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Vers des accords de compétitivité offensifs ?

Entreprise & Carrières | Mobilités | publié le : 04.04.2016 | Elodie Sarfati

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Prévus par le controversé article 11, les accords pour l’emploi pourront s’imposer sur les contrats de travail. Et déroger aux 35 heures.      

C’est sans doute l’un des articles qui feront le plus débat. L’article 11 du projet de loi Travail ouvre en effet la porte aux accords de compétitivité offensifs, réclamés de longue date par le patronat. Il prévoit que des accords majoritaires, conclus « en vue de la préservation ou du développement de l’emploi », pourront s’imposer sur les contrats de travail y compris en matière de rémunération (avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle) et de temps de travail. Le refus de se voir appliquer l’accord constituera, en soi, un motif de licenciement.

Pour le gouvernement il s’agit de « favoriser » des accords pour « adapter l’organisation collective du travail aux variations d’activité, à un changement de conjoncture ou à la perspective d’un investissement de moyen terme ». « Cette disposition signe de facto la mort des accords de maintien de l’emploi (AME) en en supprimant toutes les rigidités », décrypte Déborah David, avocate au cabinet Jeantet, qui s’exprimait au cours d’une rencontre organisée par l’Ajis le 29 mars. Exit, à ce stade, la clause pénale, le licenciement pour motif économique individuel des salariés qui le refusent, la durée limitée de l’accord, la condition d’être face à de « graves difficultés conjoncturelles ».

Licenciement sui generis

Seulement, beaucoup de questions demeurent. « Les employeurs devront-ils prendre des engagements, et de quel ordre ?, reprend Déborah David. Il faudra le préciser sinon des contentieux se développeront autour de la notion de préservation et de développement de l’emploi ».

Le licenciement « sui generis » fait également débat. Alain Everbecq, DRH de Poclain qui a utilisé cette forme de rupture (instaurée dans le code du Travail à l’occasion des lois Aubry) pour appliquer un accord en 2009 salue l’effort de « sécurisation juridique et de communication autour des accords offensifs, avec un texte rassurant pour les chefs d’entreprise ». Myriam El Khomri, devant la commission des affaires sociales, a défendu qu’il « ne s’agira ni d’un licenciement pour faute, ni d’une démission, comme en Allemagne » et a fermé la porte à un licenciement économique, notamment souhaité par le rapporteur Christophe Sirugue.

Sur le fond, Patrick Thiébart, également avocat au cabinet Jeantet, remarque que la sanction est forte pour le salarié : « Il ne pourra ni contester son licenciement, ni bénéficier du contrat de sécurisation professionnelle (CSP) ou d’un congé de reclassement ». Dans l’étude d’impact du projet de loi, le gouvernement explique qu’il veut éviter que ces accords soient « vidés de leur portée par des choix individuel ». Mais selon Stéphane Lardy, secrétaire confédéral FO, « pour certains salariés, c’est impossible d’accepter, par exemple, la suppression d’une prime annuelle. Certains droits individuels sont irréductibles au collectif ». Il estime, quoi qu’il en soit, que « cette disposition est contraire à la Convention n°158 de l’OIT. Un licenciement doit avoir un motif soit inhérent, soit non-inhérent à la personne, or le projet de loi est entre les deux. D’autre part, l’article pré-justifie la rupture en lui conférant un caractère réel et sérieux, alors que c’est au juge de l’apprécier ».

Dérogation possible aux 35 heures

Enfin, autre point potentiellement sensible, celui de la durée du travail. Le texte a beau faire des 35 heures une disposition d’ordre public nul doute, pour les avocats, que ces accords pourront y déroger en toute légalité. « Il sera possible, par exemple, de rendre structurelles deux heures supplémentaires par semaine tout en diminuant la rémunération horaire, de façon à maintenir, au global, la rémunération mensuelle », illustre Déborah David.

Encore faudra-t-il que les syndicats acceptent de signer ces accords. Pour l’heure, la CFDT demande des garde-fous supplémentaires, comme une durée limitée, le recours à l’expertise même en l’absence de CE. La CFE-CGC n’en veut pas, estimant que les efforts doivent être « équitablement répartis et assortis d’engagements sur le maintien de l’emploi », comme pour les AME.

Stéphane Lardy remarque que les partenaires sociaux n’ont pas attendu le projet de loi pour négocier des accords de compétitivité : « Changer la législation n’est donc pas nécessaire, et sur le terrain, cette disposition risque de fragiliser les syndicats pour qui ce n’est déjà pas simple de s’engager dans ce type d’accords ». Après le flop des AME, quel sera le destin de cette nouvelle mouture des accords emploi ? Premiers éléments de réponse à l’Assemblée, à partir du 3 mai.

Auteur

  • Elodie Sarfati