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GRH individualisée pour tous

Liaisons Sociales Magazine | Management | publié le : 04.06.2015 | Anne-Cécile Geoffroy

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L’individualisation des rémunérations et des carrières n’est plus l’apanage des seuls cadres, selon une étude de l’EM Lyon. Les entreprises étendent petit à petit leurs politiques à l’ensemble des salariés.

Qu’est-ce qui différencie aujourd’hui la gestion des cadres de celle des non-cadres dans les entreprises  Plus grand-chose, à lire les résultats du rapport Cranet* pour la France, qui n’a pas encore été rendu public. L’étude, pilotée par Fabienne Autier, professeure en GRH et organisation à l’EM Lyon, pointe la convergence très forte des politiques de gestion des ressources humaines appliquées aux deux populations.

Une tendance à l’œuvre depuis plusieurs années mais qui s’est très fortement accentuée. «Les marqueurs les plus forts de ce mouvement de fond sont les entretiens annuels d’évaluation et la composante augmentation individuelle proposée dans le ­cadre des négociations annuelles obligatoires», explique la chercheuse.

En matière de rétribution, en dehors des stock-options qui restent le privilège des cadres, les éléments périphériques se sont progressivement étendus. Bonus sur objectifs individuels et distribution d’actions concernent ainsi de plus en plus fréquemment ouvriers et employés. Idem pour les augmentations à la tête du client, qui ne sont plus réservées aux managers, écartés des revalorisations collectives.

«Nous observons une généralisation des modalités de rémunération basées sur la performance individuelle. En 2005, 58% des entreprises françaises y recouraient pour leurs cadres contre seulement 18% pour les ouvriers et les employés. En 2014, la fréquence est de 91% pour les premiers et de 74% pour les seconds», note Fabienne Autier.

Le mouvement se nourrit de la généralisation des entretiens d’évaluation. Selon le rapport Cranet, 91% des entreprises utilisent des systèmes d’évaluation ciblant les ouvriers et les ­employés. Contre 76% il y a dix ans. Selon l’enseignante, ce déploiement massif s’est effectué surtout par «idéologie». Sans forcément s’ancrer dans le contenu du travail. «Quelle idée peuvent avoir les ouvriers et les employés de leur contribution à la stratégie de l’entreprise et surtout quelle marge de manœuvre ont-ils pour en décider » interroge-t-elle.

Noyés dans la masse

La chambre sociale de la Cour de cassation n’est pas étrangère à cette individualisation massive de la gestion des ressources humaines. Voilà quatre ans, dans plusieurs arrêts datés du 8 juin 2011, elle avait ainsi jugé que «le principe d’égalité de traitement s’oppose à ce que des différences d’avantages soient opérées entre catégories professionnelles, notamment entre les cadres et les non-­cadres, à moins que ces différences ne reposent sur des raisons objectives».

De quoi inciter les directions à outiller leurs politiques RH auprès de toutes les catégories de personnel. Et tant pis si, récemment, la jurisprudence a évolué, circonscrivant l’égalité de traitement aux conventions et accords collectifs de travail.

Les DRH, eux, se satisfont plutôt des recommandations des juges. Ils estiment anachronique le tout collectif pour les uns, le tout individuel pour les autres. «Gérer les salariés de façon collective, c’est nier la valeur intrinsèque de la personne, souligne Antoine Belot, DRH de Philips Lighting. Sur le terrain, nos agents de maîtrise expriment aussi une vraie demande d’individualisation. Ils veulent savoir comment leur travail est évalué.»

Même diagnostic chez Électro Dépôt. «Les jeunes générations ont envie d’être considérées à titre individuel et non pas noyées dans la masse», assure Stéphane Wilmotte, le DRH. Il y a trois ans encore, le spécialiste de l’électroménager bon marché proposait à ses équipiers des revalo­risations salariales à 100% générales. «Aujourd’hui, deux tiers de l’augmentation sont collectifs, un tiers est individualisé. Nous avons conservé une part collective car leur niveau de rémunération n’est pas le même que celui des cadres», justifie le DRH.

Chez Grundfos, une entreprise d’origine danoise spécialisée dans les systèmes de pompage, la généralisation des hausses individuelles est relativement récente. Mises en place il y a quatre ans dans l’entité commerciale, elles concernent dé­sormais tout le monde. «L’une des conséquences, c’est l’augmentation du turnover. À force de ne pas être récompensés, les moins performants nous quittent et nous gardons les meilleurs, se félicite Stéphane Terrier, DRH de l’entité commerciale. Nous avons aussi pu mettre en place une culture de la création de valeur qui n’était pas présente dans l’entreprise.»

Employés à potentiel

Pointe aujourd’hui la question de la gestion des carrières. Celles des non-cadres étaient jusqu’ici laissées en friche par les employeurs, concentrés sur leurs «hauts potentiels». Or, impossible d’évaluer la performance individuelle et de personnaliser les rémunérations des cols bleus sans s’intéresser à leur évolution professionnelle. Au risque, sinon, de nourrir frustration et désengagement. D’après l’étude Cranet, les résultats des évaluations des non-cadres servent en priorité à mieux cibler les programmes de formation et de développement des compétences (96% des cas) puis à gérer les carrières des individus (94%).

Chez Aéroports de Paris, l’individualisation des politiques RH avance tout doucement. Un héritage du statut d’établissement public. Mais l’entreprise est en train de rénover tout son dispositif d’évaluation pour le rendre plus agile. Elle expé­rimente ainsi les people reviews pour la population des non-cadres afin d’identifier les salariés à potentiel. Une pratique RH qui, dans la plupart des entreprises, ne concerne que les cadres. «Nous l’avons testée l’an dernier sur toute la fonction RH, soit 260 personnes au siège. Nous allons désormais la déployer service par service. L’idée est de proposer, après un examen de fond des entretiens d’appréciation, des évolutions horizontales ou verticales à nos collaborateurs», explique Catherine Benet, la DRH.

Une politique qu’Électro Dépôt a mise en place depuis trois ans. Objectif : passer en revue, au moment des augmentations de salaire, les évaluations des 1 300 équipiers des dépôts pour détecter les futurs directeurs de site. «Nous sommes une entreprise jeune et en plein développement. Pour accompagner notre croissance, nous avons fait le choix de la promotion interne», explique Stéphane Wilmotte.

Concrètement, chaque directeur de site identifie, au sein de son équipe, les salariés qui pourraient évoluer vers un poste de cadre. Les promotions –une vingtaine par an– n’interviennent qu’après entretiens avec des directeurs de site, mise en situation et passage par l’académie maison. De quoi booster la motivation des troupes. Vu sous cet angle, l’individualisation des pratiques RH a du bon. Et des soutiens dans toutes les strates.

*Cranet, pour Cranfield Network, est un observatoire international des politiques et pratiques de GRH initié en 1989 par Cranfield, une business school anglaise. L’EM Lyon conduit cette enquête pour la France. Aujourd’hui 40 pays participent à cette étude. En France, 158 entreprises
de plus de 200 salariés ont répondu à l’enquête 2014.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy