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Le gay friendly à très petits pas

Liaisons Sociales Magazine | Management | publié le : 25.04.2016 | Valérie Auribault

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L’égalité des droits progresse dans les lois. Mais au travail, l’homophobie reste bien ancrée dans les esprits et les pratiques. Quelques entreprises, toutefois, engagent une vraie politique de diversité.

« Je sais que vous êtes homosexuel mais ça ne me gêne pas. » Lors de l’entretien d’embauche de Christophe, son futur patron se targuait d’être tolérant. Et pourtant. Une fois en poste, c’est par son orientation sexuelle que cet ambulancier est présenté à chaque réunion. Mais aussi à tout nouveau salarié. « On se demande ce que ça vient faire là. Au travail, la discrimination est insidieuse. On laisse passer les choses », remarque l’intéressé.

En 2013, lors de la loi sur le mariage pour tous, la situation s’envenime. « Certains de mes collègues ont pris des positions très tranchées et négatives. L’une a même contacté des clients pour leur dire que j’étais gay. Certains ne souhaitaient plus que je les transporte et mon patron m’a accusé de mettre l’entreprise en péril », témoigne Christophe. Puis tout dégénère. Insultes, mise à l’écart… Un matin, Christophe trouve même un cercueil dans les vestiaires avec une étiquette à son nom. Arrêt maladie, plainte auprès de la gendarmerie et direction le Défenseur des droits.

Une histoire presque ordinaire. En février, l’institution publiait son rapport annuel pour 2015. Certes, les plaintes pour cause d’orientation sexuelle restent marginales : parmi les 4 846 réclamations liées à la discrimination, elles ne représentent que 0,7 % des saisines dans l’emploi privé et 0,4 % dans le service public. Mais ces chiffres ne reflètent pas l’ampleur du phénomène. « Il y a peu de réclamations car dénoncer ce type de discrimination oblige le salarié à dévoiler son intimité », note Slimane Laoufi, chef du pôle emploi privé du Défenseur des droits.

La tendance est lourde. Selon une étude de 2011 de l’association l’Autre Cercle, 67 % des personnes homosexuelles ne souhaitent pas être visibles par crainte de conséquences négatives. Et 17 % déclarent avoir des collègues hostiles ; 19 % en pensent autant de leur hiérarchie. Même constat pour les discriminations à l’embauche. « Un CV hétéro a 47 % de chances de poursuivre le processus de recrutement. Soit deux fois plus qu’un CV gay dans lequel figure un stage dans une ­association LGBT [lesbiennes, gays, bi et transsexuels] », souligne Jean-François Amadieu, président de l’Observatoire des discriminations, qui a procédé au premier testing sur le sujet en 2014. Et c’est peu dire que la loi de mai 2013 sur le mariage pour tous n’a rien arrangé. « Depuis, les comportements homophobes ont explosé, affirme Slimane Laoufi. Les manifestations ont cristallisé les esprits. Ça a dérapé. Et ça continue. »

Insultes et brimades

Résultat, la dissimulation reste la voie privilégiée par la majorité des homosexuels. Qui préfèrent même renoncer à leurs droits (congé pour une adoption ou une naissance, ou lorsque le conjoint a eu un accident) plutôt que de faire leur coming out. Un choix contraint et négatif, selon Jean-Marie Boutin, responsable des relations institutionnelles d’Accenture et chargé de la diversité LGBT. « Parler de sa vie privée fait partie de la vie au travail. Les échanges à la machine à café engendrent la complicité entre collègues et soudent les équipes, explique-t-il. Un salarié qui se sent obligé de cacher sa vie privée sera exclu, stressé et mal dans sa peau. »

Un constat partagé par Sébastien Gidon, steward et président de Person­n’Ailes, association LGBT d’Air France. « Il y a un manque de prise de conscience, de connaissance des réalités et des souffrances. En cas d’insultes, de brimades, les services de ressources humaines promettent un recadrage. Mais c’est quoi un recadrage ? Une phrase échangée entre la machine à café et le bureau ? »

Méfiants à l’égard de leurs supérieurs hiérarchi­ques et de leurs collègues, les gays le sont aussi avec les représentants du personnel. « Certains syndicats ont mis en place des partenariats avec des associations LGBT afin d’apporter une écoute psychologique et de renseigner les victimes sur leurs droits, relate Jérôme Bougerolles, président de l’association Homoboulot. Mais beaucoup sont encore mal à l’aise avec le sujet. » De fait, les priorités affichées par les militants tournent toujours autour de l’emploi, des salai­res, des conditions de travail. Mais très peu s’at­taquent vraiment aux questions portant sur ­l’égalité des droits. Une erreur, selon Véronique Lopez-Rivoire, responsable du service juridique de la confé­dération Force ouvrière. « C’est oublier que les personnes les plus vulnérables en temps de crise sont encore et toujours les personnes discri­mi­nées », rappelle-t-elle.

Menaces de boycott

Certains employeurs, pourtant, agissent. Christian Nibourel, P-DG d’Accenture France, a été précurseur. Sa société de conseil a mis en place une politique de diversité, d’abord via une charte, avec l’aide de l’association l’Autre Cercle. En juin 2012, 10 entreprises étaient signataires de ce texte d’engagement LGBT. Elles sont aujourd’hui 42, dont Total, IBM et Sodexo. « La question de la diversité doit être portée par une personne haut placée. La charte n’est pas une promenade de santé, c’est un acte courageux et engagé vis-à-vis de ses pairs », assure Catherine Tripon, porte-parole de l’Autre Cercle. Courageux, Jean-Laurent ­Bonnafé, patron de BNP Paribas, l’a été. En octobre 2015, la banque signait la charte et recevait dans la foulée les réactions sur les réseaux sociaux de quelque 10 000 internautes menaçant l’établissement de boycott. Mais il n’a pas cédé.

Accenture va plus loin grâce à son programme d’« alliés LGBT ». L’idée : des volontaires affichent leur soutien envers les personnes gays, lesbiennes, bisexuelles ou transsexuelles et veillent à leur intégration et à leur bien-être au travail. Autre sujet d’importance, la sensibilisation des ma­nagers par le biais d’ateliers ou de jeux de rôle. ­Placés dans la peau des personnes discriminées, les cadres comprennent alors mieux leurs souffrances. « Tout vient de l’éducation, insiste Jérôme Bougerolles. Il est nécessaire de sensibiliser les étudiants durant leurs études de commerce. Et, dans les entreprises, de créer des modules “discrimination” afin que les RH et les managers soient davantage au fait de ces questions. »

L’association SOS Homophobie, elle, répond chaque année aux invitations des collèges et ­lycées. Pas moins de 17 000 élèves ont reçu les bénévoles de l’association en 2014-2015. « Nous leur faisons prendre conscience de ce qu’est une discrimination, explique Michaël Bouvard, administrateur de l’association. Et leur expliquons que l’homophobie peut frapper partout : à l’école, au travail, dans le voisinage, les lieux publics et sur les réseaux sociaux où les jeunes sont plus exposés et où règne un sentiment d’impunité. » Une homophobie que même les tribunaux ont du mal à apprécier. « Trop peu d’entreprises sont condamnées, constate Slimane Laoufi. Une discrimination pour homophobie reste difficile à prouver et les juges ont du mal à comprendre la mesure du préjudice ».

Auteur

  • Valérie Auribault