Entre 2018 et 2023, même s'il reste modeste, le nombre d’accords faisant référence à l’IA a plus que quadruplé. Présente dans quasiment tous les secteurs d’activité, cette technologie touche aussi beaucoup de thématiques de négociation, depuis l’emploi jusqu’à la formation en passant par l’évolution des compétences et la qualité de vie au travail.
L’IA se fait une place dans la négociation d’accords. Si, depuis 2017, un peu moins d’un accord sur mille fait référence à cette nouvelle technologie, leur nombre a été multiplié par 2,5 entre 2018 et 2023. Selon les auteurs de l’étude menée par le CEET, la spécificité de ces négociations explique cette relative discrétion alors que l’IA fait l’objet d’une adoption rapide parmi le grand public.
Négocier au sujet de l’introduction de nouvelles technologies a pour objectif de trouver « un compromis sur la manière de les déployer sur le lieu de travail ». Cela suppose que trois conditions au moins soient réunies :
- que les représentants du personnel aient des connaissances sur ces technologies et sur les alternatives possibles ;
- qu’ils soient informés assez tôt des projets d’introduction de ces technologies par la direction ;
- enfin, que les salariés s’impliquent de façon continue dans les discussions sur l’organisation de la production afin d’avoir une vision claire des avancées technologiques et des possibilités qu’elles offrent.
Dimension prospective
Selon les auteurs de l’étude, mener des négociations réunissant ces conditions se révèle difficile dans « les modèles d’organisation du travail dominants » qui n’ont pas pour priorité la participation des salariés. Ils en concluent que l’apparition de l’IA dans les négociations « signale un effort pour garantir que ces technologies soient mieux adaptées aux besoins des travailleurs, en plus d’assurer la sécurité de l’emploi et le développement des compétences ».
Tous ces facteurs conduisent beaucoup de négociations à garder une dimension prospective, comme en témoigne l’accord conclu en janvier chez Bpifrance (Finance et Assurance) à l’issue des négociations annuelles obligatoires. Alors que les représentants du personnel demandaient la « mise en place d’un plan d’accompagnement au changement des emplois et missions, du fait du digital et de l’intelligence artificielle générative à venir », la direction a répondu que, « sur l’introduction de l’intelligence artificielle générative, des groupes de travail sont en cours au sein de toutes les directions de l’entreprise, en association avec la DRH, laquelle reviendra vers les élus à ce sujet en temps utile et au fil de l’avancée des travaux ».
Secteur de l’information surreprésenté
De 2017 à 2024, quatre secteurs seulement – activités des ménages en tant qu’employeur, activités extraterritoriales, industries extractives et agriculture – n’ont signé aucun accord mentionnant l’IA. Parmi les autres, le secteur de l’information et de la communication se détache nettement. Il représente à lui seul un quart (25 %) des textes mentionnant cette nouvelle technologie alors que le volume des accords d’entreprise signés dans ce secteur ne représente que 3,4 % du total. Pour les auteurs de l’étude, cette disproportion tient à un facteur déterminant. Ce secteur abrite les activités les plus exposées à l’IA générative : édition, services d’information, production audiovisuelle « et, surtout, les sociétés d’informatique ».
Malgré la surreprésentation du secteur de l’information et de la communication, les accords conclus restent dans une approche générale et prospective. L’étude relève ainsi que près d’un quart des paragraphes des accords qui mentionnent l’IA ne font que résumer l’activité de l’entreprise, un autre quart étant consacré aux défis immédiats que pose l’introduction des systèmes d’IA, en particulier le besoin de former et de recruter des travailleurs avec les compétences nécessaires à cet objectif. Quant à la moitié restante, elle se concentre sur les enjeux de concurrence dans les services digitaux et sur le marché de l’emploi.
Inquiétudes sur l’emploi
Tel n’est pas le cas des accords conclus dans le secteur de la finance et des assurances. L’étude précise qu’il y est « explicitement question de substitution des travailleurs, avec des termes comme "automatisation", souvent reliés à l’utilisation d’agents conversationnels ». Selon les auteurs, les acteurs sociaux de ce secteur traitent ce sujet avec une implication supérieure, car il est clairement perçu comme « une menace plus immédiate pour les emplois ».
Les domaines de l’industrie et des transports se distinguent aussi par une plus forte implication sur l’IA. Les textes des accords ne l’appréhendent pas comme une menace mais une nouvelle étape dans des processus d’automatisation existants, permettant d’améliorer et optimiser la production grâce au recueil de données supplémentaires. Ils se montrent aussi innovants en se centrant sur les besoins des travailleurs, notamment dans la formation.
C’est dans les négociations relatives à l’emploi que l’IA est la plus présente. Elle est citée dans 34,7 % des textes évoquant cette thématique alors qu’ils ne représentent que 3,9 % de l’ensemble des accords conclus. Cette surreprésentation ne révèle pas seulement les inquiétudes relatives à l’emploi mais aussi un plus fort investissement des grandes entreprises dans ces négociations. Les auteurs rappellent en effet que ce sont les grandes organisations qui concluent le plus d’accords sur cette thématique, en majorité des textes portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC), obligatoire pour les structures comptant plus de 300 salariés.
(1) Étude du Centre d'études de l'emploi et du travail d'octobre 2024 : L’IA dans les entreprises : que révèlent les accords négociés ?