Quel sera l’impact de l’IA alors que l’assistant IA Copilot est désormais disponible pour la suite bureautique de Microsoft ? Cyril Cuënot, chef de la practice HR & Transformation du cabinet SIA Partners, a accepté d’éclairer les lecteurs d'Entreprise & Carrières.
L’extension de l’usage de l’IA est-elle porteuse de risques ?
Cyril Cuënot : Si l’IA est capable de faire des analyses de profils sur la base d'éléments d'input que l'on va donner au système, cela peut amener à une forme de standardisation ou d'homogénéité des talents que l'entreprise va recruter. C'est un premier risque. Le deuxième serait de verser dans une analyse qui serait finalement très technique et qui réduirait à peu de choses la dimension de la relation humaine entre l'employeur et l'employé. Ce serait aller à contre-courant par rapport à une tendance post-Covid qui voit, au contraire, émerger la valorisation d’une forme de proximité entre collaborateurs, managers et décideurs.
Le recrutement va-t-il être entièrement pris en charge par des outils d’IA ?
C. C. : Recruter avec des outils technologiques n’est pas simple. Un grand groupe de distribution l’a expérimenté à ses dépens avec sa tentative d’organiser un Salon de recrutement dans le métavers. Il y a une difficulté à établir le dialogue avec le candidat, mais aussi une question légale : quelle valeur accorder à un recrutement conclu par l’intermédiaire de dispositifs techniques tels que le métavers ou l’intelligence artificielle ? Est-ce que cela révèle une incapacité à évaluer la logique de relations humaines entre le recruteur et le recruté ? Or il s'agit d'un élément fondamental, notamment pour certaines fonctions, qui sont des fonctions managériales ou des fonctions qui impliquent des relations entre personnes.
La fonction RH entre-t-elle dans une nouvelle dimension ?
C. C. : Aujourd’hui, nous entrons dans une deuxième étape, dans laquelle il est possible d’être beaucoup plus performant ou de mieux cibler certains profils en utilisant des moteurs d'intelligence artificielle. Ils vont permettre d'une part de mieux sourcer, c'est-à-dire d'aller chercher les compétences où elles existent. C’est particulièrement important pour des groupes qui sont en diversification d'activité, comme c’est le cas pour ceux qui se lancent dans les énergies renouvelables ou ceux qui sont dans une logique de transition carbone. Ces évolutions font appel à de nombreuses compétences, or les viviers sont assez limités puisqu’ils se limitent souvent au système de formation initiale, à celui de formation complémentaire, puis à l’expertise existant déjà sur le marché. Avec l’IA, il devient possible d'aller au-delà de ce périmètre pour trouver de nouvelles ressources. Ces outils sont très utiles, mais ils ne doivent pas éclipser la rencontre entre le recruteur et le recruté. L’utilisation de ces outils doit rester dans une logique de facilitation.
Pouvez-vous nous donner un exemple concret d’utilisation ?
C. C. : Un exemple typique est celui d’une entreprise d’ingénierie, filiale d’un grand groupe, qui n'arrivait pas à trouver assez d’ingénieurs et de techniciens. Le problème était assez simple, mais la solution difficile à trouver par les voies classiques. Du coup, nous les avons aidés à mettre en œuvre un moteur d'intelligence artificielle qui, en partant de critères très simples, à savoir des personnes aimant travailler à l’air libre, n’ayant pas peur du travail en hauteur et dotés d’une certaine technicité, a orienté les recherches vers des profils liés aux travaux dans les forêts ou l’alpinisme.
Développez-vous des outils basés sur ChatGPT ?
C. C. : Les outils RH à base d’IA générative vont se développer pour répondre aux questions des salariés sur leurs droits ou sur telle ou telle possibilité. Ils auront un interlocuteur en ligne qui va leur apporter des réponses très fiables sur tout un pan des règles RH applicables. Mais cela peut aller plus loin. Chez SIA Partners, nous avons développé notre propre solution d’IA générative, baptisée « SIA GPT » et applicable sur plus d’une quarantaine de « use cases » très concrets. L’un d’eux porte sur les milliers d’accords collectifs de branche ou d’entreprise, par exemple en matière de NAO ou encore d’égalité professionnelle, dont nous pouvons alors faire une analyse comparative et poussée de leurs différents attributs. Les autres cas d’usage vont de la mise en place de chatbots RH en langage naturel à la génération automatisée de documents fonctionnels (fiche de postes, contrat de travail, bien social…) en passant par une analyse automatisée des CV avec une recommandation de parcours de formation personnalisés en fonction des profils. SIA GPT permet aussi d’établir des comparaisons entre référentiels de compétences afin de repérer les points communs ou les spécificités, ce qui peut s’avérer très utile dans les champs comme le digital, la cybersécurité ou le cloud, qui disposent de viviers de candidats réduits.
Quelles nouvelles possibilités ouvre l’IA aux équipes RH ?
C. C. : Elles seront capables de mieux évaluer les compétences, de mieux piloter les mobilités et, dans le cadre de transformations d'entreprise qui aujourd'hui sont très nombreuses, de pouvoir aussi mieux piloter la projection des effectifs dans le cadre de la mise en place de nouvelles organisations, appelées aussi des « target operating models » (TOM). L’IA va augmenter la capacité des équipes RH à fournir des services, mais aussi des expertises sur le volet réglementaire, et elle va leur permettre d’établir des modèles prédictifs beaucoup plus puissants. Sur le volet social, elles pourront mieux comparer les accords de branche et mieux évaluer les éléments sur lesquels s'appuyer par rapport aux demandes des salariés ou des CSE pour mieux gérer la logique sociale et paritaire.
Quelles activités seront confiées à ces outils ?
C. C. : Avec la diffusion des outils d’IA et d’IA générative, une partie de l'activité des consultants pourrait disparaître, tout comme une partie de l'activité des équipes RH. C’est ce qui s’est déjà produit il y a quelques années avec l’automatisation de certaines tâches administratives avec le RPA1, qui a constitué une première rupture dans la fonction RH. L’automatisation a capté une partie des activités opérationnelles de gestion administrative, par exemple sur des contrôles de cohérence, des éléments de suivi ou des éléments de consolidation. Mais cela a permis à certaines fonctions RH de réduire le temps consacré au reporting pour se recentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée, telles que le talent management ou le décisionnel RH. Il va y avoir une revue à la baisse des effectifs de la fonction RH, c'est une évidence. Les entreprises vont redimensionner ces équipes. Ces outils sont un moyen de rendre plus performantes ces fonctions RH et donc de réduire le poids de leurs effectifs au sein des entreprises. Ce n’est évidemment pas la totalité de l’activité RH qui sera prise en charge par ces nouveaux outils, mais des pans et des parties d'activité qui sont en appui de la performance de ces fonctions RH.
(1) RPA : Robotic Process Automation