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« Piloter la planification stratégique des RH suppose une meilleure connaissance des métiers de l’entreprise »

Entreprise & Carrières | Management | publié le : 26.08.2014 | PAULINE RABILLOUX

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Aujourd’hui pré carré des DRH, l’analyse des compétences gagnerait à émaner d’un travail collaboratif entre tous les services de l’entreprise. La planification stratégique des ressources humaines permettrait ainsi de réduire la marge d’incertitude de l’activité dans un environnement complexe.

E & C : Qu’entendez-vous par l’expression “planification stratégique” des RH ?

Hervé Borensztejn :
La planification stratégique des ressources humaines, que j’ai initiée dès 2008 chez EADS, est un processus systématique d’identification et de gestion des écarts, au sein d’une organisation, entre les ressources humaines disponibles – quantitatives et qualitatives – et les besoins actuels et futurs. Il s’agit donc de transcender la logique fonctionnelle en silos – les RH fonctionnant avec le réseau RH, les financiers avec les financiers, le marketing avec le marketing, etc. – pour synchroniser et systématiser les informations opérationnelles en termes de compétences clés, recrutement, formation, parcours de carrières… Sont associés la plupart des départements, notamment R & D, marketing et financiers sous la houlette des RH chargées du pilotage. Pour chaque métier, il s’agit de répondre à quatre questions clés: s’agit-il ou non d’une compétence stratégique pour l’entreprise ? Quel risque prend l’entreprise si elle la sous-traite ? Cette compétence contribue-t-elle à créer de la valeur ? S’agit-il d’une compétence dont l’entreprise dispose ou qu’elle peut acquérir en interne ? Après avoir mesuré le patrimoine humain et repéré les signaux d’évolution, il faut construire des scénarios d’évolution de la population active, qui seront ensuite suivis par des évaluations périodiques afin d’être réévalués, confirmés ou rejetés. Différentes options sont envisageables selon l’évolution de la situation dans le temps: formation, recrutement, externalisation, désinvestissement, voire fusion-acquisition si le besoin de compétences nouvelles est massif et urgent. Face à un environnement devenu complexe et évolutif, il s’agit d’anticiper au maximum les mutations à court, moyen et long termes pour permettre à l’entreprise de réagir vite dans une logique proactive et bénéfique à la fois pour son activité et pour les salariés, dont elle préserve au maximum l’emploi et l’employabilité.

E & C : Quelle est la différence avec la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ?

H. B. :
La GPEC est devenue, depuis l’obligation légale d’en négocier les accords avec les partenaires sociaux, une approche relativement réglementaire et formelle, à laquelle seules les RH contribuent. La planification stratégique associe au contraire toutes les activités de l’entreprise pour l’élaboration des scénarios futurs. Il s’agit d’une approche business holistique qui dépasse le cadre de la négociation sociale, même si, de fait, elle revient aussi à préserver la situation des salariés. Ceux-ci risquent moins de se voir brutalement mis devant le fait accompli de changements majeurs affectant leurs métiers et compétences. Mais évidemment, la planification stratégique a vocation à préparer également les accords de GPEC. Dans les faits, puisque les partenaires sociaux sont parties prenantes, il convient de les associer le plus en amont possible à la réflexion, à l’instar des autres acteurs. La confiance et la transparence sont des ingrédients de base. C’est un processus exigeant, qui suppose que chacun y mette du sien : les salariés pour accepter la discussion et les changements, et les directions pour partager l’information dans la limite de ce que permet le jeu de la concurrence. Tous les acteurs sont appelés à contribuer à réduire le domaine d’incertitude, qui constitue certainement la composante essentielle de l’économie actuelle.
À partir de là, l’articulation du court et du long termes est, pour moi, l’essence même du management.
Si l’entreprise ne se sort pas des problématiques actuelles, il ne lui sert à rien de préparer le long terme qui sera de toute façon compromis.

E & C : Comment, concrètement, les RH font-elles pour faire travailler ensemble tout le monde ? Quelles compétences cela suppose-t-il ?

H. B. :
Le plus important pour les RH est sans doute d’adopter une posture de veille, de proactivité et d’animation d’une communauté de leaders. C’est tout sauf administratif. Cela suppose de nouvelles compétences de la part des DRH, qui doivent fonctionner comme des
chief community officers,
c’est-à-dire savoir partager l’information, faire adhérer les différents protagonistes, communiquer et gérerle travail collaboratif. Piloter la planification stratégique suppose aussi une meilleure connaissance des métiers de l’entreprise que celle qui est habituelle chez les DRH. Par exemple, pour animer une réflexion transversale, ceux-ci doivent être en mesure de comprendre les enjeux R & D auxquels ils restent souvent étrangers aujourd’hui. À ce niveau, c’est une bonne idée de favoriser un double mouvement qui permettrait aux directions des ressources humaines de “recruter” des collaborateurs venus de l’opérationnel et, inversement, aux directions opérationnelles d’accueillir des spécialistes RH. Mais surtout, les DRH doivent comprendre qu’ils n’ont pas simplement une obligation de moyens mais de résultats. Il importe de se poser les bonnes questions. Par exemple, deux questions simples et pertinentes relatives à la formation sont :
primo,
savoir si l’entreprise dépense trop ou pas assez au titre de la formation;
secundo,
savoir quel pourcentage de la formation est consacré aux métiers de demain, afin de mettre ce ratio en rapport avec le schéma d’évolution de l’entreprise. Ensuite, tout est une question de méthode : avant de prévoir une planification stratégique de tous les métiers, qui supposerait une véritable révolution collaborative au sein de l’entreprise, il convient de lancer des ballons d’essai, puis de voir comment les collaborateurs réagissent.
Les choses ensuite font tache d’huile : les personnes qui choisissent le travail collaboratif sont, en général, également animées par l’envie de partager ce qui les intéresse. C’est très motivant. Au final, si l’on atteint une planification pour 50 % ou 80 % des métiers de l’entreprise, il faut s’estimer satisfait. Tout l’art consiste à faire en sorte que ce processus, lourd au démarrage, apparaisse justement le moins pesant possible. Il faut donc savoir procéder pas à pas.
 
PARCOURS
• Hervé Borensztejn est professeur associé en ressources humaines à l’université Paris 2 (Panthéon-Assas), et intervenant à l’Essec et à l’ENA. Il est directeur associé en charge du Pôle RH du cabinet de conseil en stratégie et transformation Karistem.
• Docteur de l’École des Mines de Paris, il a été à la direction RH de grands groupes (Vivendi, EADS, Converteam-General Electric Power Conversion).
 
LECTURES

• Positioned : strategic workforce planning that gets the right person in the right job,
de Dan L. Ward et Rob Tripp, American Management Association, 2013.
• HR from the Outside In. Six competencies for the future of Human Resources,
de David Ulrich, Jon Younger, Wayne Brockbank et Mike Ulrich, McGraw Hill, 2012.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX