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"Trepalium est une composition sur l’ultralibéralisme devenu déficient"

Liaisons Sociales Magazine | Mobilités | publié le : 10.02.2016 | Emmanuelle Souffi

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Trepalium*, la nouvelle série d'Arte, décrit les désordres d'un système économique devenu inhumain. Dans un monde rétro-futuriste, un mur y sépare les 20% d'actifs en emploi des 80% au chômage. Entretien avec la productrice, Katia Raïs.

Vincent Lannoo, le réalisateur de Trepalium, range la série dans la catégorie des dystopies, en évoquant "un monde qui serait allé vers ses pires défauts"…

Trepalium évoque un monde qui s’est encerclé lui-même et qui a donc régressé. L’univers rétro-futuriste, avec des scènes tournées au siège du Parti communiste à Paris, donne un côté volontairement aseptisé. Le mur qui sépare les 20 % d'actifs en emploi des 80 % au chômage symbolise cette ségrégation sociale entre les chanceux et les autres, les Zonards et ceux de la Ville. Les auteurs se sont nourris des ouvrages de Dominique Méda et Cynthia Fleury, des films de John Carpenter ou encore de "Soleil vert" de Richard Fleischer. Au moment du tournage, Manuel Valls a parlé d’"apartheid social". La réalité rattrape la fiction. Quand on présente la série aux Espagnols, ils pensent que c’est déjà leur quotidien. Les Québécois, eux, estiment qu’il vaut mieux un petit boulot que rien du tout. Quant aux Américains, ils évoquent les travailleurs mexicains qui tentent de franchir les frontières. Depuis la crise des migrants, les murs ont poussé partout…

Trepalium veut-il dénoncer les désastres d’un capitalisme poussé à l’extrême ?

Cette série est une composition sur l’ultralibéralisme devenu déficient. Un monde fou, qui ne produit plus rien, ni intellectuellement ni manuellement, dans lequel tout devient insensé. On ne sait plus à quoi l’on sert, la Ville ne repose que sur des métiers de service ultra connectés. Les emplois solidaires proposés à 10 000 Zonards n’ont pas de contenu ni d’objectifs si ce n’est d’occuper les gens. Le travail est déconnecté des compétences, c’est une loterie, un asservissement. Il n’y a plus d’école, le système culturel a disparu. Ne reste que le Sexodrome conçu pour satisfaire un besoin plus que donner du plaisir.

Notre monde actuel érige-t-il un mur entre travailleurs et chômeurs ?

Evidemment ! Il y a Paris et le périphérique : que se passe-t-il au-delà ? Les grandes capitales se gentrifient. Ne plus pouvoir se nourrir, se loger ou boire de l’eau potable, c'est aussi notre monde ! Quand un clochard réclame du pain, il nous dégoûte, on n’a pas envie de lui ouvrir notre porte. À l'image des Zonards qui ont décroché un emploi solidaire et se font insulter par les actifs. Pour pouvoir continuer à vivre, on s’aveugle.

Dans votre scénario, l'Etat providence n’existe plus…

Nos deux héros, Izia et Ruben, sont des individualistes, ils ne pensent qu’à eux. Ils ne sont pas des rebelles, ni des révolutionnaires, ils n’ont pas de discours politique. Les personnages sont tous dans une impasse et ils cherchent à s’en sortir. Ce n’est pas la lutte entre les pauvres et les riches, mais celle entre ceux qui ont un travail et veulent à tout prix le garder et les autres qui n’en ont pas. Dans la Zone, il y a un système de distribution d’eau et d’alimentation. Mais on donne toujours trop peu, pour tenir les masses sous dépendance.

Vous voyez le travail comme une condition de l’existence ?

Il y a une scène clé dans le premier épisode de la série. Un professeur de la Zone y explique ce qu’apporte le travail à un individu. Est-ce vraiment obligatoire de travailler pour être quelqu’un ? Je ne le pense pas. Le travail n’est pas une valeur négative mais dans Trepalium, si. Les habitants de la Zone ne sont pas heureux mais ils éprouvent encore des sentiments : ils ont de l’affect, de la colère, de la sensibilité. Contrairement à ceux de la Ville, qui n'ont plus le droit d’aimer car c’est une faille.  

 

*Les jeudis 11 et 18 février, sur Arte à 20h55

Auteur

  • Emmanuelle Souffi