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« Le management taylorien et l'entreprise moderne ont les mêmes finalités »

Entreprise & Carrières | Management | publié le : 11.03.2015 | Pauline Rabilloux

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Sur les chaînes tayloriennes, la déshumanisation prévalait, tandis qu’aujourd’hui, la tendance est à surinvestir la dimension humaine dans l’entreprise. Au final, pourtant, le résultat n’est pas si différent : les salariés doivent montrer leur “engagement”. Ni les compétences métier ni l’expérience professionnelle ne suffisent, analyse la sociologue.

Vous parlez de surhumanisation du management aujourd’hui, qu’entendez-vous par là ?

Le discours du management est désormais fondé sur une rhétorique guerrière. La concurrence supposée mondiale exige que toutes les forces du travail soient mobilisées au service de la défense des entreprises et de l’emploi. Il est en permanence question pour les travailleurs de relever des défis, ce qui exige qu’ils s’investissent corps et âme dans ce qu’ils font pour être à la hauteur, voire s’améliorer de jour en jour. Mais, pour obtenir ce résultat, les salariés ne peuvent plus s’appuyer ni sur leur compétence métier ni sur leur expérience professionnelle acquises au fil du temps, ils doivent maintenant suivre à la lettre les procédures qui sont pensées pour eux par les directions, assistées de cabinets de consultants dont le fonds de commerce consiste à vendre des méthodes de management toutes plus révolutionnaires les unes que les autres.
Ces méthodes labellisées par les experts sont un peu pour les salariés comme des lits de Procuste, jamais tout à fait à leur taille, car elles n’ont pas été conçues à partir de leur travail réel, mais imaginées de manière abstraite en fonction de stratégies économiques et financières sur lesquelles on ne les consulte jamais.
Mais cette dépossession des fins de son travail s’accompagne pour chaque salarié d’une attention scrupuleuse à sa subjectivité. On le contrôle, on suit ses résultats, on l’évalue, on récompense ses efforts, on pénalise ses manquements, on le promeut ou on le rappelle à l’ordre, on se soucie de sa santé, voire parfois d’aplanir les difficultés qu’il peut rencontrer dans sa vie personnelle. Des difficultés qui pourraient le distraire de s’investir totalement dans son travail. Bref, on le canalise personnellement sans cesse en lui laissant cependant la totale responsabilité de ses résultats au nom de cette fameuse autonomie qu’il est supposé réclamer en contrepartie de son investissement total. Ce n’est pas tant son métier ou son professionnalisme qui sont récompensés que, de manière plus indéterminée, « son engagement » pour servir la cause de l’entreprise. Son implication au labeur est présumée correspondre aux aspirations fondamentales de tout individu à être reconnu par les autres et apprécié en fonction de ses efforts, voire de ce qu’il donne plutôt que de ce qu’il vend : son temps de travail en l’occurrence.
Il semble y avoir convergence entre l’intérêt de l’entreprise qui, achetant du temps de travail, prétend acheter pendant ce laps de temps la totalité de la vie, des intérêts et de la motivation de ses salariés, ainsi que la quête subjective de reconnaissance de l’individu à travers chacune de ses actions au fil de chacun de ses instants. Bref, on paye du temps et on demande au salarié de le remplir de son être au nom de son intérêt-même et sous la houlette d’une fonction RH supposée d’autant plus efficace qu’elle est bienveillante, qu’elle s’occupe davantage de la subjectivité de chaque salarié.
 
En quoi cette surhumanisation se rapproche-t-elle de la déshumanisation taylorienne ?

Le taylorisme semblait à première vue se situer à l’exact opposé de cette perspective humaniste. Au lieu de reconnaître les individus au travail dans leur singularité, il prétendait, au contraire, gommer ces singularités pour ne laisser paraître qu’un travailleur robotisé, dont chaque...

Auteur

  • Pauline Rabilloux