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Ésat et entreprises adaptées se professionnalisent

Liaisons Sociales Magazine | Mobilités | publié le : 19.11.2015 | Clotilde de Gastines

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Plus qualifiées, plus tertiaires, les activités du secteur protégé et adapté ont nettement évolué en dix ans. Et s’inscrivent davantage dans une logique de marché.

Dix ans après la réforme de 2005, le secteur du travail protégé et adapté est entré dans une nouvelle logique, entrepreneuriale. Désormais soumises aux obligations réglementaires classiques, les entreprises adaptées (ex-« ateliers protégés ») ont basculé dans le milieu ordinaire. Quant aux établissements et services d’aide par le travail (Ésat), encore connus sous leur ancienne appellation de « centres d’aide par le travail », ils sont contraints de revoir leur mode de fonctionnement.

Subies ou choisies, les mutations sont accélérées par l’évolution des métiers ainsi que les exigences des tutelles et des donneurs d’ordre. Pour Michel Coudrey, directeur de l’Ésat et de l’EA de l'Apei du Grand Montpellier, les 700 entreprises adaptées (EA) de l’Hexagone s’inscrivent déjà dans « une logique économique de marché ». Et les 1 349 Ésat suivent le mouvement. « Cette réalité est parfois mal vécue, alors qu’on peut très bien s’approprier les techniques des entreprises et les adapter au secteur médico-social », estime-t-il. Le dirigeant anime ainsi, en binôme avec la directrice du service achat d’Electrolux France, des formations en marketing et stratégie au sein du réseau Andicat, qui regroupe les directeurs d’Ésat. « Les EA jouent le rôle de locomotives, les Ésat sont les wagons », résume Patrice Fouquet, directeur d’une structure double EA-Ésat, Association Vallée de l’Hérault.

Les métiers changent avec la tertiarisation de l’économie. Les prestations de services et de travaux administratifs représentent aujourd’hui la majorité des activités des EA, devant les espaces verts et l’entretien-nettoyage, selon le rapport de l’Union ­nationale des entreprises adaptées (Unea) ­remis le 19 septembre à la ministre du Travail, Myriam El Khomri. Ces prestations sont multiples : centres d’appel, développement informatique, routage de bulletins de salaire, gestion de la paie, voire éta­blissement de la déclaration d’emploi de travailleurs handicapés obligatoire pour toute entreprise de plus de 20 salariés depuis 2005 ! « Tous les petits travaux occupationnels, c’est fini. D’autant que ce n’est pas épanouissant pour les personnes handicapées », insiste Michel Coudrey.

Professionnalisation

Air France, PSA, Orange, la SNCF ou Thales ont beau toujours figurer aux premiers rangs des donneurs d’ordre, la sous-traitance industrielle n’est plus une activité phare. Les tâches à faible valeur ajoutée ont été délocalisées, obligeant les établissements à se reconvertir dans des niches industrielles non délocalisables ou à saisir des opportunités offertes par le numérique. Asnières Industries adaptées (AIA) a abandonné la fabrication de faisceaux électriques destinés à l’industrie automobile pour devenir une blanchisserie industrielle qui traite le linge de compagnies aériennes comme Air France ou Qatar Airways. Atout fort : son implantation à trente minutes de l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle.

La valorisation des circuits courts a aussi payé pour l’Association Vallée de l’Hérault (AVH), située à Paulhan, à côté de l’usine du groupe Altrad. Le leader du matériel de bâtiment a relocalisé la fabrication de planchers d’échafaudage chez son voisin, car les malfaçons de son sous-traitant chinois étaient trop importantes. AVH fait recette sur cette niche et sur les « plateaux Samia », des planchers ultrarésistants pour salles de spectacle. « Dans l’industrie, il faut aussi aller chercher des normes », indique Patrice Fouquet, le directeur. EA et Ésat multiplient donc les efforts de certification en matière de qualité, de sécurité et d’environnement pour peser dans leurs négociations avec les services achat.

Cet effort de professionnalisation porte ses fruits. En dix ans, les liens se sont renforcés avec les entreprises classiques. En 2010, 68 % des établissements soumis à l’obligation d’emploi avaient recours à la sous-traitance ou à la prestation de service, contre 26 % en 2006, selon le baromètre d’Humanis. Il faut dire que faire appel à un Ésat ou une EA permet de réduire de moitié la contribution à l’Agefiph pour le privé ou au Fiphfp pour le public, ce qui change nettement la prédisposition des services achat !

Encore faut-il structurer des réseaux efficaces. « Le secteur de la prestation de services est très atomisé sur les prix, ce qui a le don d’énerver les acheteurs et les RH », explique Emmanuel Chansou, ancien directeur du Gesat, à l’origine de la création d’un portail Web qui met en relation acheteurs et prestataires. Forte de 700 adhérents EA-Ésat et 94 partenaires grands comptes ou collectivités publiques, la structure propose des conseillers, experts et juristes pour « professionnaliser l’offre au bon rapport qualité/prix, aider à la contractualisation ». Béatrice Amsellem, sa nouvelle directrice, encourage aussi la cotraitance et les groupements momentanés d’entreprises.

Les possibilités de développement sont importantes, surtout dans le numérique. « On n’est qu’à l’aube des transformations qui nous permettront de remplir pleinement notre mission sociale : la montée en compétence des travailleurs handicapés », note Sylvain Couthier, directeur d’ATF Gaia. Dans cette EA, 53 salariés handicapés donnent une seconde vie à du matériel informatique et assurent un service technique chez le client ou dans ses locaux de Moissy-Cramayel (Seine-et-Marne). « Aujourd’hui, on nous sollicite pour des activités plus intellectuelles de développement hardware. Nous serons opérationnels d’ici quelques mois », poursuit-il. Cette orientation client très forte doit permettre d’assurer la rentabilité. Sinon, prévient-il, « on dépose le bilan ».

Budgets à contrôler

Dans le monde des Ésat, certaines associations bénéficient de l’impulsion de leur section EA ou de directeurs innovants. Mais d’autres se cantonnent encore à des activités traditionnelles peu performantes : fabrication de palettes, archivage, conditionnement, mise sous film, mise en boîte. « Ces structures pâtissent souvent d’une implantation en lointaine périphérie ou en zone rurale », observe Wenceslas Baudrillart, directeur d’AIA et ancien conseiller ministériel. Il rappelle qu’à une époque encore récente, le handicap était tabou. « Les enfants handicapés n’étaient pas scolarisés et leurs parents les envoyaient loin des regards. » Certains acteurs tirent néanmoins leur épingle du jeu. Tel Le Clos du nid à Marvejols, premier employeur de Lozère avec 1 000 employés au sein d’une grosse EA et de trois Ésat.

Les autorités de tutelle poussent également le secteur à se professionnaliser et à mutualiser ses moyens, notamment en passant par des appels à projet. Alors qu’EA et Ésat sont souvent liés, les deux structures dépendent, d’un côté, du ministère du Travail, de l’autre, des Affaires sociales. Elles n’ont pas les mêmes obligations, notamment en matière de justification de dépenses. Vu les sommes en jeu, certains directeurs d’EA ne mâchent pas leurs mots sur la nécessité de contrôler davantage le budget des Ésat. Les uns pointent le gâchis d’argent public, quand d’autres évoquent l’enrichissement d’associations qui thésaurisent l’excédent de leur budget sanitaire, par exemple dans l’immobilier.

Les montants, il est vrai, sont conséquents. En 2014, le ministère des Affaires sociales
a versé 1,468 milliard d’euros pour le fonctionnement des Ésat et 1,277 milliard pour la garantie de rémunération de ses usagers (GRTH). Soit un prix de revient annuel de 11 800 euros par place. Le ministère du Travail, lui, a financé la même année 21 500 aides au poste dans les EA, pour un montant de 16 000 euros par an. Un soutien qui n’est plus automatique depuis 2005 : les aides, réservées à des postes occupés en CDI ou CDD de plus de six mois, sont soumises chaque année à l’approbation des Direccte.

Au bout de la chaîne, les travailleurs handicapés des Ésat et EA touchent 70 à 80 % du smic.
Selon un directeur d’EA, « les agences régionales de santé (ARS) devraient aider seulement les Ésat qui ont une bonne gestion ». Et revenir sur le terrain pour vérifier l’utilisation réelle des dotations. Or, selon Patrice Fouquet, « les administrations ne se déplacent plus ou peu ». Lui saisit donc toutes les occasions pour interpeller ses interlocuteurs : l’ARS pour son Ésat, la Direccte pour l’EA. D’après Emmanuel Chansou, les directeurs d’entreprise adaptée sont même des « piliers » sur lesquels les tutelles devraient s’appuyer pour réformer le secteur.

Auteur

  • Clotilde de Gastines