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Faciliter les reconversions professionnelles : ce que propose l’Institut Montaigne

Emploi & mobilité | publié le : 23.02.2022 | Benjamin d'Alguerre

Franck Morel, ancien conseiller social de Matignon.

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L’Institut Montaigne vient de publier une note consacrée aux moyens de faciliter les reconversions professionnelles (en pièce-jointe, ci-dessous) sous la plume de Franck Morel, ancien conseiller social de Matignon à l’époque d’Édouard Philippe. CEP, CPF, "POE métiers menacés", transfert de crédit CPF entre individus… l’avocat associé chez Flichy-Grangé dresse seize pistes d’amélioration de la reconversion. Entretien.

Quels sont les enjeux actuels autour des reconversions professionnelles ?

Franck Morel : À l’heure où les entreprises sont confrontées à tant de besoins en recrutement non-satisfaits, ces enjeux sont aussi cruciaux que déterminants. Nous sommes engagés dans un processus schumpeterien qui voit des emplois être détruits au rythme où d’autres sont créés. Aujourd’hui, un actif sur deux envisage ou a engagé une reconversion, mais l’usage des moyens alloués à la formation professionnelle n'est pas à la hauteur des besoins. Il ne s’agit pas ici de proposer une énième augmentation des budgets de la formation, mais de mieux répartir et utiliser ceux qui existent, et notamment les moyens publics consacrés à la reconversion professionnelle que je chiffre à environ un milliard d’euros.

Beaucoup de vos propositions concernent une amélioration du conseil en évolution professionnelle (CEP). Selon vous, ce service ne fonctionne pas aujourd’hui ?

F. M. : Disons qu’il pourrait mieux fonctionner. Les propositions formulées dans la note de l’Institut Montaigne vont en tout cas dans le sens de son amélioration. On pourrait imaginer une grande campagne de communication nationale sur le CPF qui valoriserait le CEP à travers la plateforme Mon Compte Formation. Les partenaires sociaux dans leur ACNI du 14 octobre 2021 indiquaient qu’il fallait améliorer le lien entre usage du CPF et besoin du marché du travail. Ils y suggéraient aussi de mettre en place une expérimentation visant à soumettre l’achat de formations hors-RNCP à l’avis des opérateurs du conseil en évolution professionnelle. Expérimentons !

Si l’on veut favoriser les reconversions professionnelles, il faut que les fonds du CPF soient fléchés prioritairement vers les formations qualifiantes dont le marché du travail a le plus besoin et son usage encouragé par des personnes prioritaires, c'est-à-dire les moins qualifiées ou celles qui n’ont pas bénéficié de formation depuis au moins dix ans. Actuellement, les trois formations les plus achetées sur Mon Compte Formation sont le permis B, les langues étrangères et la création d’entreprise. Je propose qu’on puisse valider ces achats avec un système parallèle au CPF ayant un rapport direct à l’emploi.

Mais dans ce scénario, que devient le "P" de CPF si l’achat de formation se retrouve conditionné ?

F. M. : Il ne s’agit nullement de vouloir restreindre le principe du libre choix des usagers qui est une grande conquête de la loi de 2018, mais de réserver son usage à certaines typologies de formation.

Selon vous les personnes les moins qualifiées devraient bénéficier d’abondements supplémentaires à leur CPF pour accéder à la formation. Dans quelle mesure ?

F. M. : Il est effectivement nécessaire de modifier les arbitrages financiers des crédits du CPF pour permettre à ces personnes d’accéder à des formations leur permettant d’envisager des reconversions. Je n’ai pas voulu chiffrer ces réorientations budgétaires dans ma note, mais il est évident qu’il faut modifier les seuils de 500 ou 800 euros par an, le second étant très insuffisant, au profit de montants bien plus importants pour les moins qualifiés. Par ailleurs, je suis partisan de simplifier le CPF dans la fonction publique en appliquant la convertibilité en euro des heures des fonctionnaires pour permettre une plus grande fluidité dans les parcours de carrière en contrepartie de formations énumérées dans un parcours de reconversion professionnelle.

Vous proposez un dispositif original de transfert de crédits CPF entre individus. Ne craignez-vous pas que ce soit la porte ouverte à des tentatives de transactions douteuses autour du compte formation ?

F. M. : Le système dont je parle permettrait à des individus très qualifiés donc peu demandeurs de formation de céder une partie des crédits de leur compte formation à des personnes moins avantagées. Il ne s’agit surtout pas d’entrer dans une logique mercantile !

Vous appelez également à la mise en place d’un "amortissement fiscal" pour l’investissement dans les formations longues. Comment pourrait-il se traduire ?

F. M. : En 2020, l’autorité des normes comptables (ANC) a publié un règlement relatif à la comptabilisation des frais de formation qui prévoit que "les frais externes afférents à des formations nécessaires à la mise en service d’une immobilisation corporelle ou incorporelle acquise peuvent, sur option, être rattachés au coût d’acquisition de cette immobilisation ou comptabilisés en charges". C’est un début mais c’est trop restrictif. Il existe des situations où l’achat de formations longue durée doit être considéré comme un investissement de l’entreprise susceptible d’être amorti. Dans l’état actuel des règles comptables, c’est difficile. C’est pourquoi je propose d’adapter les textes fiscaux afin de permettre cet amortissement même lorsque ce n’est pas possible comptablement. Certaines dépenses de formations lourdes qui ont un impact important sur l’emploi et devront donner lieu à une nouvelle formation dans quelques années, après "obsolescence" des compétences acquises. La liste de ces formations pourrait être fixée en lien avec les professionnels de la formation et des secteurs d’activité, branche par branche. C’est selon moi une proposition qui pourrait se traduire par un effet de levier pour le développement de la formation. Un autre effet de levier possible serait la signature de nouveaux Engagements de développement des emplois et des compétences (Edec) après avoir procédé au bilan de ceux conclus ces dix dernières années. Ces nouveaux Edec, qui pourraient être négociés au niveau des bassins d’emploi, comporteraient en particulier la levée de moyens financiers supplémentaires par les acteurs et la mise en œuvre d’un processus visant à favoriser la GPEC et les reconversions professionnelles à l’échelle notamment territoriale.

Cela ne risquerait-il pas de concurrencer le dispositif des Transitions collectives (TransCo) imaginé par les partenaires sociaux ?

F. M. : Je vois plutôt ces Edec comme un complément de TransCo. Aujourd’hui, ce dispositif marche mal. Il a d’ailleurs déjà été modifié plusieurs fois pour être amélioré, mais il fonctionne encore peu car trop complexe à mettre en œuvre, notamment parce qu’il obligeait le salarié à démissionner en fin de parcours. Je suggère une refondation de TransCo sous forme d’un dispositif de reconversion professionnelle auquel les individus pourraient accéder selon trois clés d’entrées (alternatives ou cumulatives). Primo : si leur emploi est menacé à terme ; secundo : s’ils se font embaucher par une entreprise qui choisit de les former pour les doter des compétences dont elle a besoin ; tertio : si le salarié lui-même ressent le besoin d’évoluer dans son métier. Ce dispositif "chapeau" s’accompagnerait en outre de la création d’un nouveau type de préparation opérationnelle à l’emploi (POE) dédiée spécifiquement aux emplois en danger. Une "POE emplois menacés" (que je proposais par l'intermédiaire de l’Institut Montaigne déjà en septembre 2020) qui pourrait être à la main de l’entreprise et mobiliser des crédits du FNE-Formation, des RCC ou du congé de mobilité, ou du salarié qui pourrait y consacrer son CPF voire mobiliser le PTP (projet de transition professionnelle, ex-"CPF de transition") à cette fin.

Votre note évoque également une "GPEC de la Nation". Quelle forme prendrait-elle et qui en serait le pilote ?

F. M. : Cette "GPEC de la Nation" ne serait pas une simple "GPEC des pouvoirs publics" mais engagerait tout le monde : acteurs économiques, entreprises, branches et citoyens. L’objectif de la démarche serait d’identifier les besoins en emploi futurs à une échéance de quelques années et à les placer en regard des capacités de notre appareil de formation afin de le mettre en situation de pouvoir y répondre. Qui doit piloter ce dispositif ? Pour l’instant, la question est posée. Il pourrait s’agir de France Compétences, par exemple. En tout cas, le futur organisme pilote devra disposer de liens étroits avec tous les acteurs susceptibles de produire de la donnée : observatoires de branches, INSEE, Dares, etc. Cette « GPEC nationale » aurait bien sûr vocation à être déclinée au plan local et prendrait une dimension de plus en plus opérationnelle au fur et à mesure qu’elle se rapprocherait du terrain.

 

 

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  • Benjamin d'Alguerre