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"On est dans une logique d’accord à tout prix, même sans syndicats"

Liaisons Sociales Magazine | Mobilités | publié le : 19.02.2016 | Manuel Jardinaud

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Pour cet enseignant de l'université d'Artois, le projet de loi de Myriam El Khomri incite à plus de démocratie sociale, tout en comportant des freins à la négociation et une défiance envers les syndicats.

Quel regard portez-vous sur l’avant projet de loi « visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs », dit projet de loi El Khomri ?

Je me suis dit : encore un texte ! Alors qu’on ne maitrise pas tout à fait les lois Rebsamen et Macron, qui font déjà considérablement bouger le droit du travail, voici donc un texte conséquent qui fait évoluer en profondeur le code, notamment sur le temps de travail. C’est paradoxal de la part de ceux qui critiquent sa complexité de contribuer à son instabilité. Les entreprises et les salariés vont être à nouveau déstabilisés par une nouvelle loi.

Ce texte vous paraît-il cohérent ?

On réussit à y voir une cohérence, notamment parce qu’il donne plus de poids à la négociation collective, ce qui était l’ambition du rapport de Jean-Denis Combrexelle. Et ce, en mettant en place une nouvelle architecture entre l’ordre public social, la négociation collective et les dispositions supplétives. Une sorte de valse à trois temps qui devrait préfigurer le futur code du travail. Ce qui est intéressant, c’est la répartition entre la négociation collective, que veut renforcer le gouvernement, et le pouvoir de l’employeur, auquel renvoient les dispositions supplétives s’il n’y a pas d’accord. En fait, la négociation se révèle souvent être le faux nez du pouvoir de l’employeur, par exemple sur le forfait jours ou le temps de travail dans les entreprises de moins de 50 salariés. On se retrouve dans un jeu d’acteurs où chacun va être orienté par ce qui s’applique s’il n’y a pas d’accord. On risque d'être dans une négociation par défaut, avec les dispositions supplétives en miroir. En outre, dans les parties traitant du champ de la négociation, on retrouve beaucoup de clauses obligatoires, dont le contenu est encadré. De fait, il est écrit : « L’accord doit… ». Au final, la négociation collective est fortement promue mais aussi doublement contrainte.

La possibilité de consultation des salariés permet-elle de déverrouiller la négociation collective ?

Tout d’abord, l’obligation d’un accord majoritaire à 50% pose une contrainte de plus. Nous risquons de voir peu de textes signés dans les entreprises. De plus, la possibilité de consulter les salariés, comme une procédure de secours pour les syndicats ne représentant que 30%, est en fait une façon de mettre en minorité les syndicats majoritaires. Il y a là un paradoxe : le gouvernement veut promouvoir la démocratie sociale mais ne fait pas confiance à ceux qui représentent plus de 50%. Cette disposition porte le germe de conflits malsains sur la légitimité des représentants des salariés. C’est inquiétant. Car au niveau individuel, les salariés sont vulnérables et risquent de se prononcer sans considérations pour l’intérêt collectif. On est dans une logique d’accord à tout prix, même sans syndicats. Ces derniers sont pourtant rompus à la négociation, même si cela n’est pas toujours parfait, évidemment.

Que retenez-vous d'autre dans ce texte ?

L’avant-projet de loi approfondi – ce n’est pas nouveau - ce que j’appelle la prévisibilité des règles et des sanctions. C’est particulièrement le cas pour le licenciement économique. Cela part d’un postulat, dont il reste à démontrer l’efficacité : pour faciliter l’embauche, il convient de sécuriser la rupture. Le texte se réfère à la baisse du chiffre d’affaires ou des commandes pour permettre de motiver un licenciement économique. Sans prendre en compte le risque lié aux jeux d’écritures comptables. Même politique de prévisibilité pour le plafonnement des dommages et intérêts devant les prud’hommes. Là, le seul critère, celui de l’ancienneté, est déroutant car on déconnecte le montant alloué du préjudice subi. C’est une sorte de vision affective de la séparation sans aucun lien avec la réalité. Mais, pour le gouvernement, la prévisibilité semble devoir dépasser la justice. C’est une sorte de violation efficace du droit qui laisse de côté la logique de réparation. On est face à un législateur psychologue qui veut calmer les craintes pour permettre les embauches.

Le texte prévoit une innovation, le compte personnel d’activité. Qu’en pensez-vous ?

Le dispositif est intéressant, surtout s’il est étendu aux travailleurs indépendants. C’est une belle promesse d’avenir qui reste néanmoins modeste en l’état. Qu’un dispositif hors-sol soit pensé, et envisagé, mérite d’être signalé. Mais, en proportion des nombreuses autres dispositions, cela demeure assez modeste…

 

Auteur

  • Manuel Jardinaud