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“On a besoin d’identifier les populations victimes et de construire des statistiques”

Liaisons Sociales Magazine | Mobilités | publié le : 09.12.2015 | Anne Fairise

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Directeur de recherche à l’Ined, Patrick Simon porte un regard sévère sur les politiques publiques visant à lutter contre les discriminations que subissent les jeunes issus des quartiers populaires.

Les dernières mesures antidiscriminations ­forment-elles, comme l'assure le gouvernement, « une nouvelle étape des politiques ­publiques »?

Certainement pas. Les annonces gouvernementales ne sont pas des ­mesures de lutte contre les discriminations. La campagne nationale de testing auprès des grandes entreprises servira au mieux à révéler les discriminations, mais je doute de la faisabilité technique. Pour avoir de la valeur, un testing à l’embauche doit être réalisé sur un grand nombre d’offres d’emploi par entreprise, sur différents métiers. Les autres mesures visent à élargir l’origine sociale des élèves des écoles de formation aux métiers de la fonction publique et à réduire les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur, et relèvent de la promotion ­sociale.

C’est donc de l’affichage ?

Le gouvernement Valls n’a rien relancé, alors même qu’il a fini de vider de sa substance la loi pour l’égalité des chances votée en 2006 en réponse aux émeutes des banlieues. En mai, il a abrogé l’article imposant aux entreprises de plus de 50 salariés de recruter par CV anonyme. Tout se passe comme si le gouvernement avait pris acte de l’arrêt de la politique de lutte contre les discriminations. Pourtant, toutes les enquêtes montrent la permanence de la pénalité liée aux origines.

Le sujet serait sorti de l’agenda ?

Une séquence s’était ouverte avec la loi sur les discriminations de 2001. Elle avait été le point de départ d’une montée en puissance de l’action publique et de la reconnaissance des discri­minations. Les émeutes des banlieues ont accéléré la prise de conscience de leur étendue, même si la loi égalité des chances qui les a suivies a douché beaucoup d’espoirs. Cette séquence s’est refermée et le balancier est revenu en arrière. La Halde, issue de la loi de 2006, a été absorbée par le Défenseur des droits en 2011. Cette fusion a escamoté la mise à l’agenda des discriminations. Qui est chargé du sujet au gouvernement depuis 2012 ? Personne, comme dans le dernier gouvernement de la ­présidence Sarkozy. Le passage des discours à un programme d’actions n’est jamais venu.

Les attentats de janvier 2015 ont-ils eu un impact ?

Ils ont accéléré le retrait de la mobilisation. La Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme
et l’antisémitisme a récupéré des ­budgets destinés à la lutte contre les discriminations pour les interventions contre la radicalisation.

Comment expliquer cette politique ?

Le blocage est lié à la nature des discriminations raciales. Reconnaître les ­différences d’origine heurte la stratégie républicaine qui recherche, au nom de l’égalité, l’invisibilité des minorités. Pour les pouvoirs publics, il semble plus dangereux d’agir contre les discriminations raciales que de les laisser  en l’état. Et les minorités ne disposent d’aucun relais dans les partis ou au sommet de l’État pour impulser un changement. Or, pour s’attaquer à ces discriminations, il faut reconnaître leur caractère systémique, ne pas les ­cantonner à des individus qu’il faudrait éduquer à l’antiracisme. Pour cela, on a besoin d’identifier les populations victimes et de construire des statistiques.

Ces statistiques divisent même les militants antidiscrimination…

Elles sont assimilées à la discrimination positive et aux quotas. Il faut sortir de cette confusion. Il peut y avoir des actions positives ne relevant pas des quotas. Ces statistiques permettraient un état des lieux indispensable. ­Comment lutter sinon ? Les entreprises ­signataires de la Charte de la diversité sont confrontées à cette difficulté. Elles-mêmes reconnaissent que, faute de données, les progrès sont indétectables. Les partenaires sociaux l’ont aussi éprouvé. Si l’accord national interprofessionnel « relatif à la diversité dans l’entreprise » de 2006 est resté peu appliqué, c’est parce que les entreprises ne disposaient d’aucun élément sur les carrières des employés selon leur origine.

Auteur

  • Anne Fairise