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Xavier Bertrand, remuant patron des Hauts-de-France

Liaisons Sociales Magazine | Mobilités | publié le : 14.06.2016 | Anne Fairise

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Pragmatisme, efficacité, proximité…, le nouveau président LR des Hauts-de-France, qui a fait campagne sur le travail, mouille sa chemise pour l’emploi dans sa région. Sans oublier de communiquer.

Depuis que Xavier Bertrand est devenu l’homme fort de la région Hauts-de-France, il n’a qu’un mot à la bouche : efficacité ! Il profite de toute opportunité de rencontre pour sonder ses interlocuteurs sur la pertinence des mesures adoptées ou en­visagées. « Un plan voté, c’est bien. Un plan qui marche, c’est mieux », explique-t-il, ce matin d’avril, aux dirigeants d’Interfor, le CFA d’Amiens qui prête ses murs pour un déplacement ouvert à la presse. Avant de décortiquer avec eux, pendant une heure, toutes les options possibles pour lever les freins à l’apprentissage. Une attitude qui ne doit rien à la présence des caméras. Au conseil d’administration du Medef régional, on se souvient de sa première visite. « Il a pris au dépourvu plusieurs patrons en les interpellant, très directement, sur les réponses opérationnelles à apporter », raconte un participant.

Élu sur une terre où Marine Le Pen a récolté 40,64 % des voix au premier tour des régionales de décembre, le nouveau président LR-UDI veut agir vite, et différemment. C’est la promesse faite à l’issue de sa victoire (57,77 %), permise par le retrait de la liste PS et la mobilisation des abstentionnistes. « Cela changera à jamais ma façon de faire de la politique […]. Ce soir, nul ne peut dire qu’il a gagné », avait-il expliqué dès son élection en se positionnant au-dessus des clans. Des mots qui avaient interpellé. Parce qu’ils émanaient d’un vieux routier de la politique, âgé de 50 ans, ayant souvent changé de mentor.

Omniprésence.

Cinq mois plus tard, Xavier Bertrand s’acharne à poser des actes forts. Il a abandonné la course à la primaire, sa mairie de Saint-Quentin (Aisne), son fauteuil de député. Et a mis les élus de la région (un peu) à la diète. L’affaire de son salaire à la présidence de l’agglo­mé­ration de Saint-Quentin ? Elle a fait flop. « Une affaire de cornecul. On ne reproche pas son salaire à un élu qui mouille la chemise », juge le politologue Stéphane Rozès. En la matière, Xavier Bertrand, omniprésent sur le terrain, bat tous les records. Pas pour couper les rubans. Mais en patron d’une collectivité, qui, dans toutes ses délibérations, fait de l’emploi sa « compétence principale ». Lui s’est gardé la délégation développement économique-emploi et laboure le ­sujet. Un rouleau compresseur. Un jour à Paris pour plaider ses dossiers. Un jour à Londres pour pousser celui des migrants de Calais. Un autre en Suisse auprès des dirigeants de Pentair Griss (robinetterie), auxquels il a arraché un sursis de deux ans dans la restructuration des sites français. « Je ne me cacherai derrière personne. Les résultats seront les miens », assure-t-il.

Celui qui fut quatre fois ministre prend garde à ne pas pouvoir trébucher sur des promesses non tenues. Les quelques objectifs affichés sont, de son propre aveu, accessibles. « Le but, c’est de les dépasser », indique sa garde rapprochée. Les 50 000 apprentis (+ 51,5 %) ciblés pour la fin de son mandat, via le plan apprentissage   le plus ambitieux de France » ? La majorité sortante s’était fixé le même horizon. Les 60 000 retours à l’emploi promis fin septembre ? Ils tiendront compte de tout : créations d’emploi, postes sauvegardés, entrées en formation « avec un emploi derrière ».Comme dit Xavier Bertrand, « le volontarisme, ce n’est pas une baguette magique ». L’homme s’est d’ailleurs engagé à faire, tous les trois mois, des bi­lans devant les électeurs. Tel un chef d’entreprise ­devant 6 millions d’actionnaires.

De ses administrés, il s’est vite fait connaître, en ouvrant dès janvier Proch’emploi, une plate-forme téléphonique promettant aux chômeurs un entretien dans les quinze jours afin de les orienter vers une offre non pourvue ou une formation… Sans surprise, le dispositif a été assailli d’appels (2 400 en quatre jours)… et de critiques. Parmi ses détracteurs, les syndicalistes de Pôle emploi, qui critiquent l’absence de formation des agents, la construction des process au jour le jour, la confusion des genres pour les chômeurs intégrant plusieurs dispositifs non coordonnés… « Les agents ne doivent pas être utilisés pour des projets partisans », prévient Benoît Guittet, numéro un de la CFDT Région.

Pour beaucoup, Proch’emploi est un coup de maître. À l’impact considérable sur le plan médiatique, pas sur celui des résultats. Il s’agit pour l’essentiel de formations, selon la région, qui reste floue sur les suites données aux 7 100 appels reçus fin mai. Reste que le dispositif a rendu la région visible et proche des gens. « Xavier Bertrand s’est posé en interlocuteur direct des chômeurs », observe un grand patron de l’économie sociale. Un sacré coup de pied dans la fourmilière. « Proch’emploi a mis le focus sur les offres non pourvues et l’absence de coordination. Il sera peut-être à l’origine de nouvelles mises en réseau », espère François Hoizey, directeur de l’UIMM régionale. L’initiative de l’ex-député LR n’a rien d’anodine. Quand bien même il ne réclame pas, publiquement, la régionalisation de l’opérateur public. « Proch’emploi s’inscrit en complémentarité », explique Xavier Bertrand, qui présente le numéro vert comme le point d’entrée d’une réforme des services de formation régionaux visant à raccourcir les circuits de décision. Pour autant, il n’a pas dit son dernier mot sur l’intermédiation. Ses équipes planchent, avec Adecco et Randstad, sur un « Facebook régional de l’emploi » annoncé pour fin 2016…

Pragmatisme.

La formation est cruciale pour les Hauts-de-France qui financeront, en 2016, 88 425 parcours. À l’inverse de Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand n’a pas boudé les réunions sur le « plan 500 000 » avec le gouvernement. Il en a même profité pour décrocher un financement supplémentaire ! Ce pragmatisme le pousse, aussi, à rencontrer Pierre de Saintignon, son rival socialiste d’hier, avant toute plénière de la région. « De façon quasi institutionnelle », admet ce dernier, qui reçoit en avant-première toutes les dé­libérations présentées au vote. Un choix avisé, selon Stéphane Rozès : « Xavier Bertrand n’a ­d’autre opposition que le FN. Il met en place une gouvernance consultative avec l’ancien exécutif pour ne pas s’enfermer dans son camp. »

En nommant Karine Charbonnier, chef d’une entreprise de visserie, vice-présidente à la formation et aux relations avec les entreprises, il a envoyé un autre signal sur les circuits courts. Apprécié du patronat. « Cela facilite le contact et permet de passer des messages », note Frédéric Motte, président du Medef régional. Sur le sujet, le nouvel exécutif n’a pas encore imprimé sa marque. Hormis des aides directes, dans l’urgence. Telle cette subvention couvrant 25 % des charges (jusqu’à 1,6 Smic) pour toute embauche dans une PME de moins de 250 salariés. Et cette prime de 20 euros par mois pour les salariés ne pouvant utiliser les transports en commun. « Seules 50 % des 250 PME de notre réseau sont au courant. Les entreprises ne chassent pas les subventions pour embaucher », relativise Thierry Cardinael, du Club E6. Insuffisant, en tout cas, pour dessiner de grandes orientations économiques.

Le schéma régional de développement économique, voté fin 2016, donnera le la. Mais les contraintes budgétaires de la région, très endettée, limitent les marges de manœuvre. « Soyons inventifs ! » martèle Xavier Bertrand, qui veut donner une tonalité emploi à toute action. Illustration : la tentative de réorientation des marchés publics vers l’emploi local par de nouvelles clauses tendancieuses. L’une, votée fin avril, exige que tous les ouvriers de chantier maîtrisent le français. Pour « éviter le recours abusif aux travailleurs détachés ». Un jalon dans la perspective du chantier du canal Seine-Nord Europe et ses 10 000 emplois attendus dans le BTP entre 2017 et 2023. L’ex-ministre du Travail, gaulliste social revendiqué, n’a pas fini de bousculer.

Auteur

  • Anne Fairise