logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Guerilla juridique face aux restructurations chez IBM

Liaisons Sociales Magazine | Mobilités | publié le : 02.09.2016 | Eric Béal

Image

Les syndicats d’IBM France se mobilisent contre le plan social et les externalisations annoncés par la direction. Deux requêtes vont être déposées pour demander la suspension du premier et un référé sera examiné par le TGI de Nanterre mi-septembre.  

Chez IBM France, le grand nettoyage continue. Depuis le début de l’année, les projets de réorganisation ou d’externalisation d’emplois s’enchaînent. « C'est simple, nous avons des plans sociaux tous les ans depuis 2013 », indique Pierry Poquet, délégué Unsa. Ce vendredi 2 septembre, le comité central d’entreprise (CCE) tiendra sa dernière séance consacrée au PSE annoncé en mars 2016. Mais les représentants du personnel ne se font pas d’illusion sur l’issue de la discussion. « Au départ, les mesures d’accompagnement proposées étaient inférieures à celles de l’accord GPEC signé en 2015. La Direccte a obligé l’entreprise à respecter sa signature mais cela reste en dessous de ce que permettraient les moyens du groupe », poursuit le syndicaliste.

Ce pessimisme se nourrit également de l’homologation du PSE par la Direccte d’Ile-de-France, la semaine dernière. « Cette décision a suscité une grande incompréhension. Personnellement, je suis persuadé que la Direccte a subi des pressions d'en haut. D'ailleurs, comment expliquer que le courrier accordant l’homologation n'ait pas été signé par la personne qui suivait l'affaire ? », s'interroge Mathieu Josien, délégué CFDT. « La direction semble très sûre d’obtenir toute satisfaction. Comme si on lui avait donné des assurances que le plan social allait passer », s’énerve de son côté Marc Grimault, le délégué CGT. Sollicité sur ce point, le ministère du Travail assure que la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) a pris en compte les critères habituels. "Les organisations syndicales ayant souhaité contester cette décision, laissons la justice faire son travail", commente un porte-parole.

Une intersyndicale inédite

Du côté d'IBM, la direction se contente de rappeler qu'une entreprise doit s'adapter aux évolutions du marché et précise que l'homologation de la Direccte a permis de lancer un appel aux départs volontaires pour éviter les licenciements secs. Ces explications n’empêchent pas les syndicalistes de faire preuve de combativité. « Nous avons constitué une intersyndicale (Unsa, CFE-CGC, CFDT, CGT, CFTC) immédiatement après l’annonce du PSE, note Franck Setruk (CFE-CGC). C’est une première chez IBM, où la rivalité entre syndicats était une tradition. Nous sommes en train de constituer un dossier avec l’aide de notre avocate, pour obtenir l’annulation du PSE. »

Ce que confirme Aline Chanu, l'avocate du CCE. « Nous allons déposer deux requêtes auprès du tribunal administratif de Cergy la semaine prochaine. La première est un référé « suspension », dans le but d’arrêter le processus du PSE en l’état. La seconde est un recours administratif pour excès de pouvoir, afin d’obtenir son annulation », précise-t-elle. L’avocate entend démontrer que les catégories de salariés touchées par les mesures de licenciement ne sont pas définies correctement. Ce qui biaise l’application des critères d’ordre des licenciements prévus par le code du travail.

Une catégorie de personnel illicite

Le projet de PSE porte en effet sur un service appelé GTS/IS, qui n’est pas une entité juridique. Résultat, les « chefs de projet GTS/IS » – la catégorie de personnel menacée – ne se distingueraient pas des chefs de projet travaillant dans d’autres services. Dans un contentieux de même nature, SAP France avait vu l’homologation de son PSE annulée par la cour administrative d’appel de Versailles en octobre 2015. Autre point litigieux dénoncé par les syndicalistes, les informations fournies à l'expert du CCE étaient incohérentes et ne permettaient pas aux élus de comprendre les objectifs de l'entreprise.

Enfin, les représentants du personnel ne digèrent pas l'insuffisance des efforts de reclassement au regard des moyens d'IBM France (91,5 millions d'euros de résultat en 2015) et de sa maison mère, IBM Corp. "L'entreprise ne présente pas de réel plan de reclassement interne, estime Maître Aline Chanu. Elle renvoit seulement à une base de données interne sur laquelle tous les postes disponibles dans le monde sont décrits. Mais n'importe qui peut y accéder et présenter sa candidature. Or selon la loi française, les postes libérés par des départs volontaires sont réservés en priorité aux salariés touchés par le PSE."

Des restructurations multiples

Pour l’intersyndicale, les projets présentés aux élus montrent que la direction souhaite diminuer ses effectifs pour externaliser les postes dans des pays à bas coûts salariaux (Europe de l’Est, Inde). Elle déploierait pour cela plusieurs stratégies. Comme le déménagement du service de vente à distance, IBM.com. Installés non loin d’Orléans, les salariés de cette activité sont sommés de rejoindre le siège situé à Bois-Colombes, au nord-ouest de Paris. Sans augmentation de salaire ni mesure pérenne pour diminuer la différence de coût de vie entre les deux régions. La moitié d’entre eux devraient opter pour le licenciement.

Autre projet, la filialisation de l'activité ISF Finance, destinée à être vendue à une holding néerlandaise. Ou encore la vente de l'entité Global administration, qui rassemble 102 secrétaires en France, à une filiale de Manpower créée pour l’occasion. Sous couvert de l’article L. 1224-1 du code du travail qui régente les transferts de salariés. « Mais cette interprétation de la loi n’est pas admissible, s’insurge Juliette Goldmann, l’avocate des salariées. Ce n’est pas une cession d’activité. Les secrétaires travaillent pour les managers IBM. Un contrat de services dégressifs lie Manpower et IBM pendant quatre ans, mais rien ne dit que l’entreprise de travail temporaire pourra continuer à les employer ensuite. » Pour l’avocate, il s’agit d’un PSE déguisé. Elle a déposé un référé « suspension » auprès du TGI de Nanterre, qui sera examiné le 14 septembre.

Une politique mondiale

La filiale française n’est pas la seule concernée par ces restructurations. « L’ensemble des filiales IBM d’Europe de l’Ouest ne semblent plus avoir leur place dans cette transformation mondiale, les emplois étant transférés massivement dans les pays à bas coûts salariaux », expliquent les syndicats dans un tract commun. Une politique qui ne date pas d’hier : les effectifs d’IBM France ont baissé de 63% en vingt ans. Seule différence, en 2016, des licenciements secs sont prévus pour la première fois dans l’histoire de entreprise.

Auteur

  • Eric Béal