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“C’est une erreur ­dramatique d’opposer emploi et écologie”

Liaisons Sociales Magazine | Mobilités | publié le : 07.11.2016 | Emmanuelle Souffi

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Pour l’ex-député européen Les Verts, notre modèle de croissance est suicidaire. Dans un livre coécrit avec Laurent Berger (CFDT), il prône une transition écologique juste qui sécurise le parcours des salariés affectés.

Dans l’ouvrage que vous avez coécrit avec Laurent Berger, vous parlez d’une nouvelle Renaissance. Qu’entendez-vous par là ?

Ma conviction profonde est que nous sommes à l’orée d’une nouvelle Renaissance. Jusqu’au xvie siècle, la vision dominante du monde, c’était celle d’un monde fini. L’être humain avait vocation à évoluer dans un champ de contraintes considéré comme immuable. Avec la Renaissance, le monde est au contraire apparu infini. L’invasion du continent américain, l’imprimerie, les progrès technologiques…, d’un coup, tout devenait possible. Ce nouvel ordre a débouché sur nos sociétés contemporaines, toujours plus individualistes, où l’idée maîtresse est qu’il n’y a pas de limites technologiques, morales, matérielles à la satisfaction des désirs.

Jugez-vous cette fuite en avant suicidaire ?

Gandhi le disait déjà : les ressources de la planète ne sont pas suffisantes pour satisfaire les désirs de tous. Et encore moins de 9 milliards d’habitants en 2050 ! Nous sommes désormais entrés dans l’Anthropocène, un moment inédit dans l’histoire de l’humanité où une espèce, en l’occurrence la nôtre, est capable de modifier l’ensemble de l’écosystème, que ce soit par les accidents nucléaires, le dérèglement climatique ou l’extinction des autres espèces. L’Homme est en train de perturber profondément les conditions du vivant sur Terre.


« Il n’y a pas d’emploi sur une planète morte », dit Sharan Burrow, la secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale…

C’est une citation que j’aime beaucoup ! Notre civilisation, notre richesse reposent sur l’expansion du capital financier, technologique et humain. Et leur soubassement, c’est le capital naturel. S’il disparaît, tout disparaît. On oublie trop souvent ces potentiels naturels car ils nous ont été donnés. On ne les respecte pas, on les détruit. Pourtant, il n’y a pas de prospérité si le capital naturel s’épuise. Quand j’interviens au Medef, je dis souvent aux dirigeants : « Comportez-vous davantage en capitaliste avec la nature ! » Le WWF et le Global Footprint Network publient chaque année la date du « jour du dépassement », celui à partir duquel nous avons utilisé toutes les capacités de notre planète à régénérer les océans, à capter le CO2 grâce aux forêts… Cette année, nous vivons à crédit depuis le 8 août. Lorsqu’on mange chaque année une partie du capital, à la fin, c’est la faillite. Nous creusons notre dette écologique. Redonnons au capital naturel toute sa valeur, car c’est la condition de notre prospérité de demain.

Mieux vivre en produisant moins, c’est possible ?

Quand on vit par exemple au Sénégal, il est légitime de vouloir consommer plus. Mais selon de nombreuses études, à partir d’un certain niveau de revenus, la croissance du PIB n’est plus associée à une hausse du bien-être. Ce plafond, nous l’avons atteint dans les années 1970-1980. Non seulement la croissance telle qu’elle fonctionne aujourd’hui profite à une infime minorité – 75 % des richesses produites en plus aux États-Unis depuis 2008 ont été captées par les 1 % les plus riches ! –, mais en plus elle dégrade tellement le capital naturel qu’on a plus à y ­perdre qu’à y gagner. Penser que le progrès consiste en la poursuite infinie de la consommation de produits jetables, c’est suicidaire pour l’humanité.

Ce discours n’est pas si simple à faire passer dans une France en pleine sinistrose…

Notre société est décliniste, dépressive, mais elle possède aussi une aspiration à inventer. La France aime produire des solutions valables pour le monde entier. C’est notre côté universaliste, la fameuse « exception française ». Si les Français figurent parmi les peuples les plus pessimistes au monde, c’est justement parce qu’ils ont l’impression de ne plus produire de solutions aux difficultés du monde. Donnons-nous ce but : faisons de la France l’un des pays qui va inventer l’économie neutre en carbone, qui est l’objectif de l’Accord de Paris sur le climat ! Inventer ce qu’est un mode de vie soutenable, voilà ce que pourrait être la contribution de la France à l’un des grands enjeux du siècle.

La question sociale n’est-elle pas la grande oubliée des écolos ?

Nous avons besoin de créer un consensus sur l’impact positif en termes d’emploi de la tran­sition écologique. Le prochain gouvernement devrait organiser un grand débat avec les plus grands économistes, de Thomas Piketty à Jean Tirole, pour produire des données partagées par tous. Trop souvent, les écologistes ont clivé plutôt que cherché à fédérer.

La transition écologique menace-t-elle nos emplois ?

Bien au contraire ! Elle remplace du capital par du travail ! Plus on avance vers la transition, plus on crée un modèle soutenable pourvoyeur d’emplois. Des études de la Confédération européenne des syndicats en 2009 et de l’Organisation internationale du travail en 2015 démontrent qu’un monde où le réchauffement climatique est cantonné en deçà de la limite de 2 °C engendre plusieurs dizaines de millions d’emplois de plus qu’un monde qui refuse de prendre les mesures nécessaires pour limiter les dérèglements. En 2016, l’Ademe a modélisé pour la France le passage au 100 % renouvelable et la mise en œuvre de la loi sur la transition énergétique. Conclusion : entre 800 000 et 900 000 emplois nets supplémentaires seraient créés en France grâce à ce virage. Alors n’ayons pas peur !

Mais en quoi une économie décarbonée est-elle plus créatrice d’emplois ?

Une économie plus écologique est davantage soucieuse du bien-être humain. Cela passe par le développement du care : la santé, la culture, l’éducation… Autant de services peu émetteurs de CO2, faiblement délocalisables ou robotisables, intenses en emploi mais moins en capital financier. Verdir les activités chargées en CO2 revient le plus souvent à remplacer de l’énergie par du travail humain. Par exemple, selon l’Agence Bio, une exploitation agricole convertie en bio emploie près de deux fois plus de personnes qu’une exploitation conventionnelle. Lutter contre le chômage et lutter contre le dérèglement climatique, c’est le même combat.

Êtes-vous favorable à une nouvelle réduction du temps de travail ?

Nous avons changé d’époque. Une nouvelle RTT reposerait sur des gains de productivité du travail qui sont le pendant d’un modèle industriel dépassé. Une économie plus écologique diminue au contraire la productivité du travail selon les canons quantitatifs au profit d’une productivité qualitative malheureusement non prise en compte dans le calcul du PIB. Le xxe siècle a été celui des gains de productivité du travail. Le xxie siècle devra être celui des gains de productivité des ressources naturelles.

Les ONG et les syndicats peuvent-ils travailler ensemble sur ces sujets ?

Je ne demande pas aux syndicalistes d’être écologistes mais d’être à l’écoute du potentiel de création d’emplois de l’économie de demain. Le meilleur service à rendre aux salariés consiste-t-il à défendre l’existant coûte que coûte ou à penser les voies d’une transition juste ? Tout l’enjeu est de concevoir les protections nécessaires pour accompagner ceux et celles dont les postes seront affectés : automobile, énergie nucléaire… Il n’est pas question de pénaliser les 500 personnes qui travaillent dans les cinq dernières centrales à charbon de France, mais la défense du statut de ces salariés ne doit pas nous empêcher de lutter contre le réchauffement climatique. Je propose donc la création d’un contrat de transition écologique qui sécurise les parcours. Ce contrat décrisperait les tensions car il offrirait du temps et des moyens pour se reconvertir. Si  la CGT avait existé au xixe siècle, elle aurait ­défendu les conducteurs de diligence contre les emplois dans les chemins de fer et l’automobile… qu’elle protège aujourd’hui !

Auteur

  • Emmanuelle Souffi