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« Le coaching ne traite que les symptômes » (Scarlett Salman, sociologue)

Management | publié le : 21.02.2023 | Gilmar Sequeira Martins

Sociologue, maîtresse de conférences à l’université Gustave Eiffel et chercheuse au Laboratoire interdisciplinaire Sciences, Innovations, Sociétés (Lisis – CNRS/Inrae/Université Gustave Eiffel), Scarlett Salman a publié en 2021 Aux bons soins du capitalisme, le coaching en entreprise (Presses de Sciences Po). Elle revient sur l’origine du coaching et analyse le rôle qu’il remplit actuellement dans les entreprises.  

Qui sont les coachs ?

Scarlett Salman : La population des coachs se divise en deux catégories avec des profils différents. La première est constituée de formateurs, de consultants et de psychothérapeutes. Ils ont été formés aux sciences humaines, aux sciences de l'éducation, à certains courants de psychologie et ils ont diffusé le coaching en France dans les années 90. La seconde est apparue plus tard, à partir des années 2000. Elle est constituée de cadres qui ont subi la vague de restructuration des années 90 et qui se sont lancés dans le coaching après avoir été coachés par les coachs de la première catégorie. Leur définition du coaching est différente. La première catégorie de coachs met en avant son expertise psychologique de la relation et la seconde son expérience de cadre et sa connaissance des problématiques organisationnelles auxquelles ses membres ont eux-aussi été confrontés. Ces origines et expertises différentes ont un impact sur leur activité. Les premiers ont un réseau de clients constitués depuis longtemps et ils trouvent souvent des missions plus facilement que les seconds dont certains deviennent des coachs internes. La plupart des grandes entreprises ont un service de coaching interne destiné aux catégories intermédiaires de managers. L'avantage pour elles est d'internaliser le coût.

Comment les entreprise réagissent-elles face à ces parcours différents ?

S. S. : Cette diversité est utile pour les entreprises car elles mobilisent des coachs pour des situations diversifiées. Selon les cas, les RH vont mobiliser un coach plutôt « psy » ou plutôt « cadre ». Les RH tiennent quasiment toujours le même discours : il s'agit de faire grandir, de faire monter en compétences, etc, mais dans le réel, les situations sont plus complexes. Beaucoup de situations tournent autour des relations de travail et le coaching est alors censé apporter des compétences relationnelles à la personne concernée. Ce type de situation renvoie au changement de logiciel managérial en cours depuis une vingtaine d'années. Globalement, il s'agit de passer d'un modèle où le cadre dirige par le statut à un autre où il mobilise par le sens et la qualité relationnelle. Il s'agit de diffuser un nouveau mode de mobilisation.

Quel rôle jouent les coachs dans cette dynamique ?

S. S. : Le premier mandat du coaching est d'être l'outil de cette transformation managériale, concentrée cependant dans les grandes entreprises car il a un coût élevé. Le second mandat consiste à résoudre les difficultés relationnelles. Il peut aussi être utilisé dans des cas inattendus. Certains cadres se voient attribuer un coaching parce qu'ils ont un comportement « irrévérencieux » vis-à-vis de leur hiérarchie. Le but est de remettre la personne à sa place car même s'il existe un discours sur la possibilité pour tout le monde de s'exprimer, les organisations restent très hiérarchiques et même un cadre dirigeant doit faire attention à ce qu'il dit. Ces cas, pas si anecdotiques au demeurant, sont révélateurs de la nature hybride du capitalisme actuel. D'un côté se développe depuis vingt ans un discours « néo-managérial » encourageant la prise d'initiative, la créativité, la libre parole, qui trouve une traduction concrète dans les pratiques de formation de l'encadrement et de coaching ; de l'autre, les organisations et les modes de prise de décisions restent très hiérarchisées. Si les cadres veulent contourner cette structure très hiérarchique pour contacter directement le dirigeant par exemple, ils risquent de se faire placardiser ou de devoir partir. Dans ces cas, le coaching joue un rôle ambivalent. D'un côté, il enseigne les règles informelles et implicites que doit respecter le cadre au sein de l'organisation ; ce faisant il l'aide à éviter une situation où il risque la placardisation ou l'exclusion, et il l'aide aussi à comprendre suffisamment à temps le risque pour l'amener à se repositionner et élaborer une autre stratégie. Le coaching opère cependant également comme un rappel à l'ordre hiérarchique dans ce type de configuration, en rappelant aux cadres leur place. La contradiction entre le discours néo-managérial encourageant la prise d'initiative et les règles informelles en vigueur produit beaucoup d'inefficacité car les cadres qui adoptent le discours font remonter à la direction des choses qu'elle ne veut pas voir.

Quels rapports le coaching établit-il avec la vie privée des coachés ?

S. S. : Le coaching est une prestation issue de l'adaptation au monde du travail des techniques de psychothérapie. Les cadres l'ont bien compris. Dans l'organisation salariée, il y a une frontière très importante entre vie privée et vie professionnelle mais le monde du coaching est parvenu à faire admettre qu'il y avait une grande différence entre sa pratique et la psychothérapie. Pour autant, les coachs ne s'interdisent pas d'évoquer la vie personnelle de la personne coachée car leur mandat consiste à mobiliser les ressources personnelles des individus. Cela peut encore susciter de la méfiance d'où l'importance, pour les coachs, d'instaurer une relation de confiance dès les premières séances.

Quelles sont les conséquences de l’approche centrée sur l’individu que porte le coaching ?

S. S. : Le coach est mandaté pour résoudre des problèmes de relations au travail, d'encadrement, de gestion du temps ou encore des problèmes de carrière. Ces situations sont lues sous un angle très personnel ou inter-personnel, très psychologique, et ne sont pas rattachées à des problèmes de travail ou d'organisation. Cela entraîne une série de conséquences sur l'individu et le collectif. Sur l'individu, les conséquences sont ambivalentes. Le coaching reporte sur lui la responsabilité des situations. Cela peut remettre en cause les personnes et les amener à considérer que c'est leur personnalité qui n'est pas adaptée à la situation. Il peut y avoir cependant un versant positif à cette responsabilisation : le coaching peut en effet enseigner des techniques pour sauver la face ou prendre de la distance, qu'il s'agisse de techniques communication ou de gestion du temps, en résumé des techniques d'hygiène psychique grâce auxquelles les cadres peuvent affronter ces situations, ce qui leur donne l'impression de retrouver de la marge de manœuvre. La conséquence sur le collectif est de détourner le regard de l'organisation du travail et de son fonctionnement. Le coaching individuel conduit les organisations à se dédouaner de toute réflexion sur leur propre fonctionnement pour faire reposer la recherche de solution sur les individus là où il pourrait y avoir une analyse et une mise en discussion collective de l'organisation et du travail. La lecture le plus souvent adoptée par les RH et le coaching consiste à considérer que ce sont les personnes qui posent problème. Le coaching se trouve donc à remplir une fonction palliative puisqu'il ne traite que les symptômes et pas les causes des dysfonctionnements qui peuvent se trouver dans l'organisation elle-même. Le coaching en vient aussi à décourager l'action collective. Les cadres, au lieu de se tourner vers des modes de régulation collectifs, en viennent à travailler sur eux-mêmes. Paradoxalement, cette tendance entretient le risque de burn-out car si les personnes sont toujours remises dans des situations qui les exposent à des difficultés structurelles, il y a, malgré les optimisations qu'apporte le coaching, un risque d'épuisement.

Propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins