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Lothar Kriszun met Claas Tractor dans les bons sillons

Liaisons Sociales Magazine | Management | publié le : 16.02.2015 | Anne Fairise

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Flexibilité, dialogue social, culture groupe…, depuis son rachat par l’allemand Claas, l’ex-Renault Agriculture a connu une révolution. Accélérée par son patron allemand, chargé de booster l’export et le haut de gamme.

La technologie est dans le pré, sous les couleurs de Claas Tractor! Le stand du fabricant allemand de machines agricoles promet d’être bondé au Sima, salon mondial du secteur agricole, du 22 au 26 février à Paris. La cabine panoramique de l’Arion 400, un tracteur dont le pare-brise continu, du plancher jusqu’au toit, assure un angle de vision à 90°, a reçu le prix de l’Innovation 2015. Une nouvelle distinction pour le groupe Claas, typique du Mittelstand, familial et indépendant, ancré sur ses terres de Westphalie mais mondialisé, qui produit… français.

Le numéro un mondial des ensileuses automotrices et leader européen de la moissonneuse-batteuse récolte les fruits des 500 millions d’euros investis depuis dix ans dans l’Hexagone, où il est devenu actionnaire majoritaire, en 2003, de Renault Agriculture. Avant de l’acquérir pleinement en 2008, pour son usine du Mans (Sarthe). Un achat stratégique pour compléter son portefeuille de produits, réduire la saisonnalité de son activité et se développer à l’étranger. «Le tracteur est la porte d’entrée dans les exploitations», rappelle un commercial de Claas. Désormais, sept engins sur dix assemblés au Mans partent à l’export, l’exact inverse de ce que réalisait la marque au losange.

Un vrai changement de perspectives pour les 1000 salariés français, qui ont vu la production doubler et monter en gamme. Renforcement des équipes de R&D, ouverture d’un centre d’essai, modernisation de l’usine, mise en œuvre du lean management…, le groupe centenaire, dont les engins sont réputés être les Audi de la machine agricole (entre 40000 et 200000 euros pièce), applique les recettes made in Germany. Persuadé que, sans position «premium», il n’y a pas de maintien d’une activité industrielle dans les pays développés.

Ultimes ingrédients: la flexibilité de la production et l’apaisement du dialogue social. «Les dirigeants, les salariés et leurs représentants ont pris leurs responsabilités», souligne Lothar Kriszun, le patron allemand arrivé en 2011. Cette souplesse tombe à pic alors que la déprime des marchés mondiaux des agro-équipements se prolonge. Sans entamer la confiance du groupe de 11 000 salariés, qui a réussi à maintenir en 2014 son chiffre d’affaires à 3,8 milliards d’euros.

1 DONNER DE LA RÉACTIVITÉ À LA PRODUCTION

Fini, l’exception française ! Seul, parmi les 12 usines Claas dans le monde, à être dépourvu d’un accord de flexibilité, l’immense site du Mans est rentré le 24 novembre dans le rang. Lorsque la CGT, majoritaire, a accepté, avec la CFE-CGC et la CFDT, de réviser l’annualisation du travail datant… des 35 heures chez Renault Agriculture. À la grande satisfaction de Pierre Grondin, directeur, qui a dessiné l’architecture du nouvel accord. Et l’a mis en œuvre sans tarder. Pendant deux semaines, en décembre, les 350 ouvriers montant les tracteurs sur l’unique ligne qui traverse les 7 hectares d’usine couverts ont bossé chaque jour… une demi-heure supplémentaire.

Quand le texte autorise jusqu’à une heure de plus. «Cela nous a permis de répondre aux dernières campagnes commerciales et d’assurer les immatriculations avant la fin de l’année. Une première», s’enthousiasme l’industriel, qui attend beaucoup de la nouvelle réactivité. Plus d’appels d’offres gagnés à l’étranger. Plus de tracteurs configurés selon les souhaits des clients, avec d’onéreuses options. Son objectif: que ces engins «personnalisés» représentent vite 80% des machines montées, contre 20% aujourd’hui.

La variation possible de 20% du volume de production, à la hausse ou à la baisse, est une révolution sur le site manceau, où le travail flexible relève toujours du gros mot. Au point que la direction, prudente, a baptisé le nouvel accord «adaptation du temps de travail». On revient de loin. Les heures sup ? Elles étaient possibles, hormis le samedi, avec un délai de prévenance de… quinze jours. Le double des obligations légales. Et, reconnaît Johnny Launay, DSC CGT, «on utilisait tous les moyens à notre disposition pour ne pas les faire». La hausse de la cadence? Trois mois de délai était nécessaire pour la mettre en œuvre, le temps de recruter et de former les intérimaires au montage des « prototypes ici fabriqués en série», comme dit un ouvrier.

Clairement, l’accord privilégie la production par les équipes en place, gage de qualité selon la direction. Mais il ne signe pas la fin de l’intérim (18% des effectifs en production). «Conserver un outil de flexibilité externe est essentiel dans la culture Claas. Garder des intérimaires permet de protéger nos CDI, en cas de baisse du marché», souligne Pierre Grondin. Reste que les « temporaires » bénéficieront aussi de la révolution en cours. Obnubilée par la stabilité de la production, la direction va doubler, à un an, la durée du contrat de la moitié d’entre eux.

2 NORMALISER LE DIALOGUE SOCIAL

À accord historique, négociations ardues. Jacques Merten, le DRH de Claas Tractor, qui tablait sur sept séances, en a finalement conduit une vingtaine, en quatre mois et demi. Inédit sur le site manceau, plus connu pour sa gréviculture, où les tracts CGT portaient il y a deux ans encore le logo de l’usine Renault, située à quelques centaines de mètres. «Les débuts ont été laborieux, car il fallait se pencher sur le modèle d’organisation. C’était la première fois qu’on partait d’une feuille blanche.

Tous les accords jusqu’ici étaient liés à Renault Agriculture», rappelle Franck Canu, DRH opérationnel. Mais la direction a finement joué la partie, et d’emblée acculé les syndicats. En liant révision de l’accord 35 heures et NAO. En proposant vite, en contrepartie du travail flexible imposé aux ouvriers, une prime de fin d’année, équivalente à un treizième mois, pour… tous les salariés! Qu’ils soient chercheurs à Vélizy-Villacoublay (Yvelines), au centre d’essais de Trangé (Sarthe), ou directement concernés sur la chaîne de montage.

Forcément alléchant pour les salariés, qui n’ont ni participation aux bénéfices ni intéressement et «s’estiment globalement mal payés par rapport à leurs collègues allemands», note le DRH. Du Mans, les généreuses hausses annuelles, obtenues par IG Metall, semblent d’un autre monde. «En annonçant un possible treizième mois, la direction a tout de suite réduit les marges de manœuvre des syndicats», admet Jean-Louis Le Denmat, DSC CFDT. Surtout celles de la majoritaire CGT (61 % des voix tous collèges confondus), refusant tout allongement de la journée de travail au-delà d’une demi-heure.

Sur proposition de la CFE-CGC, les salariés directement concernés ont été consultés par référendum, et voté à 61% pour l’heure supplémentaire et la prime. Une surprise pour tous, CGT comprise, et sa porte de sortie. «La CGT a signé un accord auquel elle est opposée. Elle ne pouvait ignorer ce vote sans ambiguïté. Mais on peut légitimement se demander jusqu’où un syndicat doit suivre les salariés…», martèle aujourd’hui Johnny Launay, de la CGT. Qui a le sentiment d’«être allé jusqu’au bout de la négociation» en décrochant une prime légèrement majorée (à 105% du salaire de base) pour les salariés gagnant moins de 2000 euros brut mensuels.

Pour Pierre Grondin, le directeur, tout cela n’aurait pas été possible sans le travail réalisé depuis la grève de 2010 de trois semaines sur les rémunérations, dont la CGT est sortie sans avoir eu gain de cause. «On n’avait plus le choix. Le site ne pouvait plus rester sous une pression syndicale permanente», assène-t-il, frappé à son arrivée en 2009 de «trouver des délégués assis au bureau d’agent de maîtrise.

Une confusion des genres inacceptable». Et un point de rupture pour l’industriel, qui a mis en place une stratégie de microaccords «pour amener les partenaires sociaux à une forme de responsabilité». En imposant des groupes de travail afin de les pousser à élaborer des solutions, à chaque fois évaluées selon «leurs impacts sur les salariés, les clients, les actionnaires».

Symptomatique: les nouveaux aménagements ont été soumis au comité d’entreprise et au CHSCT avant d’être mis noir sur blanc. «L’important, c’est d’obtenir un accord des partenaires et du terrain. Après on formalise», note le directeur. Les germes d’un dialogue social à l’allemande? «Un climat de confiance s’est créé. Les relations sociales sont plus matures, raisonnées et respectueuses», reprend Pierre Grondin, qui vante un accord «équilibré». Où Claas Tractor a gagné de la réactivité, et une meilleure gestion du présentéisme, par la suppression des RTT (désormais collectives) et le vidage des compteurs «temps», hier source de lourdes provisions.

3 CULTIVER LA MARQUE EMPLOYEUR

Claas a beau compter parmi les leaders mondiaux de l’industrie des agro-équipements, la concurrence est rude pour embaucher des ingénieurs. «Le machinisme agricole n’a pas la notoriété de l’automobile, alors que ses métiers sont aussi techniques et ses produits plus complexes. Les jeunes ingénieurs ne pensent pas à Claas, sauf à tomber sur des fils d’agriculteurs», déplore Jacques Merten, qui a peiné à pourvoir en 2011 une cinquantaine de postes en R&D. Difficile de faire la différence, à Vélizy-Villacoublay, quand Renault a les mêmes besoins, «malgré un niveau de salaire dans la moyenne du marché local».

Présence renforcée auprès des écoles et des universités, dans les salons professionnels. Face à ce déficit d’image, Lothar Kriszun a décidé de mettre les bouchées doubles et de travailler, au-delà de la branche tracteurs, l’image du groupe, qui emploie au total 2 800 salariés dans l’Hexagone. Avec son usine de fabrication de presses à Saint-Rémy, Woippy (Moselle) et son réseau de distribution commerciale, fort de 80 concessions, d’une vingtaine de succursales. Une nécessité pour celui-ci, qui éprouve des difficultés croissantes à recruter. La faute à la baisse continue de la population d’agriculteurs. «80% des salariés dans nos concessions sont issus du milieu agricole. Mais ce réservoir se tarit. Une centaine de postes de techniciens, clientèle ou réparateurs, est à pourvoir dans notre réseau», précise Rémy Naudet, responsable du développement des services chez Claas France, qui mise sur l’apprentissage (10% des effectifs dans les concessions).

Pour renforcer son attractivité, Claas commence à développer les passerelles entre ses quatre entités françaises, toutes autonomes juridiquement et dans la gestion RH. «Notre objectif est de mettre en place une politique commune en matière d’outils», précise Jacques Merten, DRH de Claas Tractor et coordinateur RH pour les entités commerciales. Chantier de l’année, la refonte de la bourse d’emplois commune, sur l’intranet, pour booster la mobilité interfiliales. «Jusqu’à présent, il fallait être champion du monde pour trouver une annonce sur le site», concède-t-il.

4 DIFFUSER LA CULTURE GROUPE

Impossible de fêter les 100 ans du groupe sans convier les familles. Il y avait affluence le 7 septembre 2013 sur le site manceau, transformé en vrai parc d’attractions: pas moins de 4 700 salariés et leurs familles, venus de tout l’Hexagone. Exposition de matériels agricoles (et même d’anciens tracteurs Renault), miniferme, concert en plein air…, le family day a marqué les esprits. Comme les retransmissions des festivités organisées dans les 19 sites Claas dans le monde, surtout des prestations des chorales qui ont entonné l’hymne écrit pour l’occasion. De la Nouvelle-Zélande à la Russie. L’occasion de se sentir «tous des Claasiens», comme dit le jargon maison. Même si ça fait grincer des dents. «En France, on mélange moins famille et entreprise», note Bernard Ollivier, délégué CFE-CGC.

Mais le sentiment d’appartenance est plus fort depuis l’arrivée de Lothar Kriszun, second patron allemand, qui a mis le cap sur la culture qualité et haut de gamme. «On se sent davantage partie prenante du groupe», souffle un ex-Renault qui a mal vécu, en 2003, la sortie du giron du constructeur tricolore. Comme beaucoup. Le fabricant allemand n’est pas du genre à placarder ses valeurs: fiabilité, implication, respect, aptitude au changement. Le visuel les présentant est toujours en allemand! Mais elles se retrouvent dans la politique RH.

Dans le choix de départs volontaires en 2010, plutôt que de licenciements. Dans la mise en place, en 2012, d’une mutuelle ou, aujourd’hui, de la prime de fin d’année. «Les salariés, qui ont fait beaucoup d’efforts pour fiabiliser la production, ont enfin un juste retour de leur contribution au développement du groupe. Ils se sentent plus Claas», souligne le délégué central CFE-CGC Serge Auger.

Auteur

  • Anne Fairise