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Le sexisme, un problème mineur pour les employeurs

Liaisons Sociales Magazine | Management | publié le : 12.10.2016 | Manuel Jardinaud

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Difficile à cerner, souvent nié, le sexisme apparaît comme une question annexe pour les dirigeants. De rares entreprises s’en saisissent malgré tout via des campagnes chocs ou en usant de pédagogie.

Taisons ces attitudes sexistes que personne ne veut voir… Au bureau ou à l’usine, la guerre contre les gestes et propos déplacés n’a pas lieu. « L’entreprise ne prend en considération que ce qui est énoncé. Elle ne veut surtout pas courir au-devant d’un problème qui ne lui est pas posé explicitement », analyse Armelle Carminati-­Rabasse. Présidente de la commission innovation sociale et managériale du Medef, celle-ci est bien placée pour savoir quelles sont les politiques RH menées sur le sujet. Verdict : il n’y en a pas.

Blague graveleuse ? Une tradition française. Main aux fesses ? Déplacé mais pas gra­vis­sime. Regard insistant sur la poitrine ? Inélégant mais tentant. Tant que ces ­comportements ne font l’objet d’aucune plainte ni ne perturbent le travail de façon visible, le message est clair : circulez, il n’y a rien à voir ! Un silence coupable que Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, n’hésite pas à qualifier d’« omerta ».

De très rares employeurs se saisissent né­anmoins du sujet. Non sans mal, en déployant des stratégies fort diverses, faute de pouvoir s’appuyer sur de bonnes pratiques à l’efficacité prouvée. Parmi ces pionniers, la métropole de Strasbourg a choisi la technique de l’électrochoc. Dans la nuit du 9 au 10 mai 2016, une quarantaine de volontaires – qui se sont baptisés « équipe rebelle » – ont placardé 360 affiches aux couleurs criardes dans 13 lieux de travail. Y étaient imprimées des phrases typiquement sexistes : « T’as un beau décolleté ma grande ! » ou « T’es de mauvaise humeur, t’as tes règles ? » Le tout accompagné d’un slogan qui claque : « Stop sexisme ! » À l’entrée des bureaux, 2 500 accroche-portes complètent le dispositif.

Cette opération d’envergure n’a pas laissé les 8 000 agents indifférents. Selon Bernadette Geisler, responsable de la mission droits des femmes et égalité de genre, elle a donné lieu à trois types de réactions : des propos violents émis par des hommes qui se sentaient injustement visés, de ­l’incompréhension venant de certaines femmes refusant de passer pour des victimes et du soulagement de la part de tous les autres, appréciant que le sujet soit enfin abordé.

« Une femme m’a dit avoir pleuré car nous avions enfin mis des mots sur ce qu’elle subissait », témoigne Bernadette Geisler. La campagne coup de poing s’est prolongée par la distribution d’un kit pédagogique, l’organisation d’une journée de conférences et la mise en place d’un groupe de réflexion composé de huit personnes. Une démarche néanmoins pas simple à faire vivre dans le temps. « Aujourd’hui nous travaillons au fil de l’eau, mais nous ne savons pas exactement quoi faire de plus », confie la responsable.

Méthode douce

La stratégie strasbourgeoise est risquée. Créer la confrontation sur un sujet aussi sensible et incompris peut desservir la cause. Chez Randstad, on a préféré opter pour la pédagogie. « Il faut travailler dans la durée et mettre les moyens dans la lutte contre les stéréotypes », affirme Aline Crépin, la directrice RSE du groupe d’intérim. La politique de ce dernier s’inscrit dans le long terme, de manière graduelle. Elle comprend des formations pour les managers et les RH, via des mises en situation dans lesquelles émergent des comportements sexistes. Histoire de confronter chacun à ses propres projections et changer sa vision de l’autre. Une sensibilisation dont ont bénéficié plus de 1 000 collaborateurs depuis 2009.

En outre, le sujet est évoqué lors de la semaine d’intégration à laquelle participe chaque nouveau salarié. « On rappelle de façon claire que tout propos raciste, homophobe et sexiste est prohibé », précise Aline Crépin. Sur ce sujet grave, Randstad ose aussi l’humour. L’entreprise a confié au dessinateur Antoine Chereau – qui collabore par ailleurs à Liaisons sociales magazine – le soin de croquer des saynètes ridiculisant notamment des attitudes sexistes. Des dessins imprimés sur des ­affiches et des calendriers. Une stratégie qu’approuve Armelle Carminati-Rabasse. « Comme s’attaquer au sexisme fait peur, on est obligé de l’aborder avec humour afin de rendre le questionnement possible », estime la dirigeante au Medef.

Cette méthode douce donne-t-elle des résultats ? « On ne peut garantir l’absence de dérapage. Mais ce qui a beaucoup évolué chez nous, c’est la proportion de gens qui réagissent », assure la directrice de la RSE. Qui parle de l’émergence d’une « auto­régulation non agressive ». Une situation vers laquelle souhaiterait tendre Florence Wiener, directrice de la stratégie sociale et de la qualité de vie au travail à La Poste. Signé en juillet 2015, le troisième accord sur l’égalité professionnelle de l’établissement aborde ouvertement la question du sexisme. Son premier article indique ainsi que « la priorité de La Poste est de maintenir des bonnes relations de travail entre tous ses collaborateurs, dénuées de tout sexisme ». Une première.

Pour y parvenir, le groupe a conçu un plan d’action en trois volets : une brochure d’information distribuée à tous les postiers, des outils de communication en ligne ­destinés aux managers et une campagne de terrain annuelle. En novembre 2015, les collaborateurs ont ainsi eu la surprise de découvrir sur leur lieu de travail des ­silhouettes grandeur nature dénonçant le sexisme. Telle cette femme sans visage exprimant son ras-le-bol : « Je subis régulièrement le comportement machiste de certains de mes collègues. Regards appuyés, sifflements et remarques sur mon physique ou ma façon de m’habiller… Ça me rend furieuse. Je ne me laisse pas faire et je leur réponds. Le ton monte parfois mais ça n’arrange rien. » Avec, en dessous, en gras : « Ça nous concerne tous. »

Prometteur, selon Florence Wiener. « Des femmes qui se taisaient ont fini par dire qu’elles en avaient assez », explique-t-elle. Mais sans recueil systématique des réactions, difficile de connaître l’impact précis d’une telle campagne. L’entreprise préfère laisser le soin aux relais d’alerte (managers, RH de proximité, référents diversité) d’être le point d’entrée des plaintes, dès lors qu’il ne s’agit pas de comportements relevant du harcèlement sexuel proprement dit.

Discrétion

Très peu d’employeurs communiquent sur leurs politiques, quand bien même elles agissent, dans la discrétion. Ainsi du Groupe Casino qui n’a pas voulu s’exprimer sur le vaste plan de sensibili­sation, via un questionnaire, qu’il a lancé auprès de ses collaborateurs. Huit cents ­salariés y ont pourtant répondu, selon la communication officielle. Mais pour quel résultat ? Mystère… Afin de donner plus de visibilité aux rares stratégies RH en matière de lutte contre le sexisme, le gouvernement souhaite référencer, voire labelliser, les initiatives d’entreprises vertueuses. Fin septembre, aucune n’apparaissait sur le site du ministère des Droits des femmes, malgré le lancement de la campagne nationale « Sexisme, pas notre genre ! »…

La frilosité règne donc toujours. Mais la donne pourrait changer. Promulguée le 8 août, la loi travail élargit ainsi les attributions des CHSCT, désormais compétents en matière de prévention du sexisme. Le texte impose aussi aux règlements intérieurs de faire référence aux dispositions légales sur les agissements sexis­tes. Une avancée qui pourrait inciter les entreprises à prendre le sujet à bras-le-corps. « Certains dirigeants, plus éclairés que d’autres, finiront par agir », veut croire Armelle Carminati-Rabasse. Reste que, visiblement, beaucoup n’ont pas encore vu la lumière…

Auteur

  • Manuel Jardinaud