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Jogging et cinéma s’invitent au boulot

Liaisons Sociales Magazine | Management | publié le : 03.10.2014 | Catherine Abou El Khair

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Voyages, cinéma, running…, certaines entreprises invitent leurs salariés à partager leurs passions sur un réseau social interne. Objectif : créer du lien et du bien-être, même si, à plus long terme, la visée reste professionnelle.

Pour le rendre sympathique, ils l’ont ­baptisé Gérard. L’acronyme de… ges­tionnaire d’élaboration de relations ­acti­ves, réelles et drôles. Les salariés de SeLoger.com ont affublé leur réseau social ­d’entreprise (RSE) d’un prénom familier qui colle ­parfaitement à la vocation première de cet espace d’échange, clone de Facebook : ne pas y parler boulot mais partager passe-temps, passions et plaisanteries. À côté d’un fil d’informations, un onglet permet d’entrer dans différentes communautés. Dans le groupe « voyage », Dorothée, 47 ans, a publié ses meilleures photos et les ­compare avec celles de ses collègues.

L’objectif affiché de ce réseau social interne n’est ni d’atteindre le « zéro mail » ni de favoriser le travail collaboratif. Une exception alors que beaucoup d’entreprises assignent à leur réseau une vocation d’abord professionnelle. Selon le sociologue Denis Monneuse, auteur d’une étude publiée en avril 2014 par l’Institut de l’entreprise, les trois quarts des entreprises du CAC 40 ont mis en place ou sont en train de développer leur réseau interne. Mais, selon ce chercheur associé à l’IAE de Paris, « le nombre d’utilisateurs véritablement actifs, qui s’approprient le réseau social comme un outil de travail se substituant à d’autres outils, est décevant. La greffe semble n’avoir pas (encore) réellement pris ».

Du coup, encourager des conversations plus légères sur un réseau social peut être une piste pour familiariser les salariés avec ce remplaçant de l’intranet. « La direction nous a incités à créer des communautés extraprofessionnelles ludiques », explique Valentine Garcia, responsable de la communication interne chez Lagardère Publicité. La régie a ouvert son réseau, YouMe, il y a trois ans. « À l’origine, il s’agissait de communiquer sur le déménagement dans de nouveaux locaux, en open space, à Levallois-Perret. »

Aujourd’hui, sur les 100 communautés recensées, un quart n’ont rien à voir avec le travail. Fans de photo, de motos, de cinéma ou de bijoux y ont leur espace dédié. La moitié des collaborateurs ont créé leur avatar sur ce réseau social, où l’inscription n’est pas obligatoire. Créé par Yoolink, ce RSE « est lié à l’état d’esprit de notre entreprise, où travaillent beaucoup de jeunes collaborateurs adeptes des réseaux sociaux, ainsi qu’à la volonté de notre direction de répondre au bien-être de ses salariés sur leur lieu de travail », explique la directrice de la communication Valérie Blondeau.

Attirer les salariés

Pour les services chargés de les superviser, souvent les RH ou la communication, ces espaces d’échange sont révélateurs d’une bonne ambiance dans l’entreprise. « Nos informaticiens s’intéressent à d’autres choses qu’à leur travail », résume Muriel Barron, responsable communication et knowledge management chez D2SI, une entreprise de services numériques où la moyenne d’âge n’atteint pas les 30 ans.

Son très sérieux réseau, conçu par BlueKiwi, qui sert avant tout d’outil de veille pour des consultants en informatique tenus de rester à la pointe des nouvelles technologies, comprend aussi un espace « machine à café ». Et rapproche les amateurs de krav maga, de yoga ou de slackline – une pratique proche du funambulisme. La communauté running y a déjà pris rendez-vous pour participer à la prochaine course organisée par Nike, ce mois-ci.

De tels échanges peuvent aussi permettre à des caractères introvertis de se révéler. « J’ai découvert une personne qui manifeste, dans ses publi­cations, un réel talent littéraire », relève Anne-Sophie Catrou, responsable des ressources humaines chez SeLoger.com. Ou permettre de nouer connaissance avec des collègues.

L’inscription au réseau social Gérard est auto­matique, et les salariés de SeLoger.com sont abonnés aux publications de tous leurs collègues – ils sont 350. « J’avais fait les meilleurs pronostics sur les matchs de la dernière Coupe du monde de football. Des gens que je ne connaissais pas m’ont félicitée dans l’ascenseur », se souvient, surprise, Dorothée.

Communautés volatiles

Pionnier en la matière, Orange revendique 100 000 inscrits à son réseau interne, Plazza, créé en 2009. « Notre objectif premier n’était pas de l’installer dans une pure logique de business mais plutôt de qualité sociale au service de la performance économique », explique l’ingénieur Jean Daries, maître d’ouvrage de Plazza, rattaché à la direction des ressources humaines d’Orange, soucieuse d’une communication plus fluide avec les salariés. Plus de 2 000 communautés ont été créées.

Au dé­marrage, la majorité d’entre elles étaient de nature extraprofessionnelle, rassemblant les passionnés d’apiculture ou de théâtre. Elles ne sont plus que 20 % aujourd’hui. Les échanges professionnels dominent. « Les collaborateurs s’intéressent à ce que le réseau leur apporte dans la pratique de leur métier », remarque Jean Daries.  Et ça marche: les communautés les plus actives diffusent plus de 100 publications par jour !

Chez Lagardère Publicité, Domitille regarde de très loin la partie « fun » du réseau social YouMe. Étant elle-même intégrée à la communauté consacrée à la cuisine, elle n’y contribue pas. « Pour moi, le réseau reste avant tout un outil de travail », explique cette chargée d’études au département marketing. « Dans la plupart des cas, les entreprises n’encouragent pas les communautés extraprofessionnelles, mais ne les interdisent pas non plus », souligne Denis Monneuse.

Pour Sunny Paris, président de l’éditeur de réseaux sociaux d’entreprise Yoolink, « il y a de nombreux cas où la création de ce type de communautés n’est pas pertinente : la gestion de projet, la veille, l’extranet clients… Contrairement à un réseau axé sur la communication ­interne, dans une entreprise dont la culture valorise le capital humain et l’esprit de partage ».

De même, une communauté doit avoir une taille minimale : « Au-dessous de 200 à 300 personnes, cela n’a pas grand sens », explique-t-il. Chez SeLoger, les communautés qui n’ont pas assez de membres passent à la trappe. Ainsi, Gérard n’accueille plus de groupe « femmes »…

Auteur

  • Catherine Abou El Khair