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“Les cadres étrangers trouvent le management français déroutant”

Liaisons Sociales Magazine | Management | publié le : 04.05.2017 | Marie-Madeleine Sève

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Pour le directeur général de l’ESCP Europe, le manager hexagonal, perçu par ses homologues étrangers, offre un visage moins autocratique que par le passé. Il reste néanmoins peu collectif, indéchiffrable dans ses attentes, et versatile dans ses décisions.

Votre dernier ouvrage porte un regard décalé, volontairement décentré sur les pratiques managériales en France. Pourquoi une telle étude ?

Parce que les managers étrangers, qui évoluent au sein des entités françaises, en France ou dans des filiales à travers le monde, comparaient sans cesse les usages des entreprises de leurs pays avec ceux des entreprises hexagonales qu’ils avaient rejointes.

Certains étaient déroutés, se demandant pourquoi, par exemple, il fallait mettre en copie de mails basiques, les chefs n° 2, n° 3, n° 4 etc. Avec Ezra Suleiman et Yasmina Jaïdi, mes deux coauteurs, nous avons voulu savoir en quoi existait une singularité française.

Sans chercher à produire une thèse, nous avons adopté une approche scientifique. Nous avons ainsi récolté une matière riche, vivante, des anecdotes édifiantes.

Et une surprise de taille, la culture de la performance est une réalité pour les managers internationaux : 70 % des sondés estiment que leur manager en sont baignés. Mettant ainsi à mal le thème ambiant du « déclinisme » français.

Dès lors, peut-on dire qu’il existe un management à la française ?

Oui, mais pas dans le sens où on l’entend, où on le lit. Les années 2000 ont connu de profondes évolutions en ce domaine, qui battent en brèche maints préjugés ou stéréotypes, dont beaucoup sont hérités des travaux de Michel Crozier sur la sociologie des organisations. En particulier de ce qu’il a écrit sur une société bloquée, de tradition hiérarchique, centralisée, incapable de tirer parti de ses erreurs.

Un autre chercheur, Philippe d’Iribarne, a démontré en 1989 « la logique de l’honneur », à l’œuvre dans les structures de notre pays, avec la pratique du corporatisme, et une gestion des carrières par le grade et l’échelon. Certes, les entreprises qui ont une culture administrative (SNCF, RATP, etc.), les collectivités territoriales, la fonction publique, en gardent des traces.

De fait, elles n’avancent pas au même rythme que celles du CAC 40, dans lesquelles notre enquête révèle des mieux. Pour 63 % des interviewés, la culture française du management est unique.

Vous mettez aussi en évidence des paradoxes. Vous évoquez la hiérarchie, la primauté du chef…

Il existe en France une personnification du pouvoir. Le leader reste au-dessus du groupe. C’est même parfois le seul qui parle en réunion et qui conclut. 60 % des cadres étrangers citent le mot « hiérarchie » loin devant les mots « réseaux » et « centralisation ».

L’un d’eux nous a raconté une scène typique : ses collègues français, en train de boire tranquillement un café pour faire une pause, ont littéralement englouti leur breuvage pour retourner vite à leurs tâches dès qu’ils ont vu leur chef passer devant eux.

D’autres ont vu, sidérés, des homologues perdre leurs moyens lors d’une prise de parole, quand le boss arrivait. Près de 50 % des interviewés jugent que les Français ont un style de management autocratique…

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève