Mandatés en juin 2023 par la Première ministre Elisabeth Borne, quinze experts ont remis le 13 mars leur rapport au président de la République. Intitulé « IA : notre ambition pour la France », il fait de nombreuses références au dialogue social. Nous avons sélectionné les plus marquantes.
La révolution technologique de l’intelligence artificielle devra accorder davantage de pouvoir aux citoyens et aux travailleurs. Ne pas s’y employer ouvre le risque d’un refus massif de l’IA. Par le passé, d’autres innovations technologiques ont affecté la cohésion sociale. Surtout, l’innovation n’a de sens que si elle est au service du libre épanouissement de notre humanité. Autrement dit, le déploiement de l’IA doit viser un objectif d’humanisme. Pour y parvenir, notre Commission a identifié trois piliers principaux : la formation, le dialogue social et le service public. (...) Le renouveau du dialogue social devrait constituer la pierre angulaire du recours à l’IA. À l’échelle nationale comme à l’échelle de l’entreprise, il est nécessaire de construire les usages de l’IA selon une démarche partenariale. Dans le même temps, des investissements devront être consacrés à l’analyse des impacts de l’IA sur la quantité et la qualité de l’emploi. L’IA elle-même peut être mise au service du dialogue social, avec la création et le déploiement d’outils spécialisés. (page 7)
L’IA peut augmenter la qualité de vie au travail y compris pour des travailleurs de la classe moyenne. Certains utilisateurs de l’IA se déclarent effectivement plus épanouis et plus performants, car ils peuvent se débarrasser de tâches routinières et améliorer la qualité de leur travail. Cependant, des risques existent (surveillance, discrimination, intensification du stress, etc.). Les conséquences de l’IA sur la qualité de vie au travail dépendront de nos choix collectifs et de la qualité du dialogue social à son égard. (p. 48)
Le développement rapide des systèmes d’IA, notamment générative, dans les organisations du travail ainsi que le recours non encadré du « management algorithmique » devront être abordés par les partenaires sociaux et par un dialogue social spécifique dans les entreprises et dans les administrations. En outre, les services d’inspection du travail devront être modernisés et renforcés. La formation de ses agents, ainsi que celle des agents qui veillent à la prévention des risques en matière de santé et sécurité au travail, doit être organisée. (p. 51)
« Faire du dialogue social et de la co-construction la pierre angulaire du recours à l’IA »
À ce stade, deux choses sont certaines. D’une part, nous avons besoin d’expérimenter, de tâtonner avec l’IA afin de trouver la façon d’en tirer tous les bénéfices. Et ce d’autant plus si nous voulons trouver les « bonnes » façons de déployer l’IA, celle qui viendra améliorer le quotidien des travailleurs. D’autre part, cette expérimentation n’est pas qu’une question d’outils, mais aussi de formation et d’organisation du travail. Le filage du coton mécanique n’a augmenté la productivité dans le secteur textile qu’à partir du moment où le secteur s’est réorganisé autour de grandes usines textiles pouvant tirer parti de ces nouvelles machines. L’électricité n’a permis d’augmenter la productivité dans les usines qu’à partir du moment où elles se sont réorganisées (voir 1.3 L’IA nous rendra-t-elle plus prospères ?). (...) Pour tirer tout le potentiel de l’IA, nous devons trouver comment concilier le rythme rapide de l’expérimentation et le rythme nécessairement moins soutenu de nos compétences et de nos organisations. Le dialogue social est indispensable pour encourager l’usage de l’IA, pour discuter des finalités et du sens des transformations technologiques, pour développer la capacité d’apprentissage des organisations et pour concevoir des plans de formation adaptés. La participation de l’ensemble des parties prenantes est une condition incontournable du déploiement des nouvelles technologies dans une perspective d’émancipation, d’autonomisation et d’amélioration des conditions de travail, notamment par la réduction de tâches ingrates. (p. 68)
La diffusion de l’IA sera un atout clé pour renforcer la compétitivité et l’emploi des entreprises (voir 1.4 L’IA, créatrice ou destructrice d’emplois). Elle ne se fera pas sans un dialogue social, basé sur la confiance réciproque, l’expérimentation et la co-construction. Pourtant, alors que les effets sur le monde du travail des précédentes vagues numériques sont profonds, les travailleurs et leurs représentants sont aujourd’hui peu associés aux choix technologiques et organisationnels sur les lieux de travail comme au plan national. (...) Pour que le dialogue social puisse intégrer les enjeux de l’IA, faciliter son expérimentation et sa diffusion, deux caractéristiques doivent être réunies. Premièrement, les partenaires sociaux doivent être des interlocuteurs formés et actifs dans les instances où sera discuté le déploiement de l’IA. Secondement, ce dialogue social technologique doit s’insérer dans un processus itératif qui caractérise les projets d’IA. (p. 69)
Pour aller plus loin, l’IA elle-même pourrait être mise au service du dialogue social. Des outils à base d’IA générative peuvent être développés avec les partenaires sociaux pour aider les salariés à mieux comprendre des débats techniques, qu’il s’agisse de technique informatique, financière ou juridique. Ces outils d’IA, par exemple sous la forme d’une instance simple de dialogue, pourraient intégrer une part commune à toutes les entreprises (code du travail, etc.) et une part spécifique à l’organisation dans laquelle est placé chaque travailleur (convention collective, règlement intérieur de l’organisation, etc.) et à ses représentants syndicaux. L’outil pourrait contribuer à accroître la connaissance des droits et la compréhension des transformations en cours ou encore à améliorer la préparation des réunions (conseils d’administration, comité social d’entreprise, élections des représentants…). Lors des négociations sociales, l’IA peut aussi contribuer à analyser et exploiter d’immenses quantités des données et ainsi appuyer la négociation. (p. 70)
Le besoin de formation... et de dialogue social
De mi-décembre 2023 à mi-janvier 2024, notre Commission a mené une consultation citoyenne en ligne, afin de mieux comprendre les attentes et les craintes en matière d’IA. Nous avons recueilli 6 917 réponses. Parmi les résultats clés de l’enquête, apparaît en particulier le besoin d’information et de formation à l’IA dans l’environnement professionnel.
La majorité des participants ne craint pas de voir leur emploi disparaître ou dévalorisé par l’émergence de l’IA (notons qu’une part plus importante de femmes, d’ouvriers et de professions intermédiaires partage cette inquiétude). Cependant, les répondants ont majoritairement indiqué des difficultés à s’exprimer sur les effets tangibles de l’IA dans leur métier. Ils sont ainsi nombreux à avoir exprimé leur besoin de mieux comprendre les bénéfices qu’ils pourraient tirer de l’IA et les cas d’application concrète pour utiliser ces outils au travail. Après la formation, les répondants ont souligné l’importance du dialogue social. (p. 73)
Préparer l’avenir du travail avec l’IA. Dans le prolongement des travaux de l’Organisation internationale du travail et de notre Commission, la France pourrait porter un projet international d’évaluation de l’impact de l’IA sur l’emploi et le travail, afin de faciliter le dialogue social et l’orientation de la technologie vers la qualité de l’emploi. Elle pourrait également initier une réflexion sur certains métiers se trouvant aujourd’hui au cœur de la chaîne de valeur de l’IA, comme ceux de l’apprentissage par renforcement humain. (p. 117)
RECOMMANDATIONS (p. 124)
n°2
Investir dans l’observation, les études et la recherche sur les 2 impacts des systèmes d’IA sur la quantité et la qualité de l’emploi. (évaluation du coût : 5 millions d’euros)
Pilotes : ministère du travail et ministère de la fonction publique
n°3
Faire du dialogue social et professionnel un outil de co-construction 3 des usages et de régulation des risques des systèmes d’IA. (évaluation du coût : 0 euro)
Pilotes : ministère du travail
n°7
Investir dans la formation professionnelle continue des travailleurs 7 et dans les dispositifs de formation autour de l’IA. (évaluation du coût : 200 millions d’euros)
Pilotes : ministère du travail et ministère de la fonction publique
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