Les 6 millions de cadres de l’économie française vont-ils devenir le fer de lance de l’adoption de l’intelligence artificielle ? Une enquête de l’Apec semble confirmer que le mouvement est engagé, mais plusieurs motifs de méfiance persistent.
Les cadres savent désormais ce qu’est l’IA. Selon une enquête menée par l’Apec en mai auprès d’un millier d’entre eux1, ils ne sont plus que 3 % à n’en avoir jamais entendu parler, soit trois fois moins qu’à la même époque en 2023. La part de ceux qui « ne voient pas précisément » de quoi il s’agit a aussi fondu, passant de 28 % à 22 % du total. En revanche, la proportion de ceux qui en ont entendu parler et savent « précisément » de quoi il s’agit a bondi, passant de 63 % à 75 %. Près de 8 cadres sur 10 disent désormais savoir de quoi il retourne.
Autre enseignement majeur de cette enquête : les écarts dus à l’âge ou à la taille des entreprises sont désormais minimes. Si 81 % des cadres de moins de 35 ans déclarent avoir une « connaissance précise des nouveaux outils d’IA », en progression de 16 points par rapport à 2023, leurs homologues de 55 ans et plus ne font pas mauvaise figure puisqu’ils sont 70 % à se considérer dans la même situation.
Tester, c'est l'adopter ?
Les écarts sont plus marqués entre les TPE et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) associées aux grandes entreprises (GE). Alors que 66 % des cadres des premières estiment avoir une « connaissance précise des nouveaux outils d’IA », ce taux monte à 79 % parmi ceux travaillant dans les ETI-GE, soit 13 points d’écart. Cela dénote à tout le moins un moindre intérêt des cadres des TPE pour ces nouvelles technologies, dont ils ne perçoivent pas tous l’intérêt pour leurs activités quotidiennes.
Tester de tels outils a sans doute constitué l’un des moteurs de cette appropriation. Le sondage de l’Apec indique en effet que le nombre de cadres ayant testé des systèmes d’IA dans le cadre professionnel a doublé entre 2023 et 2024, passant de 19 % à 41 %. Parmi cette frange, l’usage régulier reste cependant minoritaire (10 %), alors que 21 % déclarent utiliser ces outils « de temps en temps » et 10 % jamais.
Est-ce vraiment utile ?
L’étude relève cependant que la propension à tester ces outils connaît une très forte progression. En une année, le nombre de cadres ayant testé ces outils a augmenté de 24 points chez les moins de 35 ans pour s’établir à 53 % (dont 19 % « régulièrement »), de 21 points chez ceux âgés de 35 à 54 ans pour s’établir à 38 % (dont 7 % « régulièrement ») et de 20 points chez les 55 ans et plus pour s’établir à 31 % (dont 4 % « régulièrement »).
En filtrant les données à travers la taille des entreprises, la croissance est tout aussi nette : 38 % des cadres des TPE ont testé ces outils en 2024 (24 points de progression en un an) ; 39 % dans les PME (14 points de progression) et 43 % dans les ETI-GE (26 points de progression).
Encore plus déterminant sans doute, la perception de l’utilité de ces outils franchit un seuil décisif. Alors qu’en 2023, une faible majorité (56 %) des cadres estimait que ces outils étaient utiles (dont 12 % seulement avaient indiqué « oui, certainement » alors le restant se contentait de confirmer « oui, probablement »), ils deviennent largement majoritaires.
En 2024, ce sont 71 % des cadres qui partagent cette opinion (+ 15 points) et la part de ceux estimant que « oui, certainement » double, passant de 12 % à 24 %. Inversement, la part de ceux considérant que les outils d’IA ne leur seront pas utiles passe de 35 % en 2023 à 26 % en 2024. Par ailleurs, les cadres estiment que 25 % de leurs tâches pourront être confiées à ces systèmes.
Que peut faire concrètement l'IA ?
Certainement utiles, mais pour faire quoi ? En tout premier lieu, pour gagner en productivité et en efficacité pour 90 % des cadres, mais aussi pour améliorer la qualité de leur travail (82 %), trouver de nouvelles idées (79 %) et, enfin, réaliser les tâches qu’ils n’auraient pas su faire (62 %).
Qu’en est-il de la défiance que suscitent ces outils ? Parmi les cadres, elle a diminué sans pour autant disparaître. Entre 2023 et 2024, la part de ceux la considérant comme une menace a baissé de 30 % à 21 %, alors que celle de ceux considérant que l’IA constitue une opportunité augmente de 12 points, passant de 22 % à 34 % du total.
Des résultats qui doivent être tempérés, car la part de ceux chez qui ces systèmes suscitent une attitude indécise augmente aussi. Les cadres estimant que l’IA constitue autant une opportunité qu’une menace progressent en effet de 39 % en 2023 à 42 % en 2024. La progression est légère, mais elle donne à cette opinion une majorité.
Paradoxalement, c’est parmi les plus jeunes cadres, âgés de moins de 35 ans, que cette attitude indécise est la plus forte (41 %). Ils ne sont que 37 % à considérer les outils d’IA comme une opportunité. Les catégories de cadres plus âgées sont mieux disposées à l’égard de ces outils puisque 44 % de ceux âgés de 35 à 54 ans considèrent qu’il s’agit d’une opportunité ainsi que 44 % de ceux âgés de 55 ans et plus.
La méfiance persiste
Parmi les freins à l’adoption des outils d’IA, deux suscitent l’appréhension des cadres : le manque de fiabilité de l’information fournie (42 %) et l’utilisation malveillante de ces outils (42 % également). L’impact sur l’emploi préoccupe moins d’un tiers d’entre eux (29 %), la protection des données et les biais des algorithmes 2 sur 10 ou moins (respectivement 21 % et 18 %). Les droits d’auteur et la propriété intellectuelle sont encore un souci marginal (14 %), de même que la protection de l’environnement (7 %).
Le nombre d’entreprises qui incitent les cadres à utiliser les outils d’IA ne cesse de progresser. La proportion de cadres indiquant que leur entreprise accepte et encourage leur usage passe de 18 % en 2023 à 26 % en 2024. Si la part de cadres indiquant que le recours à ces outils est accepté sans être encouragé reste stable (25 %), de même que celle indiquant que cet usage n’est pas accepté (10 %), seule diminue la part de ceux indiquant que leur entreprise « n’a pas vraiment évoqué le sujet », qui passe de 42 % à 36 % du total.
Les cadres veulent-ils être formés à l’IA ? Plus de la moitié (53 %) répond par l’affirmative, les plus demandeurs n’étant pas les plus jeunes, mais ceux âgés de 35 à 54 ans (57 %), suivis par ceux âgés de 55 ans et plus (51 %). Ceux âgés de moins de 35 ans ne pointent qu’à la troisième position avec moins de la moitié (47 %) souhaitant bénéficier d’une telle formation. Jeunesse et technologie ne feraient-ils plus bon ménage ?
(1) Étude de l'Apec publiée en mai 2024 : Les cadres et l’IA : quelle connaissance et utilisations professionnelles ?