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Les réseaux de femmes ont la cote

Liaisons Sociales Magazine | Mobilités | publié le : 06.12.2016 | Lucie Tanneau

Lieux d’échange et accélérateurs de carrière, les réseaux féminins se développent en France. Dans les univers masculins surtout, ils aident les femmes à en comprendre les codes. Et pèsent sur les stéréotypes.

Ingénieurs, scientifiques et même cadres en général… Autant de milieux professionnels où les femmes restent minoritaires. Pour se soutenir et franchir les barrières, elles sont de plus en plus à rejoindre des réseaux 100 % féminins. « Je suis seule parmi 20 hommes dans mon équipe », raconte Ludwine Probst, développeuse informatique et animatrice parisienne des Ladies of Code, un réseau international de codeuses. « Je trouvais ça sympa de rencontrer des filles comme moi. » Et surtout de discuter du travail, des promotions, des voies d’ascension. « Quand j’ai commencé ma carrière, presque tous les ingénieurs étaient des hommes. Il y avait des calendriers de femmes dénudées aux murs, ça m’est arrivé d’avoir des sifflets, des remarques sexistes… Je me sentais une ingénieure comme les autres, mais j’étais décontenancée par le monde du travail, alors j’ai eu besoin d’échanger avec des femmes qui vivaient la même chose », raconte de son côté Aline Aubertin, présidente des Femmes ingénieurs, qui regroupe des professionnelles issues du même cursus.

Pour les femmes, moins habituées – ou moins disponibles – à réseauter que leurs homologues masculins, « rejoindre un groupe professionnel féminin est plus facile, elles se sentent moins jugées », analyse Emmanuelle Gagliardi, coauteure du Guide des clubs et réseaux au féminin (éd. du Cherche Midi). Elle en recense 500 en France, des réseaux d’anciennes élèves (Grandes écoles au féminin, par exemple), géographiques (Créez comme elles, à Troyes), par secteurs (Women and Vehicles in Europe, Femmes de vin), par professions (Femmes chefs d’entreprises) ou plus transversaux entre cadres ou entrepreneuses. De nombreux groupes existent aussi au sein des entreprises (Bouygt’elles, SNCF au féminin). Avec 20 ou 500 femmes, ils fonctionnent, tous, selon la même mécanique : être avant tout un outil d’échange et de formation. Prendre la parole en public, demander une augmentation, candidater à un poste à responsabilité… « Cette étape pousse les femmes à prendre leur place dans l’entreprise, sans culpabiliser », analyse Emmanuelle Gagliardi.

« On a monté le groupe pour avoir un lieu où poser nos questions », raconte Hélène Beaugrand, des Fa’bulleuses de Champagne, qui rassemblent sept vigneronnes de l’appellation. « Le milieu du vin est très dur pour les femmes. Nos frères s’intègrent naturellement, nous, on doit faire nos preuves. » Les Fa’bulleuses ont commencé en étant un simple réseau de conseil et de soutien. Depuis, elles ont avancé et ont sorti un coffret avec leur production. « On n’est pas concurrentes, on progresse ensemble ! » scande Hélène Beaugrand. Pour beaucoup, les réseaux ouvrent ainsi des opportunités. « Certains postes restent réservés aux hommes parce que les femmes n’osent pas s’y positionner. Le réseau permet d’y penser, de rencontrer des gens d’autres secteurs, d’avoir des idées pour faire évoluer sa carrière », apprécie Mériam Chebré, membre du Total Women’s Initiative for Communication and Exchange (Twice).

Changer les mentalités

Mais l’action ne se limite pas aux seules membres. Avec les femmes ingénieures, Aline Aubertin promeut les filières scientifiques. « Depuis que nous sommes intervenues dans un lycée de Mantes-la-Jolie, davantage de filles osent demander à aller en première S », croit savoir la présidente. La proportion de filles en écoles d’ingénieurs augmente aussi de 0,5 à 1 % par an. « Ce n’est pas suffisant, mais si nous y avons contribué, c’est bien. » « Dans l’informatique, il y a 10 % de filles, mais seulement 3 à 4 % de speakerines [conférencières spécialisées] : les filles s’entraînent chez nous pour être prêtes à le faire ailleurs », encourage aussi Ludwine Probst, de Ladies of Code. Un tremplin dont il est difficile d’évaluer l’efficacité au quotidien, même si, en entreprise, les avancées obtenues par ces femmes sont réelles. Et profitent à tous. Le réseau Women@ Renault a par exemple participé à la création de deux crèches au Technocentre et a milité pour l’interdiction des réunions après 18 heures. Le réseau Women Engaged for PSA a participé à la réflexion qui a mené à un accord sur le télétravail. « Il y a cinq ans, cela paraissait bizarre à beaucoup de monde. Aujourd’hui une majorité de salariés peuvent travailler de chez eux deux jours par semaine », explique Anne-Laure Charpenet, la présidente depuis janvier 2016. Les entreprises savent d’ailleurs mettre à profit ces réseaux. « Pour notre président, Carlos Tavares, le réseau doit faire avancer le business : il a donc demandé à ce que l’on mette en place un women perspective panel, afin que les femmes donnent leur avis sur les nouveaux véhicules », poursuit-elle.

Bouger les lignes

« Beaucoup de femmes adhèrent à 40 ans, pour donner une nouvelle impulsion à leur carrière », constate Emmanuelle Gagliardi. « Quand on est une femme, qu’on a des enfants, qu’on travaille, on ne prend pas le temps », reconnaît Mériam Chebré (Twice), qui a attendu le départ de ses trois garçons pour s’y « intéresser ». Aujourd’hui, elle anime le réseau Elles bougent-Rhône-Alpes. « Je lutte contre mes propres stéréotypes… On est engagées pour l’égalité des droits, mais je ne le claironne pas : je ne veux pas être étiquetée comme féministe. » Elle pointe le risque des réseaux féminins, un entre-soi confortable. Pour avancer, ces associations essaient de s’ouvrir aux hommes. « Mais cela reste difficile quand on s’appelle Women quelque chose », met en garde Emmanuelle Gagliardi. Qui tempère l’urgence d’une ouverture rapide : « Il faut un temps pour les hommes, un temps pour les femmes et un temps mixte. Sinon, c’est comme en grammaire, le masculin l’emporte. » De fait, peu de réseaux féminins s’ouvrent encore aux hommes. Même si cela peut servir à mieux appréhender les codes masculins.

Avant tout, selon Anne-Laure Charpenet, membre des anciennes des Grandes écoles, « le réseau permet de comprendre beaucoup de choses sur soi. Les femmes sont confrontées à des freins, mais certaines ne le mesurent pas ». Comme le fameux plafond de verre. Alors que les postes de DRH ou de managers sont encore trustés par les hommes, les femmes s’entraident pour comprendre plus finement leur propre réalité au sein du monde du travail. Et, si possible, faire bouger les lignes. C’est pourquoi les réseaux se fédèrent, y compris avec des réseaux mixtes, pour devenir des lobbies. Sur la parité en entreprise, l’égalité salariale… « La réapparition du ministère des Droits des femmes nous a aidés à travailler ensemble, c’est comme cela qu’est née la campagne nationale #SexismePasNotreGenre en octobre 2016. Cela ne va pas assez vite, mais les choses bougent », assure Aline Aubertin. En partie grâce à la mobilisation de ces réseaux de femmes.

Auteur

  • Lucie Tanneau