logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Les missions locales sous pression

Liaisons Sociales Magazine | Mobilités | publié le : 15.12.2016 | Alexia Eychenne

Image

Emplois d’avenir, garantie jeunes, conseil en évolution professionnelle… Les missions locales sont devenues un acteur phare de la politique du gouvernement en direction des jeunes. Un mandat difficile à assumer pour leurs finances comme pour leurs salariés.

Alors que les parlementaires achèvent l’examen du projet de loi de finances 2017, les missions locales peuvent souffler : leur budget devrait obtenir une rallonge de 91 millions d’euros l’an prochain, comme promis par le ministère du Travail. « Nos demandes semblent avoir été entendues », glisse, prudent, Serge Kroichvili, délégué général de l’Union nationale des missions locales (UNML), qui représente 90 % des employeurs du secteur. Son réseau sonne l’alerte depuis près d’un an. Les quelque 450 associations au service de l’insertion des 16-25 ans sont sollicitées à l’extrême depuis 2012. Le gouvernement compte sur elles pour déployer ses dispositifs en faveur de l’emploi des jeunes : emplois d’avenir, conseil en évolution professionnelle (CEP) et surtout garantie jeunes. Un hommage à leur expertise… mais un défi difficile à relever, à l’heure où plusieurs sources de financement se tarissent.

« En deux ans, nous avons perdu autour de 60 millions d’euros », estime Serge Kroichvili. La fin de l’ANI jeunes, financé par les partenaires sociaux, s’est soldée par 30 millions d’euros en moins. Les crédits d’accompagnement des emplois d’avenir ont baissé de 45 millions d’euros en 2014 à 25 millions deux ans plus tard. S’y ajoute un coup de frein sur les subventions des collectivités, qui procurent aux missions locales 40 % de leurs ressources. En février, le département de l’Isère les a réduites de moitié et ne les accorde plus qu’aux associations qui remportent des appels à projets. En mai, le Gard a coupé les financements qui rémunéraient cinq contrats de psychologues et d’assistants sociaux : ils vont disparaître ou passer à mi-temps. La Drôme et le Val-d’Oise ont aussi mis un terme à leurs dépenses, au motif que le financement des missions locales n’était pas obligatoire pour les conseils départementaux. La crainte de l’UNML : que des communes ou des régions, en plein chantier depuis leur fusion, suivent leur exemple.

Couacs en série

Le gouvernement attend pourtant des résultats rapides dans la lutte contre le chômage des jeunes. Plus de 250 000 emplois d’avenir ont été signés depuis 2012 sous le regard impatient de l’État. « Les missions locales possédaient déjà des cellules emploi et un partenariat avec Pôle emploi qui a permis de mobiliser les employeurs, note Serge Kroichvili. La principale difficulté a été de faire face à la pression des préfets. Ils ne comprenaient pas qu’on ne crée pas de l’emploi en claquant des doigts. » Un problème décuplé avec la garantie jeunes. Après une phase d’expérimentation, le dispositif destiné aux « Neet » – ces jeunes ni en emploi, ni à l’école, ni en formation – les plus en difficulté a été étendu à 91 départements. Il sera généralisé le 1er janvier 2017 pour atteindre jusqu’à 150 000 bénéficiaires.

Audacieux, pour ne pas dire téméraire, car les couacs se multiplient sur le terrain. Avec 25 000 usagers accueillis chaque année, la mission locale de Marseille, répartie sur cinq antennes, a été l’une des premières sollicitées pour expérimenter la garantie jeunes en 2014. « C’est un programme intéressant, fondé sur un coaching intensif, une approche collective et un travail sur les compétences clés », se félicite sa directrice, Brigitte Cavallaro. Dès la première année, l’État lui demande d’en faire profiter 1 200 jeunes. Un seuil « inatteignable », selon la direction et les syndicats, compte tenu de la précarité du public. Certains jeunes ont rompu avec leur famille et sont sans domicile. D’autres sortent de prison ou souffrent d’addictions. Finalement, 870 d’entre eux ont intégré le programme en 2014, 920 en 2015. Un peu plus d’un tiers en est sorti avec un emploi ou une formation.

Gouffre financier

Un bilan « très positif » en termes d’insertion, assure la direction. Mais un gouffre financier pour l’association. Pour coller au cahier des charges qui impose un suivi collectif, la mission locale a dû louer 1 500 mètres carrés au pied de la gare Saint-Charles. Coût du loyer : 250 000 euros. Or la subvention promise de 1 600 euros par an et par jeune s’est vite avérée théorique. Depuis 2015, la garantie jeunes est cofinancée par le Fonds social européen (FSE) ; 70 % de la somme parvient à la mission locale lorsque le suivi commence, les 30 % restants ne sont débloqués qu’en cas de réussite, soit pour une minorité de bénéficiaires. « Je suis favorable à cette logique de résultat, commente Brigitte Cavallaro, mais certaines contraintes administratives sont déconnectées de la réalité du terrain. Pour toucher l’intégralité de la subvention, il faut que les jeunes soient en emploi ou en formation qualifiante à la date anniversaire de leur entrée dans le dispositif. Ou encore qu’ils aient cumulé quatre-vingts jours en activité. Comment fait-on pour ceux qui vont signer un contrat dans les jours suivants ? »

Faute d’obtenir les sommes escomptées, la mission locale de Marseille a enregistré en 2015 un déficit de 500 000 euros sur la garantie jeunes. « C’est moins de 1 % de notre budget, insiste Brigitte Cavallaro, mais c’est la première fois depuis 2009 que nous n’avons pas un budget à l’équilibre. » La demande à l’État d’un coup de pouce exceptionnel reste pour l’heure lettre morte.

Livre blanc

Les caisses des missions locales ne sont pas les seules à souffrir : les conseillers aussi tirent la langue. Certes, les associations ont embauché pour absorber la surcharge de travail liée à la garantie jeunes. Le comité scientifique d’évaluation du dispositif évoque 15 à 20 % de hausse des effectifs (1 600 à 2 200 salariés pour l’ensemble du réseau). Mais les spécificités du programme, dont l’accompagnement collectif de six semaines, épuisent nombre de salariés. « Gérer des groupes, c’est compliqué, d’autant plus avec un public éloigné de tout, qui a perdu l’habitude de venir chez nous », avance Jean-Michel Mourouvin, secrétaire général du Synami CFDT. Son syndicat a publié le 7 novembre un Livre blanc sur la garantie jeunes. Des conseillers y témoignent de violences verbales, de comportements irrespectueux. Ils se plaignent de devoir jouer les gendarmes avec les jeunes, dont ils doivent contrôler l’assiduité. « Il arrive que ça “clashe”, confirme Jean-Philippe Revel, délégué syndical CGT à la mission locale de Paris. Les collègues les moins expérimentés lâchent prise. »

Pour ne rien arranger, le soutien financier du FSE va de pair avec un niveau de paperasse inédit lors de la constitution des dossiers et dans leur suivi. Une charge sous-évaluée au lancement du dispositif. « C’est kafkaïen ! » protestent d’une même voix les syndicats. « Il faut parfois plusieurs mois avant que le jeune puisse être accompagné », décrit Jean-Philippe Revel. Ceux qui connaissent des problèmes de famille ou de logement peinent à fournir une attestation de résidence ou l’avis d’imposition des parents. Les conseillers doivent ensuite remplir avec eux neuf « fiches de progression », les scanner, puis les répertorier dans un système informatique dédié. Chaque passage des jeunes en entreprise vire aussi au cauchemar, entre la collecte des conventions, des plannings et des bilans. Le tout dans la peur d’un contrôle du FSE. Après enquête auprès de ses membres, l’UNML estime que ces lourdeurs occupent la moitié du temps des conseillers.

Besoin de cohésion

Le malaise n’est pas loin. À la mission locale de Marseille, plusieurs salariés ont jeté l’éponge sur la trentaine embauchée depuis 2013. « Il y a eu au moins trois burn out et quatre démissions. D’autres ont refusé le renouvellement de leur contrat, dénombre Djoudi Taguelmint, délégué syndical CGT. La pression du quantitatif et du reporting, au détriment de l’accompagnement, contribue à la perte du sens au travail. » Le Livre blanc du Synami CFDT reflète ce désarroi. Si 56 % des salariés chargés de la garantie jeunes affirment s’épanouir dans leur métier, 73 % témoignent d’une « pression très importante », 68 % rapportent que leur travail « [les] fatigue de plus en plus » et 34 % « [craquent] de plus en plus souvent ».

« Dans certaines missions locales, ça se passe super bien. Dans d’autres, c’est la catastrophe, commente Jean-Michel Mourouvin. Cela fonctionne quand tous les salariés sont associés au projet et interviennent à tour de rôle auprès des jeunes. Ça permet aux conseillers référents de souffler. Il faut faire de la garantie jeunes un projet de structure. » Salarié d’une mission locale de Mantes-la-Jolie (Yvelines), Daniel Dugoua s’estime chanceux : « Notre direction nous protège de la pression du chiffre et des problèmes financiers. Elle insiste encore sur l’importance d’écouter et de conseiller les jeunes, plutôt que de passer son temps à analyser des tableaux de bord. » C’est cette cohésion qui a permis à l’équipe de résister aux objectifs soufflés par l’État, avec le soutien du conseil d’administration, et de réorganiser les horaires de présence des jeunes au fil des semaines pour mieux coller à leur capacité d’attention.

Pôle emploi sans moyens ?

Plus largement, les missions locales s’interrogent sur leur identité et leur devenir. Après les emplois d’avenir et la garantie jeunes, le CEP, mis en œuvre en 2014, conforte les associations dans leur rôle d’opératrices des politiques de l’emploi. Et même si, pour l’heure, seule une poignée de candidats s’est manifestée, ce virage ne fait pas consensus parmi les conseillers. « Notre mission initiale était d’accompagner les jeunes à s’insérer dans toutes les dimensions de leur vie, pas seulement sur le volet professionnel, rappelle Pierre-André Knidel, négociateur de branche pour la CFTC de l’Insertion. Elle a été dévoyée ces dernières années. »

Délégué syndical CNT dans une mission locale de Nîmes (Gard), Paul* craint une évolution vers « un Pôle emploi des jeunes, sans les moyens qui vont avec ». « C’est contraire à l’approche pluridisciplinaire qui était notre raison d’être et se reflétait dans la diversité de nos financements », regrette-t-il. Que deviendront les missions locales si les emplois d’avenir, la garantie jeunes et les crédits qui leur sont attachés disparaissent ? L’approche de l’élection présidentielle et l’éventualité d’une alternance politique sont déjà dans tous les esprits.

* Le prénom a été modifié.

Auteur

  • Alexia Eychenne