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"Ce sont les hommes musulmans qui souffrent le plus de la discrimination"

Liaisons Sociales Magazine | Mobilités | publié le : 16.10.2015 | Anne-Cécile Geoffroy

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Economiste, Marie-Anne Valfort a réalisé un immense "testing" sur CV avec l'appui de l'Institut Montaigne. Des 6231 candidatures envoyées, il ressort que ce sont les musulmans pratiquants de sexe masculin qui sont les plus désavantagés. Entretien.

Pourquoi ce testing sur les discriminations liées à la religion ?

Depuis quelques années, plusieurs indices suggèrent qu’une personne peut être discriminée lors d’une recherche d’emploi simplement parce qu’elle est perçue comme juive ou musulmane par le recruteur, et uniquement pour cette raison. Un testing sur CV mené par le groupe Casino en 2008 a par exemple révélé que les Français d’origine maghrébine sont beaucoup plus discriminés que ceux originaires d’Afrique sub-saharienne ou d’Asie par rapport aux Français d’origine métropolitaine. Leur appartenance supposée à la religion musulmane semble être une barrière à leur intégration sur le marché du travail.

Comment avez-vous procédé ?

Nous avons imaginé six parcours de vie – trois hommes et trois femmes – strictement identiques à l’exception de leur religion. Tous d’origine libanaise, ayant quitté leur pays pour faire des études en France et cherchant un poste dans le domaine de la comptabilité. Pour savoir si des stéréotypes associés à l'islam influencent les recruteurs, nous avons mis en scène des CV de pratiquants et des CV de laïcs. Les premiers étaient engagés dans une association de scoutisme confessionnelle, les seconds dans une association de scoutisme laïque. Nous avons également introduit des CV d’exception qui signalent l’excellence du candidat dans toutes les rubriques : une mention "bien" au Bac, une expérience professionnelle plus riche et plus longue, etc. Puis nous avons, pendant un an, envoyé 6231 CV à des entreprises.
 
Quels enseignements tirez-vous de cette enquête?
 
Les résultats globaux montrent que les juifs et les musulmans pratiquants sont discriminés par rapport à leurs homologues catholiques : lorsqu'ils envoient des candidatures, ces derniers sont convoqués à un entretien de recrutement une fois sur cinq, contre une sur six pour les juifs et une sur dix pour les musulmans. Ce sont les hommes musulmans qui souffrent le plus de la discrimination. Quand on s'appelle Mohammed, il faut envoyer 20 candidatures pour obtenir un entretien d’embauche. Soit quatre fois plus que si on s'appelle Michel.
 
Certains critères influencent-ils les recruteurs ?
 
Le signal d’attachement à la laïcité permet d’améliorer très significativement le taux de réponse des candidats musulmans de sexe masculin. Le signal d'excellence, lui, joue défavorablement pour les hommes. Il empire même leur situation. En revanche, il fonctionne très bien pour les femmes : il annule la discrimination dont sont victimes les candidates musulmanes pratiquantes.
 
Qu’est-ce que cela révèle ?
 
Plusieurs études ont pointé du doigt certains stéréotypes associés à l’islam : extrémisme religieux et oppression des femmes. Nos résultats sont très cohérents avec ces stéréotypes. Ils confirment que l’on associe aux hommes musulmans le risque d’une pratique religieuse transgressive sur le lieu de travail et un sens de l’honneur particulièrement chatouilleux en raison de la culture machiste dans laquelle ils auraient grandi. Ces conclusions sont préoccupantes. En particulier le fait que les musulmans masculins soient encore plus discriminés lorsque leur parcours apparaît exceptionnel. Ce résultat invalide le discours de l’Education nationale qui présente la quête d’excellence comme le meilleur rempart contre les discriminations à l’embauche.

Que peuvent faire les entreprises ?
 
Plusieurs approches sont possibles. Elles peuvent mobiliser le sens moral de leurs salariés en insistant sur la réalité des discriminations à l’embauche et sur ses conséquences sociétales très négatives. Car discriminer une partie des Français sur leur religion, c’est participer au clivage de la société et nourrir la tentation du repli communautaire. Mais les entreprises peuvent également procéder à des réformes organisationnelles en matière de recrutement.
 
Que peuvent-elles revoir dans leurs procédures ?

Les pistes de solutions sont nombreuses. Encore faut-il que les entreprises acceptent d’ouvrir leurs portes aux chercheurs et se prêtent au jeu de l’expérimentation pour identifier celles qui fonctionnent vraiment. De nombreuses études montrent, par exemple, que plus les individus sont soumis au stress et à la fatigue, moins ils mobilisent leur capacité mentale. La fatigue et le stress des recruteurs sont donc une porte d’entrée des discriminations implicites. Revoir l’organisation du tri de CV, éviter les entretiens en fin de journée, laisser plus de temps aux recruteurs pour sélectionner les candidats sont ainsi autant de petites choses qui peuvent aider à contrer les discriminations inconscientes.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy