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« L’innovation RH peut être un game changer » (Michel Barabel, Lab RH)

Homepage | publié le : 21.05.2024 | PROPOS RECUEILLIS PAR GILMAR SEQUEIRA MARTINS

innovation RH

Michel Barabel, Lab RH : « L’innovation RH peut être un game changer. »

Crédit photo Geraldine Aresteanu

Alors que la Station F vient d’accueillir le 14 mai une dizaine de start-up RH pour accompagner leur développement, Michel Barabel, directeur du master 2 gestion des ressources humaines de l’IAE Gustave Eiffel, professeur à Sciences Po et directeur des publications du Lab RH, revient sur l’histoire d’une notion, l’innovation RH, parfois controversée et aux contours souvent flous.

Quand est apparue la notion d’innovation RH ?

Michel Barabel : Évidente aujourd’hui, l’innovation RH est pourtant très récente. C’est un terme quasi inexistant durant le XXe siècle. Née dans les années 1920, l’administration du personnel a évolué pour prendre en charge les relations sociales avant de se pencher sur les questions de développement, de santé, de qualité, de vie au travail. Le dernier quart du XXe siècle, notamment les années 1980, a vu apparaître une dimension gestionnaire autour de la fonction RH. C’est à partir de ce moment qu’ont été abordées les questions de compétitivité, d'accompagnement des changements culturels, de stratégie et de business partner. Apparaissent ensuite les termes d’innovation RH, autour de 2012.

Que se produit-il alors ?

M. B. : Cette évolution se fait autour d’un constat, qui perdure encore aujourd’hui, celui d'un environnement plus turbulent, où la durée de vie des compétences baisse et où les règles du jeu changent plus rapidement. Dans un tel contexte, la perception de la fonction RH change : auparavant fonction qui devait exceller dans la façon dont elle délivrait un certain nombre de process, elle doit devenir une fonction capable de renouveler régulièrement son offre, ses services, capable de créer de la valeur pour ses clients internes, quasiment à l’égal de la fonction commerciale ou marketing. Se pose alors la question de ce qui peut être mis en œuvre pour améliorer l'expérience collaborateur.

La notion est-elle claire pour autant ?

M. B. : Mais même dans cette nouvelle configuration, il reste à définir ce que peut recouvrir l’innovation RH. La réalité, c’est qu’il s’agit d’une définition par défaut : l’innovation recouvre tout ce qui n’est pas la RH traditionnelle. Donc c'est très large et bien sûr, cela pose un certain nombre de débats. Si les termes « innovation RH » sont quasiment inexistants dans le monde de la recherche, ils sont en revanche très présents dans la presse. La plupart des start-up les utilisent pour se distinguer des process traditionnels et signifier qu'elles apportent quelque chose de nouveau.

Le terme serait-il polysémique ?

M. B. : Dans les organisations, ces termes ont un sens différent. Ils peuvent signifier qu’elles font cette année quelque chose d’un peu différent de l’année dernière, de sorte qu'ils peuvent s’appliquer à n’importe quelle nouvelle politique RH. Une autre acception possible revient à qualifier avec ces termes une initiative qui a une dimension pionnière avec un effet différenciant ou disruptif.

Quid de l’innovation RH réelle ?

M. B. : Dans la réalité, 95 % des innovations RH sont de nature incrémentale. Il s’agit d'abord de dispositifs d'amélioration continue qui permettent de faire un peu mieux qu'avant. Le domaine RH n'est donc pas forcément à classer parmi les pionniers ni celui des révolutionnaires.

À quoi tient cette situation ? À deux facteurs. Le premier, c’est que la fonction RH s'est créée après beaucoup d'autres fonctions dans l'organisation. Il en découle un complexe de légitimité. Le second, c’est une fonction qui a une mauvaise image, voire qui est dénigrée systématiquement : ce que l'on nomme le « HR bashing ».

Il en résulte que les RH sont sans doute la fonction la plus « fashion victim » dans les organisations, car innover de manière radicale et pionnière nécessite un mandat (obtenir les budgets et le soutien du Comex) et un grand courage, car, en cas d’échec, il y a un risque de se faire licencier. Dans les grandes entreprises, il est donc souvent fréquent d’attendre qu'une pratique devienne à la mode pour l'adopter, ce qui conduit parfois à constater la difficulté de « plugger » dans son domaine une méthode qui a été conçue dans un autre contexte pour d'autres caractéristiques culturelles. Ainsi, l’innovation RH relève parfois plus du gadget que du « game changer ».

Quels sont les facteurs qui favorisent l’innovation RH ?

M. B. : Le premier, c'est l'ambidextrie, c’est-à-dire la capacité à améliorer tout ce qui existe tout en ayant une capacité à introduire ponctuellement des innovations de rupture. Il s’agit de développer une capacité à exceller dans le présent tout en préparant le futur.

Le second, c’est qu’une innovation RH radicale ne peut aboutir qu’en instaurant un sentiment de sécurité psychologique parmi les équipes RH et de manière générale dans l'ensemble des collaborateurs de l'organisation. Comment se matérialise cette confiance psychologique ? Par le fait qu’en cas d’échec, la hiérarchie préférera retenir la prise de risque et les effets d'apprentissage pour réussir demain plutôt que le caractère décevant. Parmi les collaborateurs, cette sécurité psychologique sera présente s’il ne leur vient pas à l’esprit qu’il y a un « loup » et que les encouragements à se saisir de tel ou tel outil peuvent aboutir à des situations qui se retourneront contre eux.

Quels seraient les deux autres facteurs clés ?

M. B. : Le troisième facteur favorisant l’innovation RH, c’est de créer des outils ou des pratiques dont le collectif se saisit ; or c’est rarement, voire jamais le cas lorsque ces outils sont conçus par les seules équipes RH et diffusées en mode top down. Il faut partir des besoins prioritaires des collaborateurs et les associer à la conception de ces outils.

Le quatrième facteur réside dans la création d’un environnement capacitant, ce que Peter Senge appelle « l'organisation apprenante ». Plutôt que de se trouver dans un mindset fixe, les collaborateurs sont mis en capacité de tester et explorer sans barrières limitantes. Ce type d’environnement sera propice à la génération d’innovations. Pour le susciter, il faut dé-hiérarchiser, dé-bureaucratiser et simplifier les process.

Comment les équipes RH peuvent-elles devenir des « game changer » ?

M. B. : Pour être un « game changer », l’innovation RH doit être très alignée sur les objectifs stratégiques de l'organisation, la culture organisationnelle et la structure. Dans le cas contraire, au pire elles vont être rejetées par l'organisation. Au mieux, Il sera possible de les introduire, il va y avoir un effet « wow » et puis deux ou trois ans plus tard, le constat sera que l'adoption n’a pas eu lieu.

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  • PROPOS RECUEILLIS PAR GILMAR SEQUEIRA MARTINS