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La face cachée du retour

Liaisons Sociales Magazine | Management | publié le : 26.05.2015 | Anne-Cécile Geoffroy

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Se réacclimater à son pays après des années passées à l’étranger s’avère très difficile. Et pourtant, les entreprises s’intéressent peu à ce volet RH primordial. Explications.

Sur le papier, son CV est en béton armé. François Girard a passé dix-huit ans à l’étranger. Envoyé à Hong Kong pour y ouvrir une agence d’assurances, ce manager a ensuite été débauché par une société spécialisée dans l’assistance médicale. Corée du Sud, Suisse, Grande-Bretagne, Singapour, à nouveau Hong Kong…

Ce quadra, qui occupait dernièrement un poste de directeur des opérations, parle un anglais totalement «fluent». «J’étais responsable de l’assistance médicale sur toute une région. Je manageais une équipe multiculturelle ­importante», raconte-t-il. Et pourtant. De retour en France depuis six mois, François galère pour retrouver un emploi. Et son expérience, si séduisante soit-elle, aurait plutôt tendance… à le handicaper! «J’ai le sentiment de faire peur aux recruteurs. Soit on ne me rappelle pas, soit on me demande immédiatement mes prétentions financières. Sans me parler de mes compétences ou du poste», constate-t-il.

Une histoire somme toute banale pour les globe-trotters de retour au bercail. Poser ses valises en France après plusieurs années passées à l’étranger pour s’y réinsérer professionnellement se révèle un parcours du combattant. «L’expérience internationale n’est pas valorisée, constate Anne-Laure Fréant, qui a travaillé pendant cinq ans au Canada. On ne s’y retrouve pas professionnellement et cela crée une véritable angoisse. Pour certains, cela peut aller jusqu’au burn out.»

Ce que confirme Alix Carnot, directrice du développement ­d’Expat Communication, spécialisée dans l’accompagnement des expatriés et des candidats au retour. «Il faut considérer le retour comme une nouvelle expatriation. Cette attitude permet de rebondir plus facilement. Ce qui ne veut pas dire que ce ne sera pas douloureux.» La dirigeante parle en connaissance de cause, elle qui a suivi son conjoint et vécu dans huit pays en quinze ans.

Des parcours non valorisés

Des difficultés qui n’encouragent pas à ­regagner la mère patrie. De fait, 68% des expatriés n’envisagent pas un retour en France dans les cinq ans, selon le baromè­tre du groupe de protection sociale Humanis réalisé pour Lepetitjournal.com, paru en mars dernier. «Cette absence de valorisation des parcours internationaux est un immense gâchis. Les entreprises françaises se privent d’une vraie richesse , souligne Hervé Heyraud, fondateur du site d’informations à destination des expatriés français. Et, contrairement aux idées reçues, reprendre racine en France n’est pas forcément plus simple pour celui qui reste dans son entreprise avec un poste à la clé. Selon une étude parue en 2012 de la société Brookfield, spécialisée dans le ma­nagement de la mobilité internationale, 24% des expatriés quittent leur employeur dans l’année qui suit leur retour. Auxquels s’ajoutent 26 % entre la première et la deuxième année. «Les entreprises sont loin d’être au point sur cette question, corrobore Jean-Luc Cerdin, professeur à l’Essec et auteur de plusieurs ouvrages sur l’expatriation. Tant qu’elles continueront à penser la mobilité internationale autour des seules questions de rémunération ou de fiscalité, elles ne géreront pas correcte­ment le retour de leurs salariés.»

Certaines commencent néanmoins à se pencher sur la question. Car un come-back raté coûte beaucoup plus cher qu’un accompagnement structuré. Depuis quatre mois, Safran fait plancher ses spécialistes sur le sujet. «Les principaux facteurs de risque sont une expatriation trop longue et le fait que le salarié travaille sur une fonction support qu’il est plus simple de remplacer», note Stéphane Watts, directeur mobilité internationale du groupe. Son homologue chez Capgemini, Jean-Baptiste Hebrard, insiste, lui, auprès des candidats pour que le sujet soit abordé, avant même le départ, avec le conjoint. «Au retour, nous conseillons également un coaching pour que la famille absorbe le choc culturel inversé que tout expatrié vit plus ou moins intensément. Mais certains ne veulent pas activer ce service», confie-t-il.

Étranger dans son pays

Les entreprises doivent apprendre à composer avec le déni dans lequel les expatriés peuvent s’enfermer à leur retour. Beaucoup n’ont pas anticipé la perte de repères professionnels et personnels qu’un séjour à l’étranger a nourrie. En leur absence, la société, comme l’entreprise, se sont transformées. Et l’expatrié qui croyait retrouver un ­environnement familier se sent étranger dans son propre pays. «Vous ne savez plus qui compte dans votre organisation. Vous n’êtes plus à jour sur de nombreux sujets. Vous vous sentez gauche», témoigne Vincent de Meyer, directeur général d’April International Expat, qui a passé plusieurs années en Espagne.

Autre effet collatéral, un sentiment d’anonymat. Car si le retour est un événement pour l’intéressé, il ne l’est pas pour son entourage professionnel. Salarié pendant deux ans dans une agence de pub à Kaboul, Charles-Henri a eu bien du mal à reprendre pied. «Là-bas, j’étais quelqu’un, j’appartenais à la communauté des expats. J’avais une vie sociale intense. Une fois en France, je suis devenu un anonyme de retour chez ses parents.» Redoutable sur le plan ­psy­­­-cho­logique. «Quand un salarié revient d’expatriation, il quitte le monde de l’international où il se sentait compris. En sortant de cette sphère, il est seul, souligne Jean Pautrot, ancien directeur de la mobilité groupe chez EDF, aujourd’hui coach. Les managers qui accueillent ce type de profil dans leur service devraient considérer ce salarié comme une nouvelle recrue. Et lui présenter l’entreprise comme s’il y mettait les pieds pour la première fois», ajoute-t-il.

Pour mieux border le retour des colla­borateurs, Jean-Baptiste Hebrard a inscrit dans la charte mobilité internationale de Capgemini l’engagement du responsable RH et du manager de l’entité d’origine à suivre le salarié tout au long du séjour à l’étranger. « Cette charte, par sa publication, a une valeur contractuelle. Elle engage les différents acteurs », justifie-t-il. Six mois avant le retour, le service mobilité internationale alerte les RH pour qu’elles définissent avec l’intéressé la prochaine étape.

Les expatriés se cognent à un autre obstacle. Celui de traduire leur expérience internationale en compétences. «Quand vous dites que vous avez travaillé dans la pub à l’étranger, tout le monde pense à New York, jamais à Kaboul. J’ai très vite arrêté de parler de mon travail en Afghanistan. Il me desservait plus qu’autre chose », ­raconte Charles-Henri, directeur artistique aujourd’hui free-lance. Revenue il y a un an, Anne-Laure Fréant n’a pas encore trouvé de travail. « Je ne rentre plus dans les cases des recruteurs. J’ai décidé de créer ma propre activité à partir de cette expérience. Une sorte de thérapie professionnelle», avoue-t-elle. La jeune autoentrepreneuse va ainsi inaugurer courant mai un site Internet spécialisé dans… le retour en France.

Garder le contact

De fait, les compétences développées à l’étranger ne sont pas toujours transpo­sables dans l’environnement français. «Un directeur d’agence à Bordeaux aura plus de chance que son collègue de Shanghai de décrocher un poste similaire à Lille. Tout le travail de l’expatrié consistera à quitter le niveau des anecdotes et à recontextualiser ses expériences pour en tirer des compétences convainquantes en France», souligne Jean Pautrot.

Pour aider les expatriés à maintenir un réseau professionnel dans leur pays d’origine, Safran organise désormais deux fois par an un forum RH interne qui leur est totalement dédié. «Les RH rencontrent les expatriés qui leur présentent leur expérience, les compétences qu’ils ont pu développer», explique Stéphane Watts. Une façon d’anticiper le travail de repositionnement incontournable au moment du retour. Et, surtout, de garder le contact depuis l’étranger.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy