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“Le profit n’est pas une fatalité mais une obligation”

Liaisons Sociales Magazine | Management | publié le : 30.10.2014 | Emmanuelle Souffi

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Christophe de Margerie

Crédit photo D.R

Christophe de Margerie, le P-DG de Total, nous avait accordé un ­entretien quelques jours avant son décès. Ses dernières paroles sur sa vision du social.

Total est en plein recentrage…
Le groupe n’a plus rien à voir avec ce qu’il était voilà cinq ou dix ans. Avant, il n’y avait que le pétrole. Aujourd’hui, il y a le solaire, la responsabilité sociétale et en­vironnementale… Les pétroliers se com­portent-ils correctement ? Ont-ils une pré­occupation environnementale ? Nous ne pouvons ignorer ces questions. Notre rôle, c’est d’apporter de l’énergie et de délivrer des énergies plus propres. Nous cédons des activités que d’autres pourraient mieux développer, comme Bostik, vendu à ­Arkema. Entre 2012 et 2017, le groupe a lancé un programme de cessions pour optimiser son portefeuille d'actifs.

L’image de Total à l’extérieur reste négative, alors que, socialement parlant, votre modèle est plutôt mieux-disant…
Cette mauvaise image m’a agacé au début. Je ne suis pas persuadé que nous soyons encore perçus comme tels, mais il faut rester vigilant. Cette perception négative était en grande partie due au naufrage de l’Erika, à la catastrophe d’AZF, aux profits longtemps ­incompris que réalise le groupe… Or une société qui ne dégage pas de résul­tats est un fardeau. Le profit n’est pas une fatalité, mais une obligation. Aujour­d’hui, Total fait des bénéfices, mais pas en France. Nos résultats sont globalement moins bons. Il faut réagir.

Ce n’est pas trop difficile d’instaurer une culture de la réduction des coûts ?
Il fallait y venir. Nous ne pouvons pas contrôler les prix du brut, ni la demande, et les marges de raffinage sont très vo­latiles. Il faut donc maîtriser le coût des ­projets. L’argent a de la valeur. Utilisons-le au mieux ! On s’est un peu laissé endor­mir. Nous ne sommes pas en danger, mais il y a urgence. Je vois les coûts croître, mais les prix pétroliers n’augmentent pas aussi rapidement. Nous avons la chance de pouvoir anticiper, comme à Carling : 160 millions d’euros sont investis dans la modernisation et la reconversion de ce site dans une activité aux perspectives ­prometteuses. C’est en procédant à ces transformations nécessaires que nous faisons notre travail correctement. Nous nous efforcerons toujours de revitaliser les sites concernés et en aucun cas, il n’y aura de licenciement sec.

Vous n’aimez pas les postures…
Certains partenaires sociaux sont dans l’opposition systématique. On ne peut pas se parler sans risquer de tomber dans le délit d’entrave. C’est comme un jeu, mais un jeu où nous sommes tous perdants. Il faudrait changer cette partie du Code du travail qui est un frein à l’information, donc au partage d’idées. Le premier but d’un patron, ce n’est pas de mettre son ­argent en Suisse ! Si on ne fait pas confiance à l’entreprise et qu’on ne la considère pas comme un partenaire à part entière, on meurt ! Autre exemple, l’obligation d’avoir un administrateur salarié est une absurdité ! Le conseil d’administration n’est pas le lieu du dialogue avec les partenaires sociaux – à la différence du comité d’entreprise européen –, mais celui de l’entreprise avec les représentants des actionnaires. Nous sommes un groupe international et il n’est pas normal de parler avec un ou des administrateurs qui ne représentent que des salariés français !

Le président Hollande a-t-il raison de vouloir relancer l’offre ?
La vraie question, c’est « comment relancer l’économie », parce qu’on n’a pas le choix ! Entre l’explosion de la dette et le déficit budgétaire, on est face à de réels problè­mes. Rechercher « le 3 % » à tout prix est un piège. À force de se donner des objectifs qu’on ne peut pas tenir, on s’essouffle ! Prenez le CICE : il peut permettre de créer des emplois, mais surtout dans les secteurs non compétitifs à l’international, à revenus salariaux faibles. Les ­secteurs moins compétitifs sont la priorité du gouvernement, qui cible les emplois non délocalisables. Chez Total, le CICE a donc très peu d’incidence. Les gains de compétitivité, notre croissance, se trouvent ailleurs, sur les emplois qualifiés. Peut-on bouger un pays en cinq ans ? Oui, même aussi conservateur que le nôtre. Il reste trois ans au gouvernement pour réussir.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi