Envoyer ses cadres novices à l’usine pour connaître la réalité du métier… La pratique, autrefois répandue, se perd. Sauf chez quelques irréductibles, soucieux des liens entre la base et la hiérarchie.
Nouvelle recrue au sein de la direction des systèmes informatiques de Michelin, Philippe Cheipe, 38 ans, a bien compris la leçon. «Nous, cadres de bureau, prenons conscience de la difficulté du travail en usine et des réalités du terrain.» Pendant deux semaines, il a passé de la gomme au laminoir, centimètre carré par centimètre carré, afin d’en vérifier l’état, dans l’usine de Roanne.
Un «travail extrêmement répétitif», souligne-t-il. Chez le fabricant de pneus, le «stage ouvrier», c’est un peu le cadeau de bienvenue, passage obligé pour tous les cols blancs fraîchement recrutés. Quand bien même leur métier n’a aucun lien direct avec l’activité de production. Chaque mois, ils sont ainsi une trentaine de cadres à enfiler la tenue jaune de rigueur pour approvisionner des machines semi-automatiques ou vérifier des produits sur les chaînes. «La pratique est typique des industries de production nées au xixe siècle comme la chaudronnerie ou les transports», relève Jean-Marie Chesneaux, vice-président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs. Sauf qu’aujourd’hui elles ne sont plus que quelques-unes à imposer à leurs cadres ce «Vis ma vie» prolongé en atelier.
Ringards, les stages ouvriers? Hélas, oui! «Les programmes destinés aux cadres à haut potentiel ne passent plus par le terrain. Ce qui est valorisé dans le management, ce sont les postes de réflexion stratégique. Le stage ouvrier devrait pourtant être au goût du jour, car les managers ne connaissent plus la réalité du travail. La hiérarchie ne provient plus de la base dans la plupart des entreprises», observe Fabienne Autier, professeure de gestion stratégique des ressources humaines à l’EM Lyon. Si cet outil d’intégration n’éveille plus autant la curiosité des directions des ressources humaines, c’est aussi parce que la robotisation a raréfié les occasions de plonger dans le monde ouvrier. «Dans la production chimique, de tels stages reviendraient à mettre des cadres devant des écrans de contrôle, en simples spectateurs», remarque Jean-Christophe Sciberras, DRH de Solvay.