Et si la formation et la garantie d’évolution de carrières devenaient des manières de gratifier les salariés au même titre que les primes et autres avantages salariés ? C’est l’idée – iconoclaste – que défend le spécialiste de gestion de la rémunération Ferway. Entretien avec Émilienne Grenier, experte rémunération au sein du cabinet.
Quelle est la situation des négociations annuelles obligatoires dans les entreprises en cette mi-janvier 2024 ?
Émilienne Grenier : Toutes n’ont pas démarré, loin de là. Mais ce que l’on constate chez celles qui ont débuté ou bouclé leurs négociations, c’est une tendance générale, partagée par les directions et les syndicats, de dépasser le cadre des seules augmentations de salaires individuelles et collectives pour imaginer des façons alternatives de gratifier les salariés. Et ce, même si, du côté des syndicats, les attentes d’augmentations salariales demeurent évidemment très fortes. Cependant, il n’est pas possible de lutter contre l’inflation par la seule mécanique de l’augmentation des salaires. Celle-ci peut même entraîner à son tour une spirale inflationniste. Les entreprises cherchent à se montrer vigilantes par rapport à ça. Et si les salaires font forcément partie du contenu des NAO, il existe d’autres façons plus originales de valoriser les salariés. Selon nous, la formation et l’accompagnement du développement de leurs carrières en font partie afin de leur permettre de gagner en productivité, d’évoluer professionnellement dans l’entreprise et donc, de percevoir de meilleurs salaires.
C’est pourtant un objectif qui semble davantage relever du plan de développement des compétences que des négociations salariales… Comment imaginez-vous mêler les deux ?
E. G : L’élément qui peut faire le lien entre le développement des carrières et le plan de développement des compétences est justement la grille de salaires. C’est pourquoi il est essentiel qu’au sein des directions, la fonction RH qui pilote la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) et la fonction formation qui prépare le plan de développement des compétences ne fonctionnent plus en silo et apprennent à penser ensemble l’évolution des carrières et donc des rémunérations des salariés. Avec l’idée générale de ne plus penser la carrière par rapport à un poste, mais plutôt l’évolution de salaire possible par rapport à ce poste. C’est un changement de culture à adopter : aujourd’hui, la plupart des conventions collectives ne préconisent l’évolution salariale qu’en fonction de l’ancienneté, sans lien avec l’évolution des compétences des salariés ni avec la performance de l’entreprise. Il est évident qu’il faut tenir compte de l’ancienneté des salariés dans l’entreprise, mais il faut aussi tenir compte de leur montée en compétences.
C’est un peu le schéma mis en place par la nouvelle convention collective de la métallurgie.
E. G : Oui, mais cette idée préexistait aux travaux qui l’ont amené à concevoir cette nouvelle convention collective.
D’autres conventions collectives adoptent-elles ce modèle « évolutif » ?
E. G : Pas à ma connaissance. Mais la métallurgie est souvent motrice en matière sociale. D’autres branches attendent sans doute qu’elle essuie les plâtres avant de s’emparer du sujet.
Depuis la réforme de 2018 et la fin des ressources mutualisées des Opco pour les entreprises de plus de 50 salariés, les directions financières se retrouvent de plus en plus en situation décisionnaire concernant les plans de développement des compétences. Comment les associer aux objectifs que vous préconisez ?
E. G : Les DAF doivent être placés en situation de chefs de projets afin de rappeler aux différentes parties prenantes l’impact du plan de développement des compétences sur les résultats de l’entreprise. Il doit désormais appartenir aux responsables formation de faire comprendre aux directeurs financiers le caractère vertueux de la formation maintenant que l’obligation de dépense n’existe plus. Dans le cas de l’évolution des carrières, cela passe notamment par expliquer que l’entreprise peut avoir intérêt à former ses salariés en interne plutôt que de recruter à l’extérieur, ce qui revient généralement plus cher.
L’évolution des carrières telle que vous la préconisez peut-elle constituer une solution pour apaiser les tensions de recrutement ?
E. G : Elle peut en tout cas constituer l’un des leviers de l’entreprise pour trouver des compétences rares ou dont elle ne dispose pas. Sur certains métiers, le recrutement interne peut se révéler tout aussi stratégique que les embauches extérieures. Beaucoup d’entreprises bloquent encore là-dessus parce qu’elles restent encore trop arc-boutées sur leur convention collective qui désigne la seule ancienneté comme seul vecteur d’augmentations salariales. Elles ont du mal à s’en affranchir et elles n’exploitent pas toutes les possibilités que leur laissent généralement ces conventions collectives. La plupart du temps, rien n’empêche une entreprise de dépasser les termes de sa convention collective avec un travail interne d’identification des différents niveaux de compétences et de salaires associés. Ce travail permet souvent de définir les compétences nécessaires à l’entreprise et de revoir la grille des salaires en conséquence, et non plus seulement en fonction de l’ancienneté.