécanique. Aujourd’hui, un dirigeant ou une personne qui veut être coachée ne va pas confier sa vie à l'IA.
Que pensez-vous des nouvelles fonctionnalités IA de LinkedIn ?
F. N. : Les nouvelles fonctionnalités IA de LinkedIn sont une bonne chose. Elles vont aider les candidats à sélectionner les formations les plus pertinentes mais aussi les amener à amorcer une forme d’introspection, à se prendre en main, au lieu de remettre le problème entre les mains des autres. Cela ne résout pas par pour autant un problème qui se pose souvent et qui s’est posé dans mon entreprise. Dans beaucoup de cas, des employés viennent vous voir et vous exposent une problématique ou un malaise : « Je ne suis pas bien, je veux changer. » Et quand on leur demande : « Mais qu'est-ce que tu veux changer et que dois-tu faire pour aller de l’avant ? », Il y a dans 80% des cas un manque de clarté : « Je ne sais pas. » Comme d’autres, je suis devenu le coach de salariés qui voulaient progresser sans savoir dans quelle direction se diriger. Aujourd’hui, nous accompagnons managers et leaders en interne afin qu’ils puissent à leur tour assurer la croissance de leurs collègues dans leur carrière. Pour les entreprises qui n’ont pas de coachs internes, la mission est de plus en plus compliquée à gérer avec les demandes des équipes.
Quelles limitations voyez-vous ?
F. N. : A ce stade l’utilisation de l’IA comporte de nombreuses limitations et points de vigilances. L’IA ne peut pas remplacer un coach humain. LinkedIn est une entreprise américaine immense qui privilégie souvent la « scalabilité ». Son objectif est de devenir encore plus rentable dans une période de crise où les revenus publicitaires subissent un bouleversement. Cette offre basée sur l’IA n'intervient pas par hasard, mais dans le cadre de la croissance de l'entreprise. Le second point, c’est que ces outils vont permettre à LinkedIn de développer sur le marché français ses propres formations. Qui pourra garantir que l'IA ne proposera pas systématiquement une reconversion professionnelle à une personne en difficulté, alors que cette personne pourrait simplement avoir besoin de soutien pour rester dans son entreprise actuelle ? L'IA ne dispose pas des ressources nécessaires pour nous pousser dans nos retranchements et nous aider peut-être à cerner notre objectif réel. Or, depuis le Covid, les besoins des entreprises en termes de management ont drastiquement évolué et chamboulé le quotidien des dirigeants et des managers.
Quels changements avez-vous observés ?
F. N. : Avant, il était demandé aux managers de faire croître l'entreprise et d'être des bons managers dans la mise en œuvre des opérations. Aujourd'hui, depuis le Covid, on leur demande de répondre à la crise de sens et d’ajouter une nouvelle corde à leur arc en termes de psychologie humaine. Problème ils ne disposent ni des outils, ni des savoir-faire et cela décuple leur niveau de stress et d’anxiété avec la mission et le poste pour lequel ils se sont engagés. Le résultat est là ; d’un côté les managers ont une énorme pression opérationnelle et psychologique de la part du top management et de l’autre côté ça ne va pas mieux du côté des équipes qui se sentent laissées pour compte. La bonne nouvelle est que depuis le Covid les entreprises français semblent avoir compris qu’il fallait prendre en compte ce malaise et ces nouvelles demandes pour reprendre la croissance. Les entreprises réalisent que les employés manquent d'accompagnement. Cette énorme demande ne sera satisfaite qu’avec la formation de coachs en interne, d’autant plus nécessaire en France que l’accès aux formations est plus réduit avec la baisse récente de financement du CPF. C’est ce que notre école de formation aux coachs professionnel, BECOACH ; propose aux entreprises afin d’améliorer le niveau d’engagement de leurs collaborateurs qui est actuellement à un niveau historiquement bas. Le manager est celui qui sait quoi faire, et fait faire et il s'assure de la bonne coordination des équipes en montrant l’exemple dans son savoir être. Toute la question est désormais de savoir à quel moment doit-il porter sa casquette de Leader-coach ? En toutes circonstances. C’est une nouvelle définition du poste en quelque sorte. Cette nouvelle compétence humaine forte est désormais utile notamment lorsque l’enjeu va venir impliquer principalement le savoir-être et lorsque doit être engagée une réflexion dans laquelle le Leader-Coach doit déclencher une « métacognition » avec l’employé. Lorsque survient un obstacle, le Leader-Coach ne dira pas quoi faire mais va engager un dialogue et encourager le partage et l’auto-réflexion. Par exemple il ne va pas en premier lieu proposer comment affronter le blocage mais il va attendre des éléments de réponse de la part de ses collègues. Les membres de l’équipe doivent imaginer quelles solutions pourraient résoudre la situation. La démarche du Leader-Coach, sera de permettre à l'autre d'accoucher de sa propre réponse. La démarche va être beaucoup plus proactive et efficiente quand elle vient de la personne qui l'a proposée.
Quelles tâches une entreprise doit-elle déléguer à l’IA ?
F. N. : Deux piliers fondamentaux dans cette nécessaire prise de recul stratégique. En premier lieu, l’entreprise doit s’appuyer sur ses trois valeurs principales pour déterminer ce qui doit être délégué et connecté à l'IA. Ensuite, sur le deuxième axe, l’entreprise doit réfléchir à ce qui va lui permettre de fidéliser les équipes tout en fluidifiant la « scalabilité » de l'entreprise. Car le problème des entreprises aujourd'hui, et en particulier celui des grandes entreprises, c'est de conserver les hauts potentiels et d'en attirer de nouveaux. Il faut donc faire en sorte de mettre en place de l'IA sur tout ce qui n'est pas valorisant pour un employé afin de le garder engagé. Les Directions des Ressources Humaines ont un rôle capital à jouer dans ce processus de mutation et d’enrichissement des équipes de la base vers le top management.