Les conflits en entreprises font-ils augmenter les salaires ? La réponse est positive, chiffres à l’appui, selon une étude de la division chargée des statistiques du ministère du Travail. La progression dépend cependant de la composition des effectifs.
La conflictualité sociale a-t-elle des répercussions sur le niveau des rémunérations ? Un document d’études de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares)1 apporte des données permettant de répondre à cette question. L’un de ses premiers mérites est de dresser un tableau de l’occurrence de la conflictualité en entreprise.
Elle apparaît d’emblée très circonscrite : à peine 3 % des établissements de plus de dix salariés du secteur privé non agricole ont connu des conflits individuels ou collectifs fréquents et longs. Si le nombre de sites semble modeste, il concentre cependant 1 salarié sur 10, soit près d’un million d’employés.
Des conflits surreprésentés dans l'industrie et les transports
Cette catégorie présente un profil particulier puisqu’y sont surreprésentés les secteurs de l’industrie et des transports, comptant respectivement pour 23 % et 25 % du nombre total d’établissements. Une présence qui doit beaucoup au passé, estime l’auteur de l’étude, Maxime Lescurieux, responsable de l'enquête sur le Dialogue social en entreprise à la Dares, entité chargée des statistiques du ministère du Travail : « L’industrie et les transports sont des secteurs qui sont historiquement traditionnellement plus conflictuels, en partie du fait d’une histoire syndicale. Ce sont des secteurs dans lesquels les syndicats sont historiquement présents. »
Selon les données recueillies, les conflits individuels ont pour racine les tensions individuelles, auxquelles viennent s’agréer les accidents du travail et les arrêts maladie. Les conflits se caractérisent par des grèves relativement longues, mais d’autres modes d’actions sont aussi répertoriés tels que les pétitions, les rassemblements, les manifestations et les débrayages.
Les chiffres battent en brèche l’opinion selon laquelle les salariés du secteur privé auraient une forte propension à se lancer dans un mouvement de grève, explique Maxime Lescurieux : « Depuis presque une vingtaine d'années, le taux de grève en France touche entre 2 et 3 % des entreprises. Il est donc très stable et relativement faible, contrairement à la croyance populaire. »
Rémunération horaire brute moyenne supérieure
Les salariés des établissements connaissant des conflits fréquents et longs bénéficient-ils de meilleures rémunérations ? La réponse est clairement positive. Entre 2014 à 2019, soit les cinq ans pris en compte par l’étude de la Dares, leur rémunération horaire brute moyenne est supérieure de 3,30 euros à ceux des salariés travaillant dans des structures sans conflictualité.
Un écart est également constaté dans les établissements où des conflits ont été engagés sur les salaires. L’étude note que ces structures versent une rémunération horaire brute moyenne supérieure de 1,80 € à celle des établissements sans conflit sur les salaires. En 2019, cet écart a même augmenté de 0,20 euro.
Simple coïncidence statistique ? Pas pour Maxime Lescurieux : « Cette étude montre que la nature des conflits apparaît corrélée à la politique de rémunération des établissements. Plus la conflictualité est intense, multiforme et durable, plus le niveau de rémunération y est élevé. Cette étude montre l’existence d’un lien significatif, ce qui ne signifie pas une causalité, entre conflictualité et rémunération. La conflictualité est donc une variable pertinente, sans savoir toujours comment cette variable agit, dans le processus de formation des salaires. Nous ne parlons pas de causalité, mais de lien. L’analyse statistique établit que ces deux dimensions sont liées entre elles par un lien fort et significatif, sans que l’on sache comment elles interagissent. Si la conflictualité et la rémunération étaient deux personnes reliées par une corde, l’analyse statistique nous dit que la corde est robuste. »
Des écarts de rémunération entre hommes et femmes
À niveau de conflictualité identique, tous les salariés ne bénéficient pas dans les mêmes proportions d’une augmentation de rémunération. « Les rémunérations sont plus élevées lorsque les effectifs des établissements sont majoritairement composés d’hommes, précise le spécialiste. Ce n’est pas le cas dans les établissements dont les effectifs sont majoritairement composés de femmes. »
Comment expliquer cet écart ? La divergence apparaît dans les résultats des négociations collectives. Les données statistiques de l’étude montrent que la négociation collective et notamment salariale est moindre dans les établissements où les femmes sont surreprésentées.
Une représentation syndicale différente
« Dans ces établissements, les négociations sont moins nombreuses et elles portent moins sur les salaires, explique Maxime Lescurieux. Les négociations sont différentes. La dimension salariale est plus présente dans les négociations qui ont lieu dans les établissements où les hommes sont surreprésentés. Dans ceux où ce sont les femmes qui sont surreprésentées, les négociations portent plus souvent sur d'autres thématiques, comme les conditions de travail, la formation professionnelle, le temps de travail ou encore la protection sociale des salariés. »
Ces pratiques différentes expliquent en partie les écarts de rémunération observés entre hommes et femmes, mais en partie seulement. La présence syndicale est l’autre facteur d’explication : les établissements où les femmes sont surreprésentées sont également ceux où elle est la plus faible. « Cela aboutit à ce qu’il y ait moins d’ouvertures de négociations salariales dans ces établissements », estime Maxime Lescurieux.
Dares, document d’études n°272 : Conflits du travail et rémunérations : quelles relations dans les établissements ?