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Des “territoires zéro chômeur de longue durée“ bientôt devant les députés

Entreprise & Carrières | Mobilités | publié le : 16.11.2015 | Stéphanie Maurice

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La commune de Pipriac (35) fait partie des collectivités pilotes sur le projet

Crédit photo DR

À la fin du mois, l’Assemblée nationale examinera un texte permettant
des expérimentations locales de création de CDI fondées sur la réaffectation de ressources consacrées à la perte d’emploi. Le CESE vient de rendre un avis sur ce dispositif.

Un territoire zéro chômeur de longue durée ? « C’est une utopie réaliste », affirme le rapporteur de la proposition de loi qui vise cet objectif, Laurent Grandguillaume, député PS de Côte-d’Or. L’idée au cœur du texte, soumis à première lecture à l’Assemblée nationale le 25 novembre, tient a priori du bon sens : « Beaucoup d’argent est dépensé pour subvenir aux difficultés de la privation d’emploi. Il vaudrait mieux l’utiliser pour créer des emplois », résume Patrick Valentin, responsable du réseau emploi-formation d’ATD Quart Monde, l’association initiatrice du projet.

À une échelle réduite, qui est celle du territoire, en partant des compétences réelles des demandeurs d’emploi, mises en adéquation avec les besoins de l’économie locale. « Il y a quantité de services utiles qui ne sont pas remplis, car ils ne sont pas assez rentables, explique-t-il. C’est par exemple le boulanger d’une commune rurale, dont la moitié de la clientèle habite dans la campagne et ne vient pas tous les jours chercher du pain frais, parce que c’est loin. S’il embauchait un chauffeur et montait une tournée, il rendrait service et vendrait plus de pain, mais c’est trop cher pour lui. » Un financement public viendrait alors compenser la faible rentabilité de cette activité, en contrepartie de la signature d’un CDI au profit d’un chômeur de longue durée. Et ceci à budget constant, s’agissant de réaffecter les coûts directs et indirects d’une perte d’emploi : RSA ; dépenses de soins ; aide alimentaire ; manque à gagner sur les cotisations sociales non versées, etc. ATD Quart Monde évalue l’ensemble de ces coûts à 15 242 euros par an et par personne.

Une embauche au Smic à plein temps. « L’expérience de l’insertion par l’activité économique montre qu’avec une telle somme, il est possible d’embaucher toute personne au smic à plein temps, le reste du coût de l’emploi étant assuré par la production réalisée », précise la note de présentation d’ATD Quart Monde publiée sur le sujet. De fait, un CDI chargé, au smic, avec coût de structure inclus, est estimé entre 25 000 et 30 000 euros.

Ce vieux rêve d’ATD Quart Monde, l’association l’a déjà testé en 1995 à Seiches-sur-le-Loir, près d’Angers. Mais le préfet avait sifflé la fin de la partie : « Le mécanisme financier de report des dépenses était illégal, selon lui. Il nous manquait alors la fameuse possibilité d’expérimentation », soupire Patrick Valentin. Il a fallu attendre la loi organique du 1er août 2003, qui ouvre le droit à l’expérimentation. L’association a alors pris son bâton de pèlerin et rencontré élus, syndicats, organisations patronales, hauts fonctionnaires… Ce lobbying a payé : c’est ainsi que sont nées les premières expérimentations*, avec des élus motivés et volontaires, qui ont devancé la proposition de loi aujourd’hui soutenue par l’exécutif.

Responsable du projet en Ille-et-Vilaine, sur deux communes associées, Pipriac, 3 700 habitants, et Saint-Ganton, 450 habitants, Denis Prost souligne : « Nous n’avons pas voulu partir sur une trop grande échelle, car il fallait vérifier que les acteurs économiques locaux étaient suffisamment ouverts à l’expérimentation. Elle se fait obligatoirement en lien étroit avec eux : il y a nécessité d’un territoire mobilisé. »

Volontariat. Ensuite est venue l’étape de la rencontre avec les chômeurs repérés en s’appuyant sur le réseau associatif local. Car il s’agit de les connaître, pour leur trouver des emplois qui leur correspondent, et aussi vérifier qu’ils souhaitent s’engager dans la démarche, conçue sur la base du volontariat.
Troisième phase : lister les travaux potentiels, de la coupe des haies à la collecte de cartons. « Nous devons maintenant réfléchir à ceux qui nous permettent de créer des emplois semi-rentables et pérennes, avec une facturation raisonnable pour que ces services soient achetés », précise Denis Prost. La proposition de loi prévoit que les salariés seront embauchés par des entreprises à but d’emploi, conventionnées par un fonds national spécifique notamment alimenté par l’allocation de retour à l’emploi (ARE). Leur poste sera financé à hauteur de 17 500 euros par an.

Ce processus, qui part du terrain, est une innovation, souligne Laurent Grandguillaume. Il ne s’agit pas d’un dispositif national venu d’en haut, où les personnes concernées doivent entrer dans les conditions prescrites. C’est aussi ce qui intéresse Patrick Lenancker, du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui a donné, le 10 novembre, un avis positif sur cette expérimentation. « C’est un mouvement partenarial à l’échelle d’un territoire, qui réunit élus locaux, entreprises et habitants : on fait avec les demandeurs d’emploi, et non pour eux. Ils sont considérés comme des acteurs à part entière. »

Le point noir de l’expérimentation reste son financement, ce qu’a pointé le CESE. « L’ARE, par exemple, n’est pas mobilisable en tant que telle, puisqu’il s’agit d’un système assurantiel, note Patrick Lenancker. Par contre, les départements nous disent qu’il est possible de réallouer le RSA. » Patrick Valentin le reconnaît : « Notre réponse a été le choix du mode expérimental : la proposition de loi ne concerne d’abord que dix petits territoires de 5 000 à 10 000 habitants, explique-t-il. Nous allons calculer in concreto. Dans trois ans, nous reviendrons vers l’Assemblée nationale pour préparer la seconde phase. » Les aspects financiers seront alors mieux bordés, permettant une éventuelle généralisation. Pour sécuriser le projet, le CESE a d’ailleurs préconisé que la future loi de finances prévoie d’en assurer le financement par l’État sur cinq ans.


* Pipriac-Saint-Ganton en Ille-et-Vilaine, Le Grand Mauléon dans les Deux-Sèvres, la communauté de communes du Pays de Colombey en Meurthe-et-Moselle, la communauté de communes Entre Nièvres et Forêts dans la Nièvre, Jouques, dans les Bouches-du-Rhône.

Auteur

  • Stéphanie Maurice