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« La semaine de quatre jours fonctionne » (Pedro Gomes, économiste)

ISRH | Homepage | publié le : 24.06.2024 | PROPOS RECUEILLIS PAR GILMAR SEQUEIRA MARTINS

Pedro Gomes, professeur d'économie : « La semaine de quatre jours fonctionne. »

Crédit photo dr

Chargé de coordonner l’expérimentation de la semaine de quatre jours menée durant un an au Portugal, le professeur d’économie Pedro Gomes révèle les conclusions du rapport final qui a été remis le 24 juin au gouvernement portugais.

À quelle conclusion parvenez-vous après une année d’expérimentation ?

Pedro Gomes : La grande conclusion de ce rapport final, c'est que la semaine de quatre jours fonctionne, puisque seulement 4 des 41 entreprises engagées dans ce nouveau mode de fonctionnement sont retournées à la semaine de cinq jours. Ce n’est donc pas une utopie ni un mode de gestion radical ou extrême. Bien que la mise en place puisse être complexe, cette réduction du temps de travail est un facteur d’amélioration de la performance.

En quoi cela améliore-t-il les performances des entreprises ?

P. G. : Les dirigeants des entreprises ont indiqué que ce dispositif avait amélioré plusieurs facteurs :

  • l’efficacité des process de l’entreprise (70 %) ;
  • le fonctionnement des équipes (65 %) ;
  • l’utilisation des technologies disponibles (60 %) ;
  • les relations interpersonnelles (50 %) ;
  • et la visibilité de l’entreprise (40 %).

Plus de 90 % des dirigeants ont estimé que ce dispositif n’entraînait aucun coût supplémentaire. Durant l’année où le dispositif a été testé, 86 % des entreprises ont vu leur chiffre d’affaires augmenter, en moyenne de 14 %, et 72 % ont constaté une progression de leurs bénéfices, en moyenne de 12 %. Le recours aux heures supplémentaires a baissé. Le pourcentage de salariés ayant effectué des heures supplémentaires a baissé de 34 % à 23 % durant l’expérimentation de la semaine de quatre jours. Dans les activités professionnelles qui impliquent un engagement émotionnel important, comme dans les crèches, la réduction du temps de travail a été particulièrement appréciée par les salariés et elle a amélioré les relations de travail ainsi que les soins apportés aux enfants. La réduction du temps de travail fait baisser le turn-over et améliore aussi l’attractivité des entreprises, ce qui augmente leur capacité à recruter. Dans 40 % des entreprises, les dirigeants ont constaté une croissance du nombre de candidatures spontanées et de celles reçues après la publication d’une offre d’emploi.

Baisse de l’absentéisme

Comment expliquez-vous ces résultats ?

P. G. : La réduction du temps de travail fait baisser le taux d’absentéisme en diminuant le stress mais aussi les burn-out. Après avoir testé la semaine de quatre jours durant un an, le pourcentage de salariés estimant que les journées de travail étaient fatigantes ou épuisantes a baissé de 71 % à 47 %, de 44 % à 33 % sur la question de la fatigue psychologique, et de 39 % à 24 % sur l’épuisement dû au travail. Globalement, la sensation de fatigue a baissé de 20 points. Elle était ressentie par 62 % des salariés avant la semaine de quatre jours. Après l’expérimentation, ils ne sont plus que 42 %.

D’autres améliorations ont-elles été observées ?

P. G. : Ce mouvement est observé aussi sur d’autres facteurs comme le niveau d’anxiété, la tension ou les problèmes du sommeil. Interrogés sur leur santé avant et après le passage à la semaine de quatre jours, le pourcentage de salariés qui estimaient qu’elle était très bonne ou excellente est passé de 15 % à 31 % pour la santé mentale, et de 20 % à 27 % pour la santé physique. C’est aussi un dispositif qui permet de réduire les difficultés à concilier vie professionnelle et personnelle. Le pourcentage de salariés qui avaient des difficultés à concilier le travail et les responsabilités familiales est passé de 46 % à 17 % et le pourcentage de ceux qui avaient des difficultés à concilier travail et vie personnelle ou sociale est passé de 50 % à 16 %. Les salariés ont plus de temps à consacrer à leur famille, leurs amis et les activités personnelles.

Un dispositif plus valorisé par les femmes

Ce dispositif favorise-t-il l’égalité entre femmes et hommes ?

P. G. : C’est aussi un levier de réduction des inégalités entre femmes et hommes. La réduction du temps de travail est particulièrement appréciée par les femmes, comme le révèlent les sondages effectués auprès des salariés à la fin de l’expérimentation. Sur tous les domaines (sentiment de fatigue, gains en matière de qualité de vie, etc.), elles portent une appréciation plus positive que les hommes. Cela se traduit aussi dans la valorisation monétaire de ce dispositif. Alors que les hommes n’accepteraient de revenir à la semaine de 5 jours que si leur salaire était augmenté de 20 %, les femmes n’accepteraient de changer que si leur salaire était augmenté de 31 %. Cela montre que les femmes accordent une valeur bien plus importante à la réduction du temps de travail. Les salariés déclarent un plus grand bien-être dans leur vie au quotidien.

Quelles conditions faut-il réunir pour que la réduction du temps de travail soit un succès ?

P. G. : Pour réussir cette transformation, il faut procéder à des changements, faire évoluer les process, augmenter l’utilisation des outils digitaux et de l’intelligence artificielle. Il faut aussi établir des plages horaires de travail sans aucune interruption, que ce soit par e-mail, téléphone ou par un autre collègue. Il faut aussi agir sur le nombre et la durée des réunions. Les entreprises qui ont modifié plus de deux process dans leur organisation sont celles où la réduction de travail s’est maintenue à plus de 90 %. Inversement, dans celles qui ont modifié moins de deux process, la semaine de quatre jours n’a été maintenue que dans 62 % des cas. L’enjeu de ces transformations, c’est l’augmentation de la productivité afin de maintenir la même production ou la même continuité de service malgré la réduction de la durée du temps de travail. C’est la condition essentielle pour que les entreprises et les salariés y gagnent.

Quel rôle pour les DRH ?

Y a-t-il des conditions plus favorables pour mettre en place le dispositif ?

P. G. : La réduction du temps de travail est plus facile à mettre en œuvre dans les petites entreprises. Dans les grandes, il faut commencer par expérimenter dans une unité de production représentative de l’activité, par exemple un hôtel dans un groupe hôtelier. Une expérimentation à petite échelle permet d’apprendre à surmonter les difficultés qui seront rencontrées avant de passer à une plus grande échelle. Cela permet aussi de bien cerner les éléments qu’il faut faire évoluer et les gains enregistrés.

Quel rôle les DRH peuvent-ils jouer dans la mise en place de la réduction de la durée du travail ?

P. G. : Le plus souvent, ce sont les directions qui sont le plus grand frein au lancement d’une expérimentation dans une grande entreprise. C’est aux DRH de les convaincre en mettant sur la table les problèmes de recrutement, d’engagement, ou de burn-out qui peuvent conduire à un « chain quitting », les départs en chaîne. Ils peuvent aussi mettre dans la balance que les programmes de « well being » sont inefficaces à 95 % selon les études, alors que la semaine de quatre jours est un dispositif qui fonctionne et qui peut apporter un double avantage compétitif à l’entreprise. Avec des salariés moins absents, plus efficaces, plus engagés et fidélisés, l’entreprise va à la fois améliorer ses résultats mais aussi devenir plus attractive lorsqu’elle aura besoin de recruter. Avec le rapport final sur l’expérimentation, nous espérons mieux faire connaître le dispositif et lancer un débat public sur cette question. L’expérimentation va continuer et nous souhaitons élargir le cercle des entreprises prêtes à tenter l’expérience et aussi intégrer les syndicats dans les échanges.

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  • PROPOS RECUEILLIS PAR GILMAR SEQUEIRA MARTINS