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"L'envie de devenir entrepreneur doit pouvoir s'exprimer pleinement"

Liaisons Sociales Magazine | Formation Continue | publié le : 26.01.2016 | Anne Fairise

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Dans son rapport sur l'entreprenariat individuel, Catherine Barbaroux* propose d'instaurer des exigences de qualification graduelles selon les risques avant l'installation. À la clé, des dizaines de milliers de création d'emplois.

Votre rapport propose de casser les rentes de qualification pour exercer certains métiers. Il fait vivement réagir les artisans, notamment du bâtiment. Cela vous surprend-t-il 

Je ne suis pas surprise par leur réaction. Mais nous n’avons pas avancé masqués. Nous avons fait cinq réunions de concertation avec l'UPA et les représentants des chambres de métiers et de l’artisanat, en présence du ministre de l’Économie, Emmanuel Macron. Nous avons beaucoup argumenté, pour essayer de convaincre.

C’est visiblement un échec…

Ce qui me surprendc’est la réticence de l’artisanat à considérer que l’assouplissement des critères d’installation est un vrai sujet. Les exemples d'incohérences et les difficultés d'application des textes, décrits dans le rapport, le démontrent, me semble-t-il. Ils ne sont d'ailleurs pas contestés. Il y a un goût et une demande sociale, aujourd’hui inégalées, pour l’entreprenariat individuel. Les potentialités du numérique, qui facilitent les installations à moindre coût, amplifient cette demande. Elle doit pouvoir s’exprimer pleinement et contribuer à la bataille pour la création d’emplois et contre les discriminations. Au-delà de la question des qualifications professionnelles, les artisans ne peuvent ignorer le volume considérable d’activités qui se développe via les plates-formes de services. Celles-ci doivent être mieux accompagnées et régulées. 

Justement, ils craignent une hausse de la concurrence déloyale…

Simplifier les conditions d’installation ne signifie pas que tout le monde deviendra entrepreneur. Il ne s’agit pas de substituer l’entreprenariat au salariat. Ceci dit, personne ne doit être empêché de devenir entrepreneur pour de mauvaises raisons, administratives, juridiques ou fiscales. Les réactions défensives des artisans me font penser à celles opposant insiders et outsiders dans le salariat. Ils oublient qu’ils ont eux-mêmes souvent bénéficié d’une plus grande liberté d’installation que celle qui prévaut aujourd’hui. La plupart ont créé leur société avant la loi de 1996 (dite loi Raffarin, NDRL), qui a imposé des exigences de qualifications et de réglementations dans certaines professions.

Les artisans pointent un possible nivellement par le bas des professions et les risques pour la santé et la sécurité des clients…

Ces craintes sont infondées. Supprimer les barrières excessives, ou inutiles, à l’entreprenariat, ce n’est pas prendre le risque d’abaisser la qualité des services aux consommateurs. Il suffit de regarder ce qui se passe dans la restauration pour s'en convaincre. Nous demandons simplement que les exigences de qualification destinées à assurer la santé et la sécurité des consommateurs soient proportionnées aux risques encourus. Le diplôme ou la durée d’expérience professionnelle ne doivent pas être une barrière insurmontable pour accéder à des activités qui ne réclament pas toutes le même degré de savoir-faire. Ou dans lesquelles les consommateurs attendent prioritairement des professionnels de la disponibilité. 

À quels secteurs pensez-vous ? 

Les petits travaux d'intérieur ou d'extérieur, la réparation de vélos ou de petits matériels, certains services à domicile ou à la personne… Certaines tâches de base, qui ne sont ni sans intérêt ni sans valeur ajoutée, peuvent être réalisées par des personnes ayant des compétences mais pas de diplôme. Des jeunes décrocheurs, des chômeurs de longue durée, des séniors ou des personnes en reconversion, des travailleurs d’origine étrangère. Aucun rapport ne prouve qu’il y a davantage d’accidents, d’atteintes à la santé ou à la sécurité des consommateurs dans les activités non réglementées. Par contre, toutes les études montrent que la réduction des barrières de qualification se traduit par des créations d’emplois et/ou un effet positif sur les prix pour les consommateurs. 

Peut-on chiffrer le potentiel de créations d’emplois en France, où le nombre de professions réglementées est très élevé ?

Avec 250 professions réglementées, la France se place dans la fourchette haute en Europe. Le Royaume-Uni en compte 211, l’Allemagne 138 à peine car elle a supprimé nombre de ces qualifications. En plus, nos barrières de qualification à l’installation sont plus strictes : cinq ans d’expérience professionnelle dans le secteur sont exigées a minima depuis la loi Raffarin. Le système s’est encore plus verrouillé avec la loi Pinel de juin 2014 qui impose aux autoentrepreneurs un stage préalable à l’installation (SPI), obligatoire avant leur immatriculation. Je n’ai pas de chiffre précis. Mais je table sur la création de plusieurs dizaines de milliers d’emplois si certaines contraintes sont supprimées

Dans votre rapport, vous pointez les carences en matière d’accompagnement des entrepreneurs individuels. Vous incriminez les grands réseaux?

Je ne jette pas la pierre aux grands réseaux d’accompagnement à la création d’entreprise. Ils font ce qu’ils peuvent avec leurs moyens, en s’appuyant sur les bénévoles. L’Adie (Association pour le droit à l'initiative économique), qui accompagne les créateurs n’ayant pas accès au crédit bancaire, fonctionne avec 450 salariés et 1300 bénévoles. J’incrimine la puissance publique, qui ne finance pas cet accompagnement essentiel pour assurer le développement, la rentabilité et la pérennité des entreprises concernées. Seulement 20% des entreprises créées chaque année sont accompagnées. Pour inverser la tendance, il y a des solutions simples n’exigeant pas de loi. Telle la réorientation d'une petite partie des crédits de la formation professionnelle vers l’accompagnement des créateurs. Cette possibilité est ouverte depuis 2005. Mais elle est ineffective, alors que Pôle Emploi et les réseaux d’accompagnement peinent à trouver les financements adéquats..

Vous faites de multiples recommandations. Lesquelles privilégier ? 

La priorité est de couper court aux fantasmes sur la concurrence déloyale des autoentrepreneurs. Il faut poursuivre les mesures de simplification des statuts existants et, surtout, fluidifier le passage d’un statut à l’autre. Au statut unique proposé par le rapport de Laurent Grandguillaume, je préfère l’idée d’un accompagnement pas à pas des entrepreneurs individuels. Il est facile, par exemple, de réduire les effets de seuil qui découragent les initiatives, en créant des délais de transition ou un droit d'option élargi entre les régimes fiscaux au forfait ou au réel. Surtout, il est urgent de lancer, loyalement et sereinement, un inventaire contradictoire des barrières de qualification à l’installation, en réunissant professionnels, consommateurs et puissance publique pendant une période restreinte. Il leur reviendra de déterminer, parmi les barrières, lesquelles sont légitimes pour garantir la santé et la sécurité des  consommateurs et lesquelles sont excessives. Je le répète, plusieurs dizaines de milliers de création d’emplois sont en jeu. 

 

* Catherine Barbaroux, présidente de l'Adie (Association pour le droit à l'initiative économique) et ex-déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle, a remis le 18 janvier au ministre de l'économie Emmanuel Macron son rapport "Lever les freins à l'entreprenariat individuel". Elle est aussi éditorialiste à Liaisons sociales magazine.

Auteur

  • Anne Fairise