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"Les trajectoires de certains travailleurs sont bloquées car ils cumulent les CDD"

Liaisons Sociales Magazine | Mobilités | publié le : 12.05.2016 | Manuel Jardinaud

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Dans un livre co-écrit avec l'économiste Franck Malherbet, le membre de l'Ecole d'économie de Paris analyse les conséquences délétères du dualisme du marché du travail pour les abonnés aux contrats courts. Et propose de réfléchir à un système de bonus-malus pour les employeurs les incitant à recruter en CDI.

Votre ouvrage est intitulé « CDD vs CDI ». Faut-il vraiment opposer ces deux formes de contrats ?

Nous sommes dans un marché du travail dual qui a pris forme en deux temps. Dans les années 80 et 90, la part des CDD dans l’emploi salarié a fortement augmenté pour représenter aujourd’hui 12%. Ce qui n’est pas forcément un taux délirant si le CDD est un marchepied vers le CDI. Le problème est que les trajectoires de certains travailleurs sont bloquées car ils cumulent les CDD. En outre, depuis les années 2000, un double phénomène s'entrechoque : la part des CDD dans les embauches a continué à augmenter et surtout, la durée moyenne des contrats a diminué de manière significative. L’instabilité a donc augmenté. Elle touche en priorité les jeunes et les moins qualifiés. Le dualisme affecte certaines catégories en priorité.

Quelles sont les conséquences de ce dualisme du marché du travail ?

En dehors des effets sur la santé dus à la multiplication des périodes de chômage, on observe deux conséquences principales : sur les salaires et sur la formation. Concernant le premier point, les études montrent que les individus en CDD ont une rémunération plus faible que ceux en CDI. Plus inquiétant encore, car cela met à mal la trajectoire professionnelle des personnes, l’accès à la formation est significativement plus faible pour ceux qui cumulent les CDD. Selon une étude de l’OCDE, un salarié en contrat court a, en moyenne, 14% de chance en moins d’être formé qu’un autre en CDI. En France, c’est 27% de chance en moins. Le double ! L’ensemble de ces handicaps provoque un effet boule de neige qui fragilise les individus, en particulier les jeunes et les peu qualifiés.

Quelles pistes peuvent être explorées pour favoriser l’emploi pérenne et diminuer le recours aux contrats courts ?

L'assurance chômage a un rôle à jouer. L’expérience des Etats-Unis se révèle très intéressante car la manière dont l'assurance chômage y est financée incite les employeurs à stabiliser leur main d'oeuvre. Chaque employeur y a, en quelque sorte, un compte avec des crédits – ce qu’il cotise – et des débits – les allocations versées aux personnes qui ont travaillé chez lui. Les cotisations dues par l’entreprise sont modulées pour équilibrer crédits et débits, encadrées par un plancher et un plafond. Cela s’apparente à un système de bonus-malus. Les partenaires sociaux sont aujourd'hui plus réceptifs à ce type d'idées, qu'ils ont commencé à expérimenter, car ils perçoivent ce que coûtent les contrats courts aux caisses de l'UNEDIC.

Certaines organisations patronales évoquent la peur d'embaucher en CDI pour justifier la multiplication des CDD. Faut-il effectivement réformer la question du licenciement ?

C'est effectivement une autre piste, beaucoup plus décriée : améliorer le recours au CDI en sécurisant les employeurs, notamment en réduisant l’incertitude sur les indemnités qu'ils peuvent avoir à verser si un licenciement est contesté. Cela mène à réfléchir au système des prud’hommes, à en améliorer les procédures, à faciliter la conciliation, à introduire un barème comme cela existe dans plusieurs pays d’Europe, à réduire les différences régionales dans les jugements… Il ne s’agit pas de limiter les indemnités, ni de faciliter le licenciement, mais de pousser les employeurs à préférer le CDI au CDD en leur offrant un cadre plus transparent.

Auteur

  • Manuel Jardinaud