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Le “modeste” bilan du DIF

Entreprise & Carrières | Formation Continue | publié le : 20.01.2015 | Laurent Gérard

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Au moment où le CPF démarre, une publication de la Dares dresse le bilan du droit individuel à la formation. Ellemontre que le DIF n’a pas vraiment modifié les pratiques ni le rapport à la formation.

«Le bilan du DIF est en deçà des ambitions initiales », assure un document d’études publié par la Dares*, qui « a été rédigé à partir du rapport final de l’étude réalisée par le cabinet Geste pour la Dares, et qui, à ce titre, n’engage que leurs auteurs et ne représente pas la position de la Dares », précise celle-ci.

Un bilan quantitatif

Seuls 4,9 % de l’ensemble des salariés travaillant dans une entreprise d’au moins 10 salariés ont bénéficié du DIF en 2012. En 2009 et 2010, « années au cours desquelles il a été le plus fortement utilisé, la proportion était restée très modeste » (5,2 %). Quasiment 8 % des salariés des très grandes entreprises y ont eu accès en 2012, soit quatre fois plus que ceux des petites entreprises (1,8 %). Cette faible mobilisation globale du DIF se conjugue avec une durée moyenne de formation réduite : 22,5 heures en 2012. « Le DIF n’a représenté que 7,5 % des heures de formations réalisées en 2010 par salarié et par an, et moins d’une entreprise sur quatre (24,2 %) a utilisé le DIF en 2012 », conclut l’étude.
En cumulé, ces chiffres correspondent assez bien à ceux publiés dans une autre enquête réalisée en octobre par OpinionWay pour l’Afpa (lire Entreprise & Carrières n° 1223 du 13 janvier 2015). Selon elle, 24 % d’un échantillon représentatif de 2 034 actifs français (indépendants, salariés du privé, du public et demandeurs d’emploi) déclarent avoir utilisé « au moins une fois » leur DIF au cours de leur carrière professionnelle. Même si ce taux varie de 29 % pour les cadres à 21 % pour les ouvriers, et de 28 % pour les 40-49 ans à 18 % pour les moins de 30 ans.

Sur cet aspect quantitatif, Denis Reymond, directeur de practices management & RH chez Demos, pointe quand même deux vertus au DIF : « Le statut cadre ou ouvrier s’est trouvé moins discriminant que pour l’accès aux formations sur le plan : 8 points d’écart pour le DIF, contre plus de 20 points pour le plan. Par ailleurs, ajoute-t-il, la durée moyen­ne des DIF était supérieure aux autres actions de formation, puis­que, en 2010, 5,2 % des bénéficiaires de formation DIF représentaient 7,5 % des heures. »

Un nouveau public

Didier Cozin, directeur de l’organisme de formation AFTLV, pointe lui aussi des éléments positifs : « Dans certaines entreprises de main-d’œuvre, notamment américai­nes, le DIF a connu un vrai développement, parce que les services RH-formation étaient soute­nus par une direction qui souhaitait faire monter en compétences les personnels ouvriers ou les moins qualifiés. Et une autre étude publiée par la Dares il y a deux ans expliquait aussi que, dans certaines petites entreprises, le DIF avait su trouver un nouveau public qui, auparavant, n’avait pas accès à la formation, notamment dans des TPE. Le DIF a certes été victime de son insuccès, mais les promesses d’une formation généralisée via ce dispositif n’ont sans doute jamais été prises au sérieux par les entreprises qui, la plupart du temps, s’en sont tenues au “cas par cas”. »
L’étude Geste-Dares insiste aussi sur les aspects qualitatifs de ce bilan du DIF, et, selon elle, « il n’a pas vraiment modifié les pratiques et le rapport à la formation ». « Ouvrir un droit n’a pas été suffisant pour que les salariés s’emparent de cette possibilité, poursuit-elle. Il a manqué des dispositions d’accompagnement favorisant l’exercice de ce droit. L’absence de structure externe à l’entreprise apte à orienter et accompagner les salariés demandeurs de DIF a enfermé son utilisation dans une logique d’entreprise et a circonscrit – parfois retiré – la possibilité pour le salarié de mobiliser ce dispositif dans une perspective de parcours individuel de long terme. »

Rela­tion salarié-employeur déséquilibrée

Conclusion : « Au regard de l’esprit originel du DIF, la rela­tion salarié-employeur s’est avérée déséquilibrée, alors que le DIF ambitionnait une certaine symétrie entre les deux acteurs, conçus comme des codécideurs. S’y ajoute le fait que ce processus de “codécision” n’a que peu contribué à alimenter le débat social dans les entreprises autour de la formation et des parcours professionnels. »
Pourtant, la rédactrice de l’étude admet des nuances : « Des entreprises ont su en faire un outil permettant de recentrer le plan sur des formations métier et d’ouvrir le DIF à des formations différentes et/ou moins fréquentes. Le DIF a pu aussi parfois ouvrir un espace de discussion entre le salarié et son supérieur hiérarchique pour mieux identifier les besoins et définir des objectifs de formation partagés. »
Au final, Denis Reymond a plutôt le sentiment que « l’étude ressemble beaucoup trop à une justification argumentée des évolutions du DIF en CPF ». Sans vouloir justifier à tout prix un dispositif qui a largement montré ses limites, il porte au crédit du DIF le développement de l’idée que chacun doit/peut se préoccuper de sa formation – s’il le souhaite. « Un point de malentendu provient certainement du nom, poursuit-il. En effet, le DIF n’était pas un droit opposable, il n’était pas individuel, car principalement attaché au salarié et non à l’individu, et pas uniquement pour accéder à de la formation, puisque bilan de compétences et VAE étaient possibles. Il aurait mieux valu parler de “devoir d’initiative au départ en formation”, signifiant par là un instrument à la main du salarié pour parler de son projet de formation et de développement à son entreprise : la lecture des résultats serait alors tout autre. À partir du moment où la décision revenait à l’employeur sans nécessité de réelle justification, pouvait-on sérieusement affirmer que “le DIF ambitionnait une certaine symétrie entre les deux acteurs” ? C’était simplement un support à la main du salarié pour aborder la question de sa formation avec un petit atout, support dont on a pu regretter la complexité de mise en œuvre. Sur ce dernier point, il n’est pas certain que le compte personnel de formation arrange la situation. »

Des doutes exprimés également par Didier Cozin : « Cette étude publiée en 2015 a été livrée à la Dares en mars 2013 et aurait bien évidemment dû sortir en 2013, avant la discussion parlementaire et les négociations sur la réforme de la formation. Elle aurait sans doute permis de mieux comprendre les raisons de l’insuccès relatif du DIF, et surtout donné des outils pour ne pas commettre de nouvelles erreurs avec le CPF. Visiblement le ministère du Travail souhaitait avoir la peau du DIF, et la raison ne semble pas l’avoir emporté, avec une loi votée en procédure d’urgence et qui affaiblit la formation depuis deux ans. »


* “Le droit individuel à la formation : les enseignements d’une étude qualitative auprès des acteurs”, Bénédicte Galtier, Document d’études Dares n° 188 de janvier 2015.

Auteur

  • Laurent Gérard