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Le digital enrichit les pratiques

Liaisons Sociales Magazine | Management | publié le : 09.02.2015 | Sabine ­Germain

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Job boards, sites « carrières », tri automatique des CV…, les outils numériques ne se contentent pas d’industrialiser les process. Ils permettent aussi d’élargir le sourcing, de mieux gérer les candidatures ou d’optimiser la sélection.

«Le bon vieux CV papier a disparu», observe Vincent Mattei, responsable du sourcing recrutement chez Thales. Il l’enterre sans l’ombre d’un regret : la quasi-totalité des candidatures aux 900 à 1 000 emplois pourvus chaque année dans le groupe d’électronique est postée sur son site. «La plupart se positionnent sur les offres d’emploi publiées dans la rubrique “Appply for a job” de notre site institutionnel. Mais nous recevons aussi environ 10% de candidatures spontanées.»

L’étude Sourcing réalisée chaque année par l’Apec le confirme: 99% des offres d’emploi cadres sont publiées sur Internet. Sur les job boards, bien sûr (dans 50 % des cas), mais d’abord et avant tout à la rubrique «carrières» du site de l’entreprise (dans 72% des cas)(1). Les sites «carrières» se sont imposés comme la vitrine de la politique RH des entreprises. «C’est pourquoi nous avons entièrement conçu et développé AccorJobs en interne, explique Stéphane Rousseau, directeur de la marque employeur du groupe Accor. Nous pouvons ainsi en piloter le contenu tout en étant très réactifs.»

Preuve de l’importance qu’il porte à cet outil: «Nous allons le refondre prochainement pour lui donner un look plus jeune et plus moderne. Le site a une très bonne image pour la qualité des contenus, mais son style est un peu trop institutionnel.»

Cela n’empêche pas le groupe Accor de disputer depuis des années avec le cabinet de conseil Deloitte la tête du classement réalisé par le cabinet suédois Potential-park sur la stratégie digitale des employeurs(2). En 2014, Deloitte est arrivé en tête du palmarès global et du classement des meilleurs sites. Mais il a été devancé par Accor, La Poste, Euler Hermes, la Société générale, Michelin et Axa dans la gestion des candidatures.

Importance du back-office

Moins visible que le site lui-même, le back-office joue néanmoins un rôle essentiel dans la stratégie digitale d’une entreprise. Émission d’un accusé de réception, outil de préqualification des CV, archivage des candidatures dans une CVthèque accessible à tous les recruteurs, système de réponse automatisée avec prise de rendez-vous calée sur le planning des recruteurs…: le niveau de sophistication du back-office est en général directement lié au volume de visites et de candidatures reçues.

Une offre d’emploi de cadre génère en moyenne 45 candidatures, selon les statistiques de l’Apec. Et plus encore dans les grands groupes, particulièrement attractifs aux yeux des chercheurs d’emploi : Total reçoit ainsi 600000 CV chaque année, EDF 500000, et la SNCF presque autant. Avec 6 millions de visiteurs par an et 600 000 candidatures archivées, AccorJobs est l’un des plus gros sites de recrutement, au même niveau que certains job boards.

Un tel flux rend l’automatisation indispensable. Surtout en ce qui concerne le sourcing. Tous les recruteurs déploient une véritable stratégie de chasse aux candidatures, allant jusqu’à traquer les profils les plus recherchés sur les réseaux sociaux. Capgemini a même créé une cellule de sept «sourceurs» chargés d’identifier et d’attirer des ingénieurs. Le groupe informatique, qui en recrute entre 3000 et 4000 par an, doit en effet faire face à une véritable pénurie de jeunes diplômés. Le sourcing en ligne est devenu son principal vecteur de recrutement, devant l’intégration des stagiaires.

Chez Accor aussi, l’optimisation du sourcing est une priorité: «Nous devons sortir de notre public captif et aller chercher des candidats pour lesquels postuler chez Accor n’est pas une évidence», explique Stéphane Rousseau. Le groupe hôtelier multiplie donc les canaux pour alimenter son vivier de candidats : après les réseaux sociaux, où il est très présent, il vient de lancer une application pour les smartphones.

Tout en étant conscient de ses limites: «L’appli mobile ne supplantera jamais le site de recrutement», admet Stéphane Rousseau, convaincu qu’un postulant a tout intérêt à prendre le temps de peaufiner tranquillement sa candidature devant son ordinateur. Mais elle a d’autres fonctions: alerter le chercheur d’emploi quand une offre est mise en ligne ou se préparer à l’entretien avec un petit quiz pouvant être fait seulement quelques minutes avant le rendez-vous, dans le métro ou dans le hall d’accueil.

Automatiser ou pas

Communément admise en phase de recherche des candidats, l’automatisation est davantage discutée en phase de qualification et de sélection des CV. Vincent Mattei reste extrêmement réticent: «Nous n’utilisons ni mots-clés, ni robot, ni test pour préqualifier les CV. Même si cela peut être fastidieux, je préfère qu’un recruteur les lise un par un : je leur fais confiance pour identifier et reconnaître les savoir-faire et les savoir être dont nous avons besoin.»

Un peu passéiste, le responsable du sourcing recrutement de Thales? Il est en tout cas extrêmement bien placé pour savoir de quoi sont capables les algorithmes, car il s’est intéressé de près aux applicant tracking systems, ces robots largement utilisés par les grandes entreprises américaines pour filtrer et sélectionner les dizaines de milliers de candidatures qu’elles reçoivent en fonction de paramètres (compétences identifiées au travers de mots-clés, cohérence des dates) préalablement établis. Il n’a pas été convaincu: «Je crois à l’industrialisation de la collecte des CV, commente Vincent Mattei. En revanche, leur sélection est et doit rester une activité humaine.»

Pôle emploi, dont la cellule «innovation» est en train d’expérimenter un processus entièrement automatisé de sélection des candidatures, fait entendre un son de cloche radicalement différent. Le site www.sanscv.fr, testé du 1er mars au 31 décembre 2014 dans les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées, reprend les principes du recrutement par simulation : les candidats sont invités à répondre à un questionnaire conçu pour identifier leurs qualités et leurs compétences au regard des postes proposés, en faisant abstraction de leur CV et de leurs diplômes.

Développé en partenariat avec la start-up MyJobCompany, cet outil a un double intérêt pour l’opérateur public: un gain de temps, puisque les recruteurs n’ont plus besoin d’éplucher leur pile de CV, et une véritable diversification des embauches.

Vision plus complète

Ces performances conduisent Stéphane Rousseau à considérer que les technologies de l’information ne peuvent être appréhendées comme de simples outils mais apportent «un changement profond dans la pratique du recrutement». Parce qu’elles élargissent le sourcing en permettant aux recruteurs d’aller bien au-delà de leurs cibles classiques. Parce que les outils de pré-qualification introduisent un peu d’objectivité dans des process de recrutement encore trop discriminants. Et parce que les recruteurs ont une vision plus complète des candidats qu’ils sont amenés à rencontrer: CV, tests en ligne, entretiens vidéo, blogs et autres travaux personnels sont une excellente base de dialogue lors d’un entretien.

Les recruteurs savent-ils se garder de la tentation d’aller fouiller dans la vie personnelle des candidats ? «Pas de ça chez nous!» répondent-ils tous en chœur en parlant d’éthique du recrutement. Selon l’Apec, 19% des entreprises déclarent pourtant avoir recherché des informations sur les candidats. Ce taux monte à 26% quand ces candidats ont été identifiés sur les réseaux sociaux. Louise en a fait l’expérience : avant de signer son contrat d’embauche dans un grand cabinet de courtage en assurance, la jeune diplômée a dû s’engager auprès de son manager à faire disparaître quelques messages embarrassants postés sur un réseau pourtant confidentiel au retour d’une soirée étudiante passablement alcoolisée: «Avec mon patronyme peu répandu, il n’a pas eu besoin de fouiller dans les profondeurs de la Toile pour tomber dessus.» Elle a retenu la leçon…

Notes
(1) Étude Sourcing 2014 réalisée par le département études et recherches de l’Apec en février 2014 par téléphone auprès de 1 400 entreprises d’au moins 50 salariés ayant recruté au moins un cadre durant l’année précédente.Retour au texte
(2) Classement annuel réalisé par le cabinet suédois Potentialpark en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Europe, aux États-Unis et en Asie. En France, 3 900 cadres et étudiants de grandes écoles ont été invités à noter la stratégie digitale des 100 plus grands employeurs : le site de recrutement, le système de gestion des candidatures, la présence sur les réseaux sociaux et les applications mobiles.

Auteur

  • Sabine ­Germain