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"Le rôle de l'assurance-chômage n'est pas de subventionner les métiers dont l'emploi est instable"

Liaisons Sociales Magazine | Mobilités | publié le : 08.10.2015 | Anne Fairise

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Pour lutter contre l'explosion des CDD de très courte durée, l'économiste propose d'instaurer un système de bonus-malus modulant la cotisation des entreprises, en fonction des coûts induits. Comme aux Etats-Unis.

Dans votre note au Conseil d’analyse économique, vous soulignez les spécificités françaises en matière d’explosion de l’emploi précaire et morcelé. Quelles sont-elles ?

La France se distingue de ses partenaires européens par l’importance des contrats de très courte durée parmi les CDD. Entre 2000 et 2014, elle a connu une hausse vertigineuse, de 61%, du nombre d’embauche en CDD de moins d’un mois ou en intérim, alors que le nombre de recrutements en CDI ou en CDD de plus d’un mois stagnait. Aux Etats-Unis, la tendance est inverse. Cette explosion des emplois instables traduit une évolution profonde des pratiques de recrutement. Au CDD long, les entreprises préfèrent un enchaînement de contrats courts. Très fréquemment, à 70%, ceux-ci servent à des réembauches dans la même entreprise. Courante dans les professions recourant au CDD d’usage, la pratique a gagné d’autres secteurs. Comme la santé ou le commerce, où le nombre d’embauche en CDD de moins d’un mois (hors intérim) atteignait respectivement 78% et 52% en 2014.

En quoi les règles d’assurance-chômage sont-elles responsables de cette évolution?

Cette explosion des emplois instables ne peut s’expliquer par des spécificités sectorielles. Un fait troublant est l’accroissement simultané de la proportion de contrats courts et du nombre de salariés inscrits à Pôle Emploi dans le cadre du dispositif d’activité réduite, qui permet de cumuler revenu d’activité et allocation chômage. Leur nombre a plus que doublé entre 1995 et 2013, pour atteindre 1,2 million en moyenne chaque mois. En 2013, 38% des personnes indemnisées étaient en activité réduite, contre 23% en 1995. Cela suggère que les règles d’indemnisation ont soutenu le développement des emplois précaires. Elles sont incitatives : un allocataire peut travailler une semaine sur deux et gagner un revenu proche de celui qu’il aurait en travaillant à temps plein.

Cela signifie que les allocataires s’installent dans de longues périodes d’activité réduite indemnisée ?

Le cumul de l’indemnisation du chômage avec le revenu d’activité a deux effets opposés : un effet d’enfermement poussant les allocataires à enchaîner les contrats courts sur de longues périodes, et un effet tremplin, lorsque l’emploi court permet d’accéder à un emploi durable. Leur importance respective est mal connue, et dépend des paramètres de l’assurance-chômage et de l’état du marché du travail. Le système français crée des situations où l’allocataire a peu intérêt à travailler plus. Cette situation arrange certaines entreprises mais aussi certains allocataires. Selon l’Unedic, 46% des allocataires en activité réduite depuis huit mois en 2011 n’avaient pas l’intention d’occuper un autre emploi. Cela montre que l’activité réduite crée des comportements d’engagements tacites entre demandeurs d’emploi et employeurs pour faire payer une partie du salaire par l’assurance-chômage. Cette situation est coûteuse pour le régime.

En quoi jugez-vous les règles d’indemnisations de l’activité réduite mal calibrées ?

En France, il est possible de cumuler allocation et salaire sans limite de durée. Les incitations à travailler de façon discontinue sont également fortes. Dans le dispositif actuel, mieux vaut travailler à temps plein un jour sur deux, en alternant les contrats courts, que tous les jours à mi-temps. Le mode de calcul de l’indemnisation, qui prend en compte les seuls jours travaillés, en est la raison. C’est pourquoi nous proposons de modifier les règles de cumul de l’allocation-chômage et du salaire, en prenant en compte les périodes d’inactivité. Cela revient à fixer une allocation chômage proportionnelle au revenu moyen mensuel calculé sur une période de référence, indépendamment du nombre de jours travaillés dans le mois.

Cette refonte provoquerait une baisse importante des allocations versées à beaucoup de personnes en activité réduite…

C’est vrai, une personne au Smic travaillant la moitié des jours ouvrés s’ouvrira des droits sur la même base qu’une personne travaillant de façon continue à mi-temps. Comparé à la situation actuelle, son allocation chômage sera diminuée de moitié. Il y aura des perdants mais aussi des gagnants, notamment parmi les allocataires travaillant à mi-temps. En contrepartie de ces moindres allocations, nous proposons de rendre le cumul allocation-chômage et salaire plus rémunérateur, en baissant la taxation du revenu d’activité.

Pour contrer la hausse des emplois courts, vous proposez de moduler les cotisations des entreprises en fonction des coûts qu’elles ont généré. C’est une réforme difficile à faire passer…

Les partenaires sociaux, gestionnaires de l’assurance-chômage, ont commencé à s’engager sur cette voie, en modulant en 2013 le taux de contribution patronale d’assurance chômage en fonction du type de contrat de travail et de sa durée. Mais en multipliant les exceptions pour les catégories d’emplois coûtant le plus cher, ils ont vidé la réforme de ses effets. Les emplois saisonniers et intérimaires ne sont pas concernés. Moins de 100 millions d’euros de recettes sont attendus. C’est peu au regard des enjeux. Le solde budgétaire lié aux contrats courts est chiffré à 8,5 milliards d’euros en 2012, dont 5,5 milliards hors des annexes qui gèrent les régimes particuliers. Il faut changer de logique, en modulant les cotisations patronales non plus selon le type de travail mais selon le coût induit pour l’assurance chômage.

Le principe s’appliquerait-il à tous les secteurs, y compris les gros consommateurs de contrats courts ?

Si des règles d’indemnisation spécifiques à certaines professions sont maintenues, leur surcoût doit être financé par des contributions spécifiques. Le rôle de l’assurance chômage n’est pas de subventionner certains secteurs ou métiers dont les emplois sont instables, mais d’assurer les salariés contre les risques de fluctuation de revenu. Dans notre proposition, le taux de cotisation de chaque entreprise est déterminé en fonction du solde de ses cotisations et des dépenses d’indemnisation de ses ex-salariés au chômage, quel que soit le type de contrat sur lequel ceux-ci ont été embauchés. Aux Etats-Unis, ce système de bonus-malus, en vigueur depuis les années 1930, a fait ses preuves. C’est une manière plus efficace de faire des économies que le retour à la dégressivité des allocations réclamée par le patronat. Et cette réforme rendra le système plus sain. Parce qu’il subventionnera l’emploi stable, et non plus l’emploi instable.

 

Améliorer l'assurance chômage pour limiter l'instabilité de l'emploi, par Pierre Cahuc et Corinne Prost, membre du Crest.

Auteur

  • Anne Fairise